Ce 21 juillet, les fans de Kaamelott retrouveront le roi Arthur sur grand écran, après plusieurs reports et une longue attente. Hasard d’un calendrier malmené par la pandémie, ce ne sera pas le seul film inspiré par la légende arthurienne au cinéma cet été : The Green Knight, adaptation d’un poème anglais du XIVe ou XVe siècle, prévoit aussi d’enfin arriver en salles.
La vision d’Alexandre Astier, quoique décalée, a toujours témoigné d’une vraie connaissance des mythes dont il s’inspire. Ainsi, l’absurdité de la quête du Graal dans Kaamelott n’est pas sans rappeler sa transformation et réappropriation au fil des siècles. Le Graal, un bocal à anchois ? En tout cas certainement pas ce qu’il était à ses origines : non pas le calice ayant recueilli le sang du Christ, mais… Un plat à poisson. On reste tout de même un peu dans la thématique !
Avant de parvenir jusqu’à nos salles de cinéma, la légende arthurienne a traversé les siècles et les pays. De la littérature galloise du VIe siècle jusqu’à l’Amérique moderne en passant par les romans en prose du XIIIe siècle, elle a muté jusqu’à finalement passer dans la culture populaire. Mais alors, où tout cela a-t-il commencé et comment cela a-t-il fini par donner… Kaamelott ?
Mais d’où vient le roi Arthur ?
On parle généralement de « la légende arthurienne ». En réalité, il s’agit en fait d’un agglomérat de textes de plusieurs pays, écrits à l’époque où on ne pouvait pas encore parler de littérature nationale à proprement parler – faute de Nation, notamment ! – et qui ne racontaient pas tous la même version de l’histoire.
Si les toutes premières traces d’Arthur remontent au haut Moyen-Âge, la période qui s’étend du Ve au XIe siècle, c’est au siècle suivant, le XIIe, que la littérature arthurienne explose et que le personnage devient un mythe. Avant cela, les textes sont rares et mal datés. Ils mentionnent déjà Arthur, parfois un autre personnage comme Keu.
Mais ce qui frappe dans ces premiers textes, c’est notamment qu’ils parlent d’Arthur comme d’un personnage déjà existant, dont le nom serait familier des lecteurs. Cela nous laisse supposer qu’il y a eu une tradition arthurienne orale bien avant ces quelques manuscrits.
Tous ces premiers textes sont britanniques : sans surprise, Arthur est avant tout un personnage d’Outre-Manche. Mais ils ne sont pas anglais : ils sont gallois. Pour qu’Arthur devienne un peu du personnage qu’on connaît aujourd’hui, il faut attendre Guillaume de Malmesbury et Geoffroy de Monmouth, deux auteurs anglais de la première moitié du XIIe siècle.
Tous deux ont la particularité d’être des chroniqueurs et d’écrire des textes qu’ils revendiquent comme étant historiques. En d’autres termes, Arthur n’est pas à l’époque le roi d’un roman : il est celui de l’histoire de la Grande-Bretagne.
Aujourd’hui, les historiens s’interrogent encore sur l’existence réelle du personnage. Ses origines littéraires galloises ont soulevé l’hypothèse qu’il ait effectivement existé, mais ait été à l’époque un chef de guerre qui s’est battu contre les Saxons. Une autre hypothèse est qu’Arthur ait été en fait inspiré d’un personnage romain.
Quoi qu’il en soit, que le personnage ait des origines historiques ou non, il n’en reste pas moins que le roi Arthur des annales et chroniques du haut Moyen-Âge n’a rien à voir ni avec ce que les romans de chevalerie du XIIe siècle feront du personnage, ni avec celui de Kaamelott et autres œuvres contemporaines.
À partir du XIIe siècle, il perd son aspect pseudo-historique et commence à devenir le roi légendaire qu’on connaît. C’est principalement dû au contexte politique de l’Angleterre. Les Plantagenêt sont alors assis sur le trône ; ils sont étroitement liés à la légende arthurienne et à sa réception.
Ainsi, Henri II devient roi en 1154 et épouse Aliénor d’Aquitaine, précédemment mariée au roi de France Louis VII à qui elle n’a donné que deux filles. Avec le roi d’Angleterre, Aliénor a de nombreux enfants, dont Richard Cœur de Lion et Jean Sans Terre. Elle a aussi un fils prénommé Geoffroy, qui épouse l’héritière du duché de Bretagne et donne naissance à un fils appelé… Arthur.
Richard n’ayant pas d’enfant et Geoffroy étant son frère cadet, c’est à lui qu’aurait dû passer la couronne d’Angleterre plutôt qu’au benjamin de la fratrie, Jean. Mais Geoffroy meurt avant son frère : Arthur devient alors l’héritier du trône.
À l’époque, Arthur est un prénom rare. Le voir ainsi donné à l’héritier du duché de Bretagne montre bien la popularité du mythe arthurien chez les Plantagenêt. Des sources de l’époque nous disent même qu’Arthur aurait dû monter sur le trône sous le nom d’Arthur II, reconnaissant ainsi le règne et l’existence du roi Arthur.
Malheureusement pour lui, il meurt dans des circonstances suspectes à l’âge de 16 ans. Les annales de l’époque attribuent la mort d’Arthur à son oncle Jean, qui s’assure d’ailleurs de garder sa sœur, héritière légitime, emprisonnée jusqu’à sa mort près de quarante ans plus tard. On imagine une ambiance tendue aux dîners de famille de la cour d’Angleterre.
Richard Cœur de Lion et son père eux-mêmes sont associés au mythique roi Arthur : le père s’est servi de cette légende pour unifier la Grande-Bretagne et asseoir son pouvoir. Il se revendique comme le successeur d’Arthur, qu’il veut opposer à la figure française de Charlemagne.
C’est aussi durant son règne que sont prétendument découverts les restes d’Arthur et Guenièvre à l’abbaye de Glastonbury. Une découverte opportune qui confirmait à la fois l’existence passée d’Arthur… et sa mort, afin de mieux faire taire les espoirs bretons qui voulaient qu’Arthur reviendrait un jour, quand son peuple en aurait besoin.
Quant au fils, Richard, il faisait appeler son épée Calibourne – Excalibur. Dans un geste très symbolique, il la céda au roi de Silice lorsqu’ils s’allièrent pendant une croisade.
Mais Arthur n’est pas resté longtemps cet instrument de domination politique. En parallèle, la légende a traversé la Manche et les Français s’en sont emparés. Les chevaliers se mettent aussi à occuper une place de plus en plus importante dans la société, et cela se ressent dans la littérature. C’est la grande période des romans chevaleresques, dont Chrétien de Troyes est la figure de proue.
Arthur n’est plus un héros. Il n’est pas non plus un chevalier. Chez Chrétien, il n’a plus qu’un second plan. Il gère sa cour et tient un rôle d’arbitre pendant que ses chevaliers vivent les quêtes et aventures : c’est la période de gloire d’Yvain, Érec, et surtout d’un nouveau venu, un certain Lancelot.
Le XIIIe siècle sera le grand siècle de la littérature arthurienne, mais c’est aussi celui de l’idéal chevaleresque, dont le roi Arthur n’est pas l’emblème. Il devient un roi faible, d’autant plus quand Lancelot est associé à Guenièvre. C’est sa guerre contre Lancelot qui précipite la chute de l’utopie arthurienne et qui conduit finalement à la mort d’Arthur.
Marginalisé par ses propres chevaliers, le roi Arthur doit attendre la fin du Moyen-Âge pour récupérer un peu de sa prestance passée. De nouveau, c’est en Angleterre que l’affaire se joue, notamment avec Le morte Darthur de Thomas Malory. C’est aussi à cette période qu’est notamment écrit Sire Gawain and the green knight, le poème qui mettra Dev Patel sur nos écrans cet été.
À ce moment-là, la mode n’est plus aux chevaliers, aux aventures et aux croisades. L’Angleterre a été secouée par la guerre de Cent Ans et déchirée par la guerre des Deux-Roses. Le temps est à l’unité et à la paix.
Le roi Arthur redevient un instrument du pouvoir et se voit de nouveau utilisé par la royauté. Elle se doit donc d’en refaire une figure conquérante plutôt qu’un roi, disons-le, un peu nul, isolé dans son château pendant que ses chevaliers vivent mille et une aventures merveilleuses, et dont la faiblesse précipite l’effondrement du monde arthurien.
Lancelot a-t-il eu une liaison avec la reine Guenièvre ?
Lancelot est étroitement associé à la reine Guenièvre, épouse d’Arthur, dès le premier roman dont il est le personnage principal. C’est chez Chrétien de Troyes qu’il fait ses premiers pas, même s’il a très certainement existé une tradition antérieure du personnage : d’abord, Chrétien le mentionne sans jamais éprouver le besoin de le présenter, comme s’il devait être familier au lecteur ; ensuite, son exploitation en Allemagne, notamment par Ulrich von Zatzikhoven, auteur d’un Lanzelet qui hérite d’une toute autre tradition que celle de Chrétien de Troyes, soulève la question d’un livre français disparu mettant en scène un Lancelot primitif.
Peu importe : c’est Le chevalier de la charrette qui nous est parvenu comme étant le premier texte où Lancelot tient un rôle d’importance. Dans ce roman en vers, Lancelot se lance à la recherche de Guenièvre, enlevée par Méléagant. Si Keu et Gauvain s’y précipitent eux aussi, c’est Lancelot qui parviendra à la libérer.
Chrétien en fait un personnage qui balance perpétuellement entre l’amour et la raison. Il est aveuglé par son amour pour la reine, à laquelle il est presque servile. Au bord de la folie à cause de cet amour qu’il lui voue, il est cependant aussi sublimé par cet amour, qui l’aide à surmonter des épreuves dont personne d’autre ne pourrait triompher.
Surtout, Lancelot est déjà explicitement l’amant de Guenièvre. Cependant, le traitement du personnage chez Ulrich von Zatzikhoven nous laisse comprendre que Lancelot ne l’a pas toujours été. Ce n’était pas le cas du Lancelot primitif et ce n’est pas non plus celui du personnage du Lanzelet : il a donc existé une autre tradition littéraire.
Mais Lancelot ne quittera plus cette position. Grâce à Chrétien de Troyes, il devient le symbole de la chevalerie courtoise et de la fin’amor. Dans le Lancelot-Graal, immense cycle en prose du XIIIe siècle dont il est le héros, Lancelot paye cependant le prix de cet amour adultère.
Lorsqu’il arrive à la cour, Lancelot tombe immédiatement amoureux de la reine. C’est même elle qui le fait chevalier, et non Arthur. La tradition veut que le Seigneur ceigne l’épée au nouveau chevalier, mais Arthur oublie de le faire : c’est Guenièvre qui accomplit ce geste hautement symbolique, faisant de Lancelot, de fait, le chevalier et l’homme de la reine – et non du roi.
Le roman développe sa relation avec Guenièvre de sa naissance jusqu’à la fin, depuis leur rencontre jusqu’à la consommation de leur liaison, en passant par leur premier baiser. C’est l’un des motifs les plus importants de l’œuvre, le fil conducteur des aventures de Lancelot, sa principale motivation.
Mais sa relation avec Guenièvre devient bientôt franchement négative. Elle est le péché et l’obstacle qui l’empêchent de triompher dans la quête du Graal, qui lui était pourtant originellement destinée. Il est remplacé par Galaad, son fils, qui le supplante même comme meilleur chevalier du monde.
Si Lancelot passe une bonne partie de la quête du Graal à faire pénitence de son péché, il retombe ensuite de plus belle dans cette liaison. Sa relation avec Guenièvre est alors le détonateur qui précipite le monde arthurien vers la fin.
Certes, l’utopie arthurienne n’est déjà plus. Elle a été rongée par la quête du Graal, à la hauteur de laquelle elle n’a pas été. Les chevaliers d’Arthur sont dispersés et se sont parfois même entretués – Gauvain, notamment, tue dix-huit de ses congénères. Les valeurs de la Table Ronde et de la cour du roi Arthur ont été corrompues ; elles s’opposent désormais à celles des chevaliers du Graal, qui incarnent une nouvelle forme de chevalerie.
Les chevaliers d’Arthur sont désœuvrés et le roi multiplie les tournois qui ne sont que des prétextes pour les occuper. Lui-même est désormais un vieux roi, qui a perdu sa superbe et surtout sa majesté. Le monde arthurien est rongé de l’intérieur.
Mais après la quête du Graal, c’est cet adultère qui va achever l’effondrement de la civilisation arthurienne. Agravain, l’un des frères de Gauvain, dénonce leur liaison. Lancelot s’échappe mais Guenièvre est condamnée au bûcher : il revient la sauver mais doit pour cela tuer plusieurs chevaliers, dont les frères de Gauvain.
C’est la guerre. Gauvain prend la tête de l’un des clans, poussant Arthur à s’enliser dans cet affrontement. Malgré tout cela, Lancelot reste loyal à Arthur : il ne parvient pas à se résoudre à le tuer quand il en a l’occasion et donne même la consigne de l’épargner.
Avec son clan, Lancelot finit par retourner en Gaule, d’où il est originaire et où se trouve son royaume. Mais sous l’influence de Gauvain qui ne parvient pas à pardonner la mort de ses frères, Arthur franchit la mer à son tour.
C’est là qu’il apprend la trahison de Mordret, à qui il avait confié son royaume et qui fait croire à la mort d’Arthur pour s’emparer du trône. Acculé, le roi n’a d’autre choix que de regagner son royaume. Il affronte Mordret et parvient à le tuer, mais est lui-même mortellement blessé.
Le récit ne s’arrête pas là : le cycle du Lancelot-Graal n’est pas l’histoire d’Arthur mais celle de Lancelot. Ce dernier devient alors le sauveur du royaume : il revient en Grande-Bretagne et tue les fils de Mordret avec l’aide de Bohort. Finalement, ayant appris la mort de Guenièvre, il se fait moine et meurt à son tour quelques années plus tard.
Si le monde arthurien était déjà sur le déclin, notamment à cause de la quête du Graal, c’est donc bien cette liaison avec Guenièvre qui précipite la catastrophe finale. Alors, ça vous rappelle Kaamelott ?
Perceval et Bohort étaient-ils vraiment des imbéciles ?
S’ils sont tous deux des personnages emblématiques de Kaamelott, Perceval et Bohort n’ont pas les mêmes origines ni le même développement dans la littérature arthurienne, même si tous deux sont intimement liés au Graal.
Perceval est nommé pour la première fois chez Chrétien de Troyes, qui le mentionne dans son Cligès et lui consacre ensuite un roman en vers : Le Conte du Graal. C’est sa plus longue œuvre, mais elle restera inachevée, probablement à cause de la mort de l’auteur.
C’est tout de même ce roman qui introduit le motif du Graal dans la littérature arthurienne et qui lui lie Perceval. Ce Perceval n’est pas vraiment un personnage glorieux : au contraire, c’est plutôt un imbécile. Il est ignorant, ne connaît d’ailleurs pas son propre nom au début de l’œuvre, et est un sauvageon élevé dans les bois par sa mère.
Perceval est même si sot qu’il prend les premiers chevaliers qu’il rencontre pour des diables. Naïf et enfantin, Perceval connaît cependant une évolution tout au long du livre, qui a une dimension initiatique que n’a aucune autre œuvre de Chrétien de Troyes.
Perceval est aussi un personnage qui n’a rien à voir avec les héros des précédents poèmes de l’auteur : il devient chevalier parce qu’il est issu d’une bonne famille et qu’Arthur considère qu’il est de son honneur de le faire chevalier, pas parce qu’il le mérite ou fait preuve de vertu.
Arthur est déjà un roi affaibli, impuissant et passif, qui fait face à des chevaliers qui font eux-mêmes leur droit. Ce n’est pas le roi qui devrait tirer de l’honneur de faire ainsi un chevalier, mais l’inverse ; l’intérêt de l’individu ne devrait pas primer sur la communauté, d’autant que celle d’Arthur dépérit.
Yvain, Lancelot, Érec et Cligès obéissaient à des valeurs supérieures ; Perceval est un simplet qui n’accède à la chevalerie que par le sang. Il fait cependant l’objet d’une prophétie surprenante : un jour, il sera le meilleur chevalier du monde. Dans ce monde arthurien où la chevalerie a mis de côté des héros épiques au profit d’un imbécile, cette prophétie sonne presque comme un avertissement.
Cependant, Perceval poursuit son initiation. Un jour, il arrive au château du Roi Pêcheur où il est hébergé. C’est là que, pendant le repas, défile devant lui le Graal. Perceval est surpris par cette étrange procession, mais ne pose aucune question à son sujet. Et ainsi, il échoue à accomplir sa destinée. Le lendemain, quand il se réveille, le château est mystérieusement désert.
Plusieurs années s’écoulent avant qu’il ne paraisse enfin sur le point de reprendre le chemin de la quête du Graal, qui lui permettent notamment de s’améliorer sur le plan martial. Malheureusement, le récit s’achève sans lui permettre d’accomplir sa mission.
Au début de sa carrière littéraire, Perceval est donc un personnage singulier. Il s’oppose notamment à la figure de Gauvain, l’autre protagoniste du Conte du Graal, qui représente la chevalerie arthurienne traditionnelle. Perceval incarne, lui, une nouvelle chevalerie, et l’inachèvement du roman laisse de nombreuses questions sur la direction que doit prendre celle-ci.
Ceci étant, le poème de Chrétien de Troyes a eu une influence énorme par la suite, et peut-être d’autant plus qu’il n’a jamais été fini. C’est ce qui a permis à Perceval de devenir un peu moins le sot naïf et influençable qu’il était initialement.
La fin du Conte du Graal étant restée en suspens, plusieurs auteurs s’attachent à écrire ce qu’on appelle les continuations : des sequels par d’autres poètes, si vous voulez. Perceval y finit par réussir sa quête.
Puis arrive Robert de Boron. On lui attribue trois romans : Joseph d’Arimathie, Merlin et Perceval – il y a néanmoins des doutes sur la paternité réelle du troisième. Perceval devient alors un chevalier élu destiné à accomplir la quête du Graal, notamment parce qu’il descend d’un lignage d’exception qui le place à part et l’y prédestine.
Perceval n’est surtout plus l’imbécile qu’il était chez Chrétien et ne le redeviendra plus. Robert de Boron a lui aussi eu une influence fondamentale sur la littérature arthurienne postérieure : il inspirera même des œuvres anglaises, notamment Malory.
La suite de la carrière littéraire de Perceval se heurte au cycle en prose du Lancelot-Graal, écrit au début du XIIIe siècle. Il se compose de trois romans : le Lancelot propre, La queste del Saint Graal et La Mort Artu. C’est l’une des œuvres arthuriennes les plus importantes et les plus lues au Moyen-Âge, comme en témoigne le nombre significatif de manuscrits qui nous sont parvenus (plus de 200) et son héritage littéraire.
Le protagoniste de ce cycle n’est pas Perceval : c’est Lancelot. Perceval y joue cependant un rôle extrêmement important et se voit surtout associé à un autre personnage de Kaamelott : Bohort.
Celui-ci est un ajout tardif à la littérature arthurienne. Cousin de Lancelot, il est le fils cadet du roi Bohort de Gaunes et est élevé par la Dame du Lac aux côtés de son frère Lionel et de leur cousin. Pour qu’il puisse apparaître dans la légende, Bohort avait donc besoin qu’on s’intéresse aux origines de Lancelot : c’est le Lancelot propre qui dote le personnage d’une enfance et permet donc à Bohort d’exister.
Le cycle met aussi en scène pour la première fois le personnage de Galaad, fils de Lancelot. Il forme un trio indissociable avec Bohort et Perceval, car ce sont eux trois qui vont réussir à accomplir la quête du Graal.
Mais Galaad supplante Perceval. Entretemps, le Graal est devenu une quête religieuse, et Perceval ne convient plus à celle-ci. Il lui faut une figure christique et messianique : ce sera le jeune Galaad, exempt de tout péché.
Le cycle du Lancelot-Graal distingue deux types de chevaleries : une chevalerie céleste, symbolisée par Bohort, Galaad et Perceval, et une chevalerie terrestre, dont Gauvain est l’emblème suprême – ce qui le disqualifie totalement de la quête du Graal.
Seuls Perceval, Galaad et Bohort parviennent à la mener à terme. Elle les mène jusqu’à Sarras, où Galaad meurt et Perceval se fait moine avant de mourir à son tour. Seul Bohort revient de la quête, qu’il peut alors raconter à la cour du roi Arthur.
Malgré son rôle dans Kaamelott, Bohort n’est pas un personnage qui a vraiment marqué la culture populaire moderne – pas comme un Gauvain, un Lancelot ou un Arthur. En cela, il se rapproche plutôt de Galaad. C’est sûrement leur étroit lien au Graal qui les en a empêchés, même si Bohort bénéficie d’un plus large développement hors de la quête, ce qui lui a probablement permis d’être moins oublié que Galaad.
Après la quête du Graal, Perceval et Galaad n’avaient plus d’avenir littéraire ni de perspective narrative, ce qui n’était pas le cas de Bohort. C’est à lui donc qu’a échu le rôle d’en revenir et de reprendre une place à la cour. Ainsi, il a une présence importante dans la littérature du Moyen-Âge, notamment grâce au Lancelot-Graal qui le dote d’une longue biographie et lui permet de revenir en vie de la quête du Graal. Il est un chevalier d’exception, pieux, et loyal.
Sa relation avec Lancelot est l’un de ses traits principaux. Bohort reste fidèle à son cousin jusqu’à la mort et le suit dans sa guerre contre le roi Arthur. Il considère Lancelot comme le chef de leur clan et joue un rôle capital lorsque la cour d’Arthur se déchire en deux camps : celui de Gauvain et celui de Lancelot.
Bohort est alors la voix de la sagesse, le conseiller de Lancelot dont il est aussi une sorte de double. Il symbolise tout ce que Lancelot aurait pu être sans son amour adultère pour Guenièvre. Il est le possible spirituel de son cousin, celui qui peut emprunter le chemin de l’héritage mystique dont Guenièvre prive Lancelot.
Avec Galaad, qui vient le compléter, il forme le produit parfait d’une généalogie sacrée dont ils achèvent ensemble le destin. Il est aussi le parfait compromis entre chevalerie céleste et chevalerie arthurienne. Après la mort d’Arthur et de Lancelot, il prend l’habit et peut enfin retrouver la voie spirituelle qu’il avait un temps écartée par loyauté envers son cousin.
Mais que pouvait-il advenir de personnages si étroitement liés à la quête du Graal ? Perceval parvient à s’en sortir tant bien que mal, notamment grâce à son transfert dans la littérature étrangère (et allemande en particulier) et parce qu’il appartenait à une tradition littéraire antérieure.
Mais il peut remplir à lui seul les rôles du trio, et Galaad et Bohort, tout particulièrement Galaad, ont plus ou moins disparu de la littérature.
Moins dépendant du Graal, Bohort est cependant trop lié à Lancelot : il faut attendre la réappropriation de ce dernier, notamment par Malory, pour que Bohort réapparaisse dans la littérature. Contrairement à des personnages comme Gauvain ou même Perceval, il n’a jamais eu droit à des aventures indépendantes dont il était le seul héros.
Le Graal, si ce n’était pas un bocal à anchois… C’était quoi ?
C’est donc Chrétien de Troyes qui apporte le motif du Graal à la littérature arthurienne. C’est à lui qu’on doit la quête du Graal, restée inaboutie dans Le conte du Graal. Inachevée, elle peut alors devenir l’un des grands thèmes de la légende arthurienne, d’abord en étant l’un des sujets de prédilection des romans en prose du XIIIe siècle.
À vrai dire, les origines du Graal sont un peu floues. Au début de son poème, Chrétien affirme avoir reçu de son patron, Philippe d’Alsace, un livre contenant l’histoire du Graal. S’il s’agissait d’un procédé assez fréquent chez les auteurs de l’époque, l’existence d’un roman allemand reprenant des thématiques similaires ne peut qu’interroger.
Ce roman, c’est le Parzival de Wolfram von Eschenbach. Il reprend en partie l’histoire de Chrétien de Troyes, mais les deux premiers livres du Parzival et sa fin ne correspondent à aucun texte de Chrétien. Contrairement à ce dernier, Wolfram von Eschenbach achève l’histoire de Parzival, qui finit couronné comme roi du Graal.
L’Allemand a donc eu d’autres sources. S’il mentionne un certain « Kyot de Provence », la source paraît aujourd’hui historiquement peu crédible. Selon toute vraisemblance, Wolfram von Eschenbach a travaillé à partir de plusieurs sources et traditions, dont Chrétien de Troyes – mais pas seulement.
En somme, on ne sait pas très bien d’où vient le Graal. Il est peu probable que Chrétien de Troyes en ait réellement été l’inventeur, mais on ne saura probablement jamais d’où il tenait vraiment cette tradition. On sait seulement que c’est grâce à lui que le thème est intégré à la légende arthurienne.
Sauf que chez Chrétien de Troyes, le Graal n’a rien à voir avec le mythe chrétien qu’il est devenu. Il s’agissait d’un mythe païen, et c’est bien d’un merveilleux païen plutôt que de christianisme qu’est teinté le Graal de Chrétien.
Chez Chrétien de Troyes, le Graal est… Un plat. C’est ce que signifie le mot à l’origine : il désigne un plat large destiné à servir de la viande ou du poisson. Chrétien ne parle jamais du Saint Graal et introduit l’objet par un article indéfini en parlant d’« un graal ».
Pas encore une relique, ce Graal est alors un plat à service qui se distingue par sa richesse, orné notamment de pierres précieuses. Quand Perceval raconte à son oncle ermite la scène à laquelle il a assisté au château du Roi Pêcheur, la conversation parle d’un plat à poisson, tout en précisant qu’il ne faudrait pas se méprendre sur la véritable nature de l’objet, teintée de merveilleux.
Mais la fonction du Graal, c’est bien la nourriture. Son rôle est bien de nourrir, quoique de façon mystérieuse, le Roi Pêcheur.
Voilà donc ce qu’est d’abord le Graal : un objet merveilleux, mystérieux, mais profane. La Bible ne le mentionne jamais, le mythe est inexistant en latin et n’a aucune signification biblique.
Surtout, Chrétien de Troyes écrit trop tôt pour avoir été influencé par la mutation du christianisme au Moyen-Âge. Ce sont ses successeurs qui vont transformer le Graal sous l’effet d’influences socio-culturelles bien différentes.
Quelques décennies plus tard, le contexte culturel et doctrinal a en effet bien changé. L’imaginaire collectif éprouve alors le besoin de se rattacher aux objets témoins de la vie du Christ : les reliques gagnent en importance à la fin du XIIe et au XIIIe siècle.
Après Chrétien de Troyes, le Graal prend de plus en plus d’importance dans la littérature arthurienne européenne, qui passe du vers à la prose, et subit une véritable christianisation. Ce développement doit être considéré comme le symbole d’une inquiétude épistémologique et d’une incertitude idéologique propres à leur temps.
C’est Robert de Boron qui contribue à donner au Graal la signification qu’on lui connaît aujourd’hui. Son œuvre est fondamentale dans la sacralisation du Graal ; c’est avec elle qu’il acquiert non seulement un caractère sacré, mais aussi des origines, un passé, une histoire. L’aboutissement de ce développement sera le cycle du Lancelot-Graal.
Dans son Joseph d’Arimathie, Robert de Boron fait du Graal le vase où fut recueilli le sang du Christ, crucifié par Joseph d’Arimathie. Si cela sonne familier, c’est normal : c’est cette version de la légende qui a inspiré Astier et Kaamelott.
Le roman retrace l’histoire du Graal avant son arrivée en Occident et plante une dynastie du Graal : emprisonné après la crucifixion du Christ, Joseph d’Arimathie voit apparaître Jésus dans sa cellule.
Le Graal se dote alors d’un symbolisme important, celui de la grâce divine. Joseph d’Arimathie et son lignage sont des élus : lui et ses descendants sont destinés à être les gardiens du Graal. Perceval est justement l’un des membres de sa lignée. Chez Robert de Boron, pas de Lancelot, pas de Bohort, pas de Galaad. C’est Perceval qui est l’aboutissement d’un lignage, l’élu d’une haute destinée, rôle que reprendra Galaad par la suite.
Grâce à la trilogie de Robert de Boron, le Graal connaît donc une véritable mutation religieuse et plante des motifs qui seront repris par La queste del Saint Graal, dont le titre annonce d’emblée la couleur. C’est là un roman eucharistique, où Perceval, Galaad et Bohort sont une Trinité d’élus, des chevaliers célestes que ne peuvent aspirer à devenir les autres.
Perceval se voit aussi supplanter par le messianique Galaad, ce qui correspond à l’évolution de la thématique du Graal. La création de Galaad était doublement nécessaire : à cause de la christianisation du Graal et de son péché d’adultère, Lancelot ne peut pas prétendre mener la quête à bien. Or faire de Perceval le héros de la quête aurait été détrôner Lancelot de sa propre histoire… Le voilà donc relégué au second plan.
Avec la Queste, le Graal est définitivement devenu l’objet saint qui nous a été transféré. C’est le calice qui a recueilli le sang du Christ, une relique, mais aussi le symbole d’un tout nouveau type de chevalerie, opposée aux idéaux corrompus de celle d’Arthur. Enfin, la mort de Galaad, véritable figure christique, est une ascension spirituelle, un sacrifice de l’Élu divin.
Comment est-on passé du Moyen-Âge à Kaamelott ?
Du XVIe au XIXe siècle, la légende arthurienne n’a plus vraiment la cote. De nouveau, c’est le contexte historique qui la remet au goût du jour, et surtout l’affirmation du nationalisme. En Angleterre, la légende est réactivée par crainte des révolutions et aspirations coloniales. Les gentlemen victoriens se veulent un peu les nouveaux chevaliers de leur temps.
Mais c’est notamment aux États-Unis que l’imaginaire chevaleresque se réveille, particulièrement dans les États du Sud. Mark Twain lui-même s’y met en publiant en 1889 Un Yankee du Connecticut à la cour du roi Arthur. Le livre sera adapté plus de vingt fois en film, mais aussi en version radiophonique, en comics et en dessin animé.
Si la légende arthurienne est née au Moyen-Âge en Grande-Bretagne, qu’elle s’est considérablement développée et métamorphosée en France avant de circuler dans le reste de l’Europe, c’est finalement grâce à la culture populaire américaine qu’elle arrive jusqu’à nous. Aux États-Unis perdure l’idéal chevaleresque, désormais plus seulement associé à l’aristocratie mais à de plus en plus de classes sociales.
Aujourd’hui, le roi Arthur est une figure de la culture populaire. Mais ce n’était pas le cas jusqu’à la fin du Moyen-Âge : à l’époque, il est au contraire le produit d’une culture d’élite et l’instrument de ces mêmes élites qui s’en servent notamment à des fins politiques.
Au tournant du siècle, la figure chevaleresque incarne un modèle à suivre pour la société américaine, un idéal d’éducation pour la jeunesse. Les valeurs et principes de la légende arthurienne sont même transposés à d’autres œuvres qui n’y sont pas directement rattachées.
Avec le temps et les différents contextes historiques, Arthur et sa cour ne sont plus mobilisés de la même façon. Dans les années 1950, les chevaliers arthuriens sont anti-communistes ; dans les années 1960, ils sont pacifistes et progressistes. Mais toujours, ils représentent un mythe héroïque, épique et surtout rassurant face à un présent qui ne l’est pas toujours.
Et ça y est, nous y voilà enfin : Arthur, la Table Ronde et ses chevaliers basculent dans la culture populaire. Le mythe chevaleresque, s’il continue d’évoluer sous l’influence de son époque, perdure. Tout le monde s’y met : René Barjavel, Marion Zimmer Bradley, J.R.R Tolkien, Guillaume Apollinaire, les Monty Python… Alexandre Astier.
« Camelot is a state of mind », disait l’affiche de Knightriders, film de George Romero directement influencé par le mythe arthurien : oui, Camelot est bien devenu un état d’esprit.