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Mass Effect utopie et apocalypse

Mass Effect : de l’Utopie à l’Apocalypse

Incontournable space opera vidéoludique, Mass Effect est aujourd’hui une licence qui comprend non seulement une trilogie (2007-2012), mais aussi un quatrième jeu et un grand univers transmédiatique (film d’animation, comics, romans, etc.).

La série, notamment la trilogie originale, a été influencée par de grandes œuvres de la science-fiction : on y trouve du Star Trek, un peu d’Asimov et beaucoup de Lovecraft, du cinéma…

On y trouve aussi de nombreuses références religieuses, ainsi que de grands concepts et thématiques chers à la science-fiction. Mass Effect propose un univers poussé, réfléchi durant une année entière avant d’attaquer la conception du jeu lui-même, qui se dévoile au joueur petit à petit.

D’abord d’apparence très idyllique, rappelant beaucoup la Fédération de Star Trek et certaines de ses valeurs les plus optimistes, cet univers s’assombrit rapidement à mesure que se dévoilent ses préjugés, ses imperfections et, surtout, sa grande menace.

🪐 Les débuts utopiques de Mass Effect

Lorsque Mass Effect sort en 2007, ses joueurs se retrouvent soudain propulsés commandant d’un vaisseau spatial, le Normandy, à bord duquel ils peuvent explorer la Voie Lactée. Au cours de cette exploration, ils auront notamment l’occasion de passer par un système au nom évocateur : Utopia.

Eden Prime Mass EffectToutes les planètes de ce système sont nommées en suivant la même thématique : on y trouve ainsi Eden Prime, la seule que visitera réellement le joueur, Arcadia, Zion, Nirvana et Xanadu.

C’est là que commence l’histoire de Mass Effect, car Eden Prime est la première planète visitée par le personnage de Shepard, avatar du joueur. Nous sommes au XXIIème siècle, en 2183, dans un futur où l’Homme a découvert sur Mars une technologie lui permettant de voyager plus vite que la lumière.

Grâce à cela, la galaxie tout entière lui est ouverte. Il se fait peu à peu sa place sur l’échiquier politique de la galaxie, au côté de nouvelles espèces plus ou moins androïdes. Quand le joueur débarque dans l’univers de Mass Effect, trente-cinq ans se sont écoulés depuis cette découverte sur Mars. Il arrive in medias res, dans un monde qui ne l’a pas attendu pour exister, sur un vaisseau qui ne l’a pas attendu pour décoller.

Et ses premiers pas sur la terre ferme – mais pas la Terre elle-même – auront donc lieu sur Eden Prime. Après une brève introduction sur le Normandy, c’est cette planète qui sert de prologue et de tutoriel au joueur. C’est là qu’il découvrira ce nouvel univers que la science-fiction a rendu possible.

S’il creuse un peu les informations que le jeu lui offre, le joueur peut vite en savoir un peu plus sur Eden Prime. Il s’agit d’une planète idyllique où la vie humaine a pu s’épanouir. Une planète fertile où vivent désormais près de quatre millions d’êtres humains. Une planète, aussi, qui fut l’une des premières colonies humaines lorsque l’humanité commença à tremper l’orteil bien au-delà de l’espace familier qui entoure sa planète natale.

Jardin d'EdenÉvidemment, le nom de cette planète n’est pas un hasard. C’est naturellement une référence à l’Éden, le jardin paradisiaque où vivent Adam et Ève dans la Genèse. Une référence qui s’explique avant tout par le caractère idyllique de cette nouvelle planète où l’Homme peut respirer et marcher comme sur Terre, où l’herbe est verte et le sol fertile, où une colonie agraire prospère s’établit et se développe rapidement.

Mais cette planète, on ne la nommera pas seulement Eden. On l’appellera aussi Prime, du latin « primus », « premier », peut-être porté par l’espoir qu’il ne s’agira que de la première de ce genre. Le premier Éden spatial. Et Eden Prime devient le symbole de ce que l’humanité est capable de réussir au sein de la communauté interstellaire : une colonie florissante sur une planète paradisiaque.

On le sait : l’histoire d’Adam et Ève ne tourne pas très bien. Le couple finit par être chassé de l’Éden après avoir goûté au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. C’est le péché originel, la première faute de l’Homme.

Sur Eden Prime aussi, les choses tournent mal. Si la planète semble effectivement idyllique au premier abord, Shepard y trébuche rapidement sur des cadavres. Eden Prime a été attaqué par les Geths, une race synthétique. La planète est ravagée, la colonie fumante.

C’est là, parmi les décombres, que Shepard aura son propre arbre de la connaissance. En l’occurrence, ce sera une balise laissée par les Prothéens, une espèce disparue depuis 50 000 ans mais dont la civilisation fascine les archéologues galactiques.

Quand il s’en approche, Shepard reçoit une vision confuse qui lui annonce en fait l’arrivée prochaine des Moissonneurs, une race de machines qui revient de façon cyclique pour éradiquer les espèces développées de la Voie Lactée. Ce sont eux qui seraient à l’origine de la mystérieuse disparition des Prothéens, alors à l’apogée de leur civilisation.

Citadelle Mass EffectC’est inconscient que Shepard quitte Eden Prime et Utopia, le Normandy prenant alors le chemin de la Citadelle, une sorte de station-spatiale gigantesque dont la construction est attribuée aux Prothéens et qui se trouve aujourd’hui au cœur de la communauté galactique, accueillant notamment ses institutions.

Dans un précédent article sur Mass Effect, j’évoquais déjà les références bibliques de la saga. Eden Prime en est une, évidemment. Mais les débuts de Shepard, et du joueur avec lui bien sûr, sur cette planète au nom si important ne sont évidemment pas anodins.

La science-fiction n’est pas toujours un genre très optimiste. Elle aime ses dystopies et ses mondes post-apocalyptiques. Il faut dire que la science-fiction est aussi un genre qui se prête à merveille à la critique, permettant à ses auteurs de porter un regard acéré sur les problèmes de notre temps.

Mais parfois, la science-fiction a envie de rêver à des futurs meilleurs. Elle crée des Star Trek. Elle crée des utopies.

Avec Mass Effect, le joueur est littéralement projeté dans une utopie dès le début du jeu : ce sera Utopia et ses planètes qui font toutes référence à des lieux idylliques. Il y aura l’Éden. Il y aura Arcadia, cette région de la Grèce considérée comme la patrie de Pan et représentée comme un pays à la nature harmonieuse, symbole d’un âge d’or bucolique et d’une terre mythique et idéale.

Il y aura Zion, qu’on retrouve dans Matrix et qui désigne la Terre Promise. Il y aura Nirvana, ce concept de l’hindouisme et du bouddhisme, cet Éveil si difficile à décrire. Il y aura, enfin, Xanadu, devenu une métaphore pour un lieu idyllique depuis la publication au XIXème siècle de Kubla Khan, un poème écrit par Samuel Taylor Coleridge (sous l’influence de l’opium, pour l’anecdote).

Et même si Eden Prime finit en carnage, ni Shepard ni le joueur n’ont vraiment envie de renoncer tout de suite à cette utopie. D’abord littérale puisqu’elle donne son nom au système où se trouve le Normandy, elle montre peu à peu ses couleurs sociales à la Citadelle.

🛰️ L’utopie de Mass Effect : le rôle de la Citadelle

Par définition, rappelons-le tout de même, une utopie est une société idéale. À l’origine, l’utopie est un genre littéraire inventé par Thomas More au XVIème siècle, quand il publie un livre en latin qu’on connaît aujourd’hui sous le titre L’Utopie. Selon les représentations, elle peut avoir un régime idyllique ou une société parfaite, et montre souvent des individus qui vivent en harmonie.

Après la désillusion d’Eden Prime, Shepard atterrit à la Citadelle. Le joueur découvre alors la station imaginée par Casey Hudson, le concepteur de Mass Effect, et son équipe. C’est le cœur de la communauté galactique ; c’est sa capitale politique, économique et culturelle.

Conseil Mass EffectC’est notamment là que se trouvent les ambassades des différentes espèces et que siège le Conseil, l’institution exécutive de la galaxie. Plus de 13 millions d’aliens et d’humains vivent là, mélangés dans un grand melting pot galactique.

Accompagné par deux coéquipiers, le joueur a l’occasion d’arpenter la Citadelle en long, en large et en travers. Et comme les personnages eux-mêmes, il est forcément frappé par le caractère incroyable et extraordinaire de la station.

Tout au long de la saga Mass Effect, la Citadelle est un lieu fantastique qui a fait rêver les joueurs du monde entier. Et pour cause. La Citadelle est l’un des emblèmes de tout ce qui a fait l’esprit de Mass Effect.

Imaginez un peu : une gigantesque station-spatiale où cohabitent pacifiquement et en parfaite harmonie des dizaines d’espèces venues des quatre coins de la galaxie, avec leurs propres culture, histoire, religion.

Le Conseil préside tout ce petit monde. Il est composé de représentants des espèces les plus anciennes sur l’échiquier galactique : les Asari, les Turiens et les Galariens. Ce sont eux qui ont atteint la Citadelle en premier, plusieurs milliers d’années avant l’humanité. Les autres espèces ont un ambassadeur qui les représente auprès du Conseil.

À petite échelle, le Conseil est un prolongement de cette galaxie capable de cohabiter en paix. Ce sont ces trois espèces, pourtant si différentes, qui travaillent ensemble pour prendre les décisions. Un mélange fondamental pour prendre en compte dans leur politique les intérêts de toutes ces espèces.

Syd MeadLa Citadelle est idyllique jusque dans son être, dans son architecture. Elle est notamment inspirée des travaux de Syd Mead, designer connu pour avoir travaillé sur Blade Runner, Tron, Aliens ou encore le premier film Star Trek. L’homme n’est donc pas vraiment étranger à la science-fiction et s’est largement distingué pour ses concepts néofuturistes.

Derek Watts, le directeur artistique de Mass Effect, n’a jamais caché que les lignes de Syd Mead ont été une inspiration capitale pour son équipe. Et il suffit de regarder les designs de Mead pour voir l’hommage que lui rend la Citadelle.

En la visitant à pied, le joueur peut admirer ses jardins et ses fontaines, mais aussi ses buildings et ses lumières. Surtout, il y croisera des aliens plus différents les uns que les autres, découvrant ici la religion de l’un, là la culture d’un autre. On lui parlera des Porte-Flammes et de la version elcor de Hamlet. Il y verra des aliens bipèdes, des aliens qui ressemblent à de la gelée rose fluo, des aliens qui lui feront penser à une taupe, des aliens qui lui rappelleront plutôt un éléphant sans trompe.

Confronté à cette communauté galactique, le joueur peut presque oublier Eden Prime. La Citadelle est l’incarnation parfaite d’une société futuriste idéale et utopique. Seulement, comme Eden Prime, cette utopie ne fait pas long feu.

Tout au long de la trilogie, Mass Effect n’aura de cesse de faire éclater les préjugés du joueur par le biais du personnage de Shepard, de ses rencontres et de ses aventures. Rapidement, la Citadelle se révèle être un beau vernis qui cache de profondes imperfections.

Vue Citadelle Mass EffectLe beau melting pot galactique n’échappe malheureusement pas au racisme : les Quariens, peuple nomade exilé de sa planète natale depuis la rébellion des Geths qu’il a créés, sont vus comme des voleurs. Les humains, encore tout jeunes sur l’échiquier galactique, sont à la fois victimes de ce genre de préjugés et eux-mêmes parfois xénophobes à l’encontre de leurs nouveaux voisins.

Ainsi, ils n’ont par exemple pas encore vraiment pardonné la Guerre du Premier contact aux Turiens, la première espèce qu’ils ont rencontrée quand ils se sont lancés dans l’exploration de la galaxie. Le parti politique humain Terra Firma comme le groupe Cerberus, humain lui aussi, sont tous deux animés par une volonté de suprématie de l’humanité.

Bientôt, Shepard sera confronté à une lourde tâche : unir tous ces peuples très différents derrière une cause commune pour affronter les Moissonneurs. Malheureusement, ce qui pourrait s’avérer le sauvetage de cette utopie que le début du jeu semblait promettre se révèle tourner vite à l’Apocalypse à son tour.

💥 Les Moissonneurs, l’Apocalypse sauce Mass Effect

Comme l’Éden, l’Apocalypse trouve ses origines dans la Bible. Si on pense aujourd’hui avant tout à l’apocalypse comme la fin du monde, généralement provoquée par une catastrophe spectaculaire, c’est parce que la Bible est d’abord passée par-là.

Dans le Livre de la Révélation, dernier livre du Nouveau Testament, l’auteur décrit plusieurs visions annonçant le châtiment du monde pour délivrer le peuple du Christ. Dans Mass Effect aussi, l’Apocalypse commence par une vision. C’est celle que reçoit Shepard sur Eden Prime. C’est sa Révélation à lui.

Vision Mass Effect

Ici, les Anges furieux de l’Apocalypse seront les Moissonneurs. Les châtiments des impies, qui refusent de croire les mises en garde de Shepard, seront les Geths, les Récolteurs de Mass Effect 2, puis les Moissonneurs eux-mêmes.

Il faut attendre Mass Effect 3 pour véritablement voir s’abattre cette Apocalypse annoncée depuis le début de Mass Effect. Le prologue du troisième jeu se déroule sur Terre, où les Moissonneurs attaquent. Rapidement, la Terre est ravagée. Les Moissonneurs descendent du ciel vers la Terre comme des Anges revanchards ou des Cavaliers de l’Apocalypse.

En anglais, les Moissonneurs s’appellent « Reapers », un terme qu’on peut effectivement traduire par l’idée de moisson (« moissonneuse » se traduit bien par « reaper »), mais qu’on connaît aussi pour être le nom de la Faucheuse : « the Grim Reaper ».

Mass Effect 3 ApocalypseEt c’est bien la mort qu’incarnent les Moissonneurs quand ils s’abattent sur la galaxie. Ils sont là pour se livrer à une extinction de masse pour ne laisser que des espèces qui n’ont pas encore développé la technologie qui leur permet de voyager dans la galaxie, des espèces qui ne sont peut-être pour le moment que des petits poissons mais à qui, un jour, il poussera des jambes, jusqu’à ce qu’ils rêvent à leur tour des étoiles et construisent leur propre vaisseau.

Dans le prologue de Mass Effect 3, le joueur vit le début de cette Apocalypse en voyant les ravages de l’attaque des Moissonneurs sur la Terre. Il passera le reste du jeu à tenter d’unifier la galaxie pour se battre contre eux, et c’est de nouveau sur Terre qu’aura lieu cette dernière bataille.

Mais elle commence d’abord dans les cieux, au-dessus de la Terre, rappelant peut-être la guerre des Anges qui fait partie de l’Apocalypse biblique et voit là aussi un affrontement final dans le ciel.

Dans la Bible, Satan est précipité sur la Terre lors de cette bataille. Et dans Mass Effect, le combat se poursuit effectivement sur Terre, dans un Londres apocalyptique. La capitale anglaise est dévastée par les Moissonneurs, triste écho à l’ouverture du jeu.

Mais pour finalement accéder aux multiples fins du jeu, que je ne spoilerai pas ici, il faut cependant que Shepard retourne sur la Citadelle.

Là, la boucle est bouclée. La Citadelle était le premier lieu où se rendait le joueur après le prologue d’Eden Prime, c’était l’utopie galactique qui allait bientôt se fissurer jusqu’à se fracasser totalement à mesure que la galaxie était mise à feu et à sang. En un sens, il est logique que ce soit aussi là que se termine l’Apocalypse.

Normandy Mass EffectÀ la toute fin du Livre de la Révélation vient un nouveau monde pour remplacer le précédent, ravagé. Une nouvelle Jérusalem descend du ciel. Dans Mass Effect, le Normandy échoue sur une planète inconnue mais d’apparence luxuriante.

Peut-être est-ce là, en fait, que la boucle est vraiment bouclée. Peut-être est-ce dans cet écho à Eden Prime, dans ce retour à l’utopie qui n’avait pas réussi à être. Le thème, en tout cas, est resté cher aux équipes de Mass Effect, car il fera son grand retour dans le quatrième jeu de la licence.

Dans Mass Effect Andromeda, l’action aura lieu plus de six-cents ans plus tard dans une autre galaxie, celle d’Andromède. De grands vaisseaux qui ne sont pas sans rappeler l’Arche de Noé y ont été envoyés entre Mass Effect 2 et Mass Effect 3. À leur bord, des humains et aliens en quête de leur propre Éden : une planète où il fera bon s’installer, un endroit pour les accueillir et créer une nouvelle société. Une nouvelle utopie ?

Trinity Matrix

Et si Trinity était la véritable héroïne de Matrix ?

⚠️ Attention ! Cet article contient des spoilers sur Matrix Resurrections ! ⚠️

Matrix Resurrections est sorti en décembre et a fait un flop au box-office. Le film a notamment été descendu par des critiques et spectateurs visiblement passés à côté de son discours, de son côté méta et du regard qu’il porte sur son époque, vingt ans après la trilogie originale (ça, c’est dit).

Mais soit. Peut-être n’avait-on pas vraiment besoin d’un quatrième Matrix. Il n’en reste pas moins que ce dernier opus a creusé des choses intéressantes et bouclé certaines thématiques de la saga. Parmi celles-ci, le rôle de Trinity : et si, finalement, Neo n’avait jamais été le vrai héros de Matrix ?

💌 Sans Trinity, pas d’Élu

À la fin de Matrix Revolution, Trinity et Neo avaient été laissés pour morts. La résurrection de Matrix 4, ce sera donc celle de l’une et de l’autre autant que celle d’une saga qu’on croyait terminée il y a vingt ans. Ce sera aussi la résurrection d’une histoire d’amour, celle née entre Trinity et Neo dès le premier volet de la saga des sœurs Wachowski.

Matrix ResurrectionsDans Matrix Resurrections, voilà donc Neo redevenu Thomas Anderson. Il est concepteur de jeux vidéo, notamment récompensé pour la création de… Matrix, une série de jeux à succès. Ses souvenirs ont été effacés et Trinity, Morpheus et l’Oracle ne sont plus que les personnages d’un jeu vidéo qu’il confond parfois avec le réel.

Thomas Anderson est aussi un peu amoureux d’une femme qu’il croise régulièrement dans le café où il a ses habitudes. Elle s’appelle Tiffany et ressemble de façon flagrante à l’héroïne de son jeu vidéo. Elle est aussi mariée et mère de famille. De Trinity, il lui reste surtout une passion pour la moto et une étrange attraction pour cet inconnu qu’elle ne devrait pourtant jamais avoir rencontré.

Matrix Resurrections est l’histoire d’un amour qui transcende la Matrice et l’oubli, plus fort que des souvenirs effacés et capable de réconcilier Neo et Trinity avec la réalité.

Les retrouvailles de Neo et Trinity – Thomas et Tiffany – sont particulièrement émouvantes. Ce sont celles de deux visages familiers qu’on sait avoir partagé cette extraordinaire histoire d’amour, désormais grisonnants et magnétiquement attirés l’un vers l’autre tout en étant persuadés de ne pas se connaître.

Dès Matrix, en 1999, Neo était l’Élu. Bien sûr, son nom est l’anagramme de « One », « l’Élu » étant la traduction de l’anglais « The One ». Mais son pseudonyme de hacker évoque naturellement la particule néo, préfixe qui indique la nouveauté, tout particulièrement en philosophie, un domaine qui a notamment inspiré les sœurs Wachowski lorsqu’elles ont construit l’univers de Matrix. Le mot vient du grec et signifie « Nouveau ».

C’est justement l’irruption de cette nouveauté, de cet élément perturbateur dans la Matrice, qui déclenchait les événements de la trilogie, conduisant à la révolution de l’Homme contre les machines.

TrinityMais Neo a mis longtemps avant d’assumer son statut d’Élu. Pire encore, il était persuadé de ne pas vraiment l’être. Dans le premier film, l’Oracle lui dit d’ailleurs qu’il n’est pas l’Élu, lui annonçant exactement ce qu’il avait besoin d’entendre. Deux personnes en revanche en sont persuadées : Morpheus et Trinity.

Pour Trinity, ce n’était pourtant pas gagné. D’abord méfiante vis-à-vis de cet inconnu, elle finit par en tomber amoureuse et par croire de toutes ses forces en Neo. Là, elle se met aussi à croire qu’il est bien l’Élu. Parce qu’à elle, l’Oracle a jadis annoncé quelque chose de différent : elle lui a dit qu’elle tomberait un jour amoureuse, et que cet homme qu’elle aimerait serait l’Élu.

Alors que Neo est au bord de la mort dans Matrix, Trinity lui chuchote la prophétie qui lui a été faite. Il ne peut pas mourir parce qu’on lui a dit qu’elle serait amoureuse de l’Élu, et qu’elle est tombée amoureuse de lui. La conclusion logique veut donc que Neo soit l’Élu.

Alors que Morpheus en est déjà persuadé, Neo ne croit donc initialement pas être l’Élu. Ce n’est que parce que Trinity y croit, et qu’elle croit en lui, que Neo cesse de douter de lui-même et se met à assumer sa position et son statut.

👼 Trinity dans Matrix, une figure de salvation

C’est ainsi par Trinity que Neo devient alors véritablement l’Élu. C’est cet amour qu’elle lui porte qui se trouve être la genèse de Neo comme Élu, comme cette figure de sauveur qu’il incarne dans la trilogie.

En le sauvant de la mort comme elle le fait, Trinity a elle-même une connotation divine qui n’est pas sans faire écho à son prénom. Là aussi, il s’agit de son pseudonyme, un nom qui signifie évidemment « Trinité » et n’est pas sans évoquer la Sainte Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Si Morpheus incarne initialement cette figure paternelle et Neo, le nouveau, celle du Fils, cela laisse donc le Saint-Esprit à Trinity, qui lèvera Neo des morts et sera la vraie sauveuse du film : celle par qui Neo quittera la Matrice.

Trinity et Neo MatrixSon amour est si puissant qu’il ramène Neo de la mort. Elle incarne ainsi la salvation chrétienne qu’annonce son prénom, ainsi que la vie éternelle qu’il est possible d’atteindre par le biais de la Sainte Trinité.

Bref : sans Trinity, pas d’Élu. Elle est là pour le guider à chaque étape. Sans elle, Neo serait resté Thomas Anderson. Sans elle encore, Neo ne serait jamais parvenu à Morpheus et n’aurait jamais choisi la pilule rouge. Sans elle toujours, Neo serait probablement mort dans son fauteuil et Matrix se serait arrêté là.

Dès lors, il n’est probablement pas surprenant de lire la dédicace que fait Lana Wachowski à ses parents dans le générique de Matrix Resurrections. « Love is the genesis of everything », écrit-elle. Soit, pour les non-anglophones, « L’amour est la genèse de tout ».

Matrix Resurrections va au bout de cette idée. Ainsi, le film débute en rejouant l’ouverture du premier Matrix, plaçant une fois encore Trinity au début de tout. C’est dans cette scène que s’insère Bugs, une scène centrée non autour de Neo, mais bien de Trinity. Là aussi, elle sera la genèse de l’histoire.

Elle en sera aussi – et surtout – la clef. La quête de Matrix Resurrections sera celle de Neo, décidé à retrouver Trinity pour l’arracher à la Matrice. Dans un retournement des rôles, c’est cette fois lui qui ira la sortir de son cocon pour la faire renaître.

Mais pour cela, il faudra la convaincre. Il faudra aller la chercher au plus profond d’elle-même pour passer outre l’amnésie et lui rappeler par un mot, un geste, l’amour qui les unit. Cet amour est plus fort que les interrogations sur la réalité et capable de jeter un pont entre la Matrice et le Réel, conduisant à la chute de l’Analyste.

Trinity Matrix 4Pour gagner la partie cette fois-ci, tout reposera donc sur les épaules de Trinity. C’est son choix, et pas celui de Neo, qui est tout l’enjeu du film, son choix à elle qui libèrera l’humanité. Il faut qu’elle accepte d’elle-même de quitter la Matrice et Neo est tellement persuadé qu’il y arrivera qu’il accepte de se rendre si Trinity ne le suit pas.

Mais n’a-t-elle finalement pas toujours joué ce rôle ? N’est-ce pas Trinity qui, depuis le tout premier Matrix, a donné à Neo la force de s’accomplir ? Et ainsi, n’a-t-elle pas toujours été celle qui portait le destin du monde sur ses épaules ?

À la fin du film, c’est Trinity qui récupère le pouvoir de voler que Neo n’arrive pas à retrouver dans ce volet. C’est très littéralement elle qui le sauve, le porte et l’entraîne. « Love lift us up where we belong », chantait Joe Cocker (désolée, on a les références qu’on mérite).

Dans Matrix Resurrections, l’émancipation passera donc par l’amour. C’est peut-être là la seule échappatoire à la Matrice, en tout cas le moteur de la libération. Quoi qu’il en soit, le salut n’aura donc jamais été le fait d’un homme, mais celui d’une femme – ou peut-être de leur couple.

Et, finalement, peut-être est-ce là ce qu’il fallait venir chercher dans ce nouveau Matrix. Pas un film d’action au goût d’autrefois, mais une histoire d’amour. Une histoire d’amour qui a toujours été au cœur de la saga pour ceux qui voulaient bien la voir.

Films de Noël

Les films de Noël : histoire d’un succès

Si comme moi vous avez grandi dans les années 90 et 2000, vous savez que les meilleurs films de Noël sont Die Hard (si), Maman, j’ai raté l’avion, Le Grinch et, pour les plus romantiques d’entre nous, Love Actually. Enfant, vous saviez aussi que regarder la télévision pendant vos vacances de Noël chez vos grands-parents ou votre tante Monique voulait dire regarder une énième rediffusion du Père Noël est une ordure et de La vie est belle – le film de Capra, pas celui sur la déportation.

Aujourd’hui, les films de Noël sont devenus une véritable industrie. Une industrie qui a ses géants, comme Hallmark et Netflix. Tous les ans, ils publient dès l’automne le calendrier de sortie de leurs (télé)films de Noël, comme une sorte de calendrier de l’avent avec des films à la place des chocolats.

Si les films de Noël ne datent pas d’hier, ils ont certainement proliféré ces dernières années. Chaque année, Netflix double son contenu thématique sur Noël. La chaîne américaine Lifetime en fait autant. Mais alors, comment expliquer un tel succès ? Et surtout, qu’est-ce qui a changé ?

🎄 Aux origines du boom des films de Noël

Films de Noël HallmarkCette tendance croissante remonte à une douzaine d’années. C’est en 2009 que la chaîne Hallmark, spécialisée dans les téléfilms romantiques de qualité généralement discutable, a commencé à parier sur les films de Noël pour varier ses contenus. C’était la première année du Countdown to Christmas, le compte-à-rebours télévisuel de la chaîne vers Noël.

Il faut aussi souligner qu’Hallmark est également connue pour ses cartes : la production de téléfilms de Noël s’inscrivait donc dans une volonté de lier la chaîne à cette autre activité. Et ainsi, Hallmark pouvait régner sur les foyers américains durant toute la fin de l’année.

C’est aussi ainsi que la formule parfaite du film de Noël est née : une comédie romantique d’Hallmark avec des flocons en plus. Des films simplistes, bourrés de bons sentiments et à la fin prévisible, mais dont la recette a trouvé preneur, au point qu’Hallmark produise désormais plus de quarante films de Noël par an.

Ces téléfilms ciblent principalement les femmes de 25 à 54 ans et attirent chaque année plusieurs millions de téléspectateurs (3,5 millions en 2019, première année à atteindre les 40 films de Noël diffusés).

La formule est maintenant si bien rodée qu’elle a presque quelque chose de scientifique, du budget (bas) au casting (récurrent), en passant bien sûr par les tropes, ces motifs que l’on retrouve d’un film à l’autre au point qu’ils sont devenus de véritables clichés.

L’héroïne qui revient dans sa ville natale au fin fond de nulle part après avoir construit une brillante carrière à la grande ville ? C’est un trope. Le protagoniste masculin qui est secrètement un prince ? C’est un trope. La compétition de pain d’épices/défilé de Noël/pâtisserie au cours de laquelle les deux protagonistes passeront de rivaux à amants ? C’est encore un trope.

Si Hallmark a continué de surfer sur ce que la chaîne a créé il y a douze ans, c’est parce que cette formule fonctionne. Le kitsch est devenu cool : il suffit de regarder les réseaux sociaux. Dès qu’Halloween est passé, les films de Noël envahissent les services de streaming et les chaînes TV.

Comme les audiences étaient au rendez-vous, le phénomène s’est déplacé sur d’autres chaînes, Lifetime en tête. Avec la montée du streaming, il s’est logiquement installé sur Netflix, Disney+, Amazon Prime et Apple TV, qui sont devenus de sérieux concurrents à l’usine à téléfilms de Noël des acteurs historiques.

🎁 À la recherche du feel-good movie de Noël

La vie est belle film de NoëlLa raison première de ce succès se trouve dans la période de l’année elle-même. Si les films de Noël fonctionnent si bien, c’est parce qu’ils sont diffusés à Noël. Il fait froid et il pleut, on a envie de se rouler en boule dans son lit avec un film. Il n’a pas besoin d’être bon : il a besoin d’apporter sa dose de réconfort.

Les films de Noël se laissent regarder sans réclamer trop d’attention ou de concentration. Parce qu’ils sont pleins de ces tropes, ils se ressemblent un peu tous. On peut facilement s’endormir devant au milieu de l’après-midi entre la dinde et le canard sans rien rater de l’intrigue.

Ils sont aussi pleins des sentiments qui sont associés à Noël : la joie de vivre, l’esprit familial, la réconciliation. Ce sont les lumières, la neige, les cadeaux. C’est la raison pour laquelle on y retrouve si souvent ces petites villes tout droit sorties d’une carte postale et forcément enneigées. Elles sont le reflet exact du Noël parfait.

Souvent un peu mielleux et toujours débordants de bons sentiments, les films de Noël sont le reflet d’une inatteignable perfection.

Nous savons bien que notre Noël à nous ne ressemblera pas à celui de Sarah, avocate new-yorkaise qui retourne dans sa petite ville natale pour tomber amoureuse d’un bûcheron au grand cœur en chemise à carreaux.

Chez nous, nos grands-parents s’engueuleront sur le vaccin et Macron, la tante Monique embrayera sur la montée de l’extrême-droite et la dinde sera trop cuite. Les films de Noël représentent une échappatoire, l’antidépresseur dans lequel se réfugier et où les valeurs sont toujours à l’opposé de notre réalité : le stress, les fins de mois à boucler, le Covid, etc.

On peut aussi arguer que les films de Noël vont même un peu plus loin. D’une certaine façon, ils sont aussi le miroir de nos aspirations. Ils mesurent la façon dont nous aimerions bien vivre notre vie : un peu plus d’éthique, d’amour, de morale et d’harmonie. Une réalité alternative un peu plus rose que la nôtre.

Aujourd’hui, ils sont presque devenus un rituel dont se sont notamment emparés les jeunes. Et ce n’est pas un hasard. À une période cruciale de l’année, les films de Noël interrogent aussi sur notre quotidien, nos relations, nos vies.

À travers cette avocate de retour dans sa ville paumée, ces films opposent deux sortes de valeurs : l’ambition et le matérialisme versus ce monde idéalisé où l’entraide et la fraternité sont reines.

Ce n’est probablement pas un hasard non plus si la popularité des films de Noël s’est envolée ces dernières années. Quoi qu’il arrive, ces films finissent bien. Tout va bien dans le meilleur des mondes, et c’est une évasion au chaos de la réalité.

📽️ Ce que les films de Noël nous disent de l’industrie télévisuelle et cinématographique

Miracle on 34th Street film de NoëlSi les films de Noël ont eu droit à un vrai boom de popularité au cours des dix dernières années, ils sont aussi vieux que l’histoire du cinéma. Le premier film de Noël, Père Noël (Santa Claus en VO) de George Albert Smith, remonte à 1898 – quelques années seulement après les débuts du cinéma.

Les premiers films de Noël étaient naturellement muets, mais ils n’ont pas disparu avec le cinéma parlant. Ils ont connu leur premier âge d’or dans les années 1940 et 1950. C’est la période qui a vu sortir La vie est belle, mais aussi Miracle on 34th Street ou encore White Christmas, des films qui sont aujourd’hui partie intégrante de la culture populaire.

Est-ce un hasard si cet âge d’or a commencé juste après le début de la Seconde Guerre Mondiale, soit précisément au moment où le public avait bien besoin d’une échappatoire au quotidien ? Soulignons qu’il ne s’agit pas de films de Noël pour enfants, comme on a pu en produire un certain nombre par la suite, mais bien de films destinés à un public adulte.

Preuve du succès de ces films, les acteurs incontournables de l’époque y sont tous passés : Cary Grant lui-même a joué dans Honni soit qui mal y pense (The Bishop’s wife en VO), sorti en 1947.

Quelques années plus tard, la télévision a connu son grand essor. Et elle aussi s’est mise aux films de Noël, d’abord en ciblant les enfants dans les années 1960-1970. L’animation de l’époque avait pour habitude de produire un épisode spécial de Noël chaque année.

La télévision coûtait aussi moins cher que le cinéma, et c’est donc là qu’ont proliféré les films de Noël. C’est là que ses rediffusions ont permis à La vie est belle de devenir un film culte, ce qu’il n’avait pas su être au cinéma où il avait flopé au box-office.

Indirectement, c’est aussi grâce à la télévision que les films de Noël ont connu un nouvel âge d’or des années 1980 à 2000. Plus exactement, c’est grâce à la VHS, puis au DVD. Aujourd’hui, le streaming a fait que le Blu-Ray ne peut pas prétendre au marché monstrueux qu’ont été les cassettes et le DVD.

Mais eux ont représenté des milliards. Cela signifiait que tout ne se jouait pas au cinéma et qu’il était possible de produire des films à plus gros budget en comptant sur les ventes des VHS ou DVD par la suite.

Love Actually film de Noël

Au cinéma, les films de Noël pour enfants se disputent alors à ceux destinés aux adultes. C’est tantôt Love Actually (2003), tantôt Le Pôle Express (2004). À la télévision, les films de Noël sortent chaque année tout au long des années 80, 90 et 2000. Finalement, à la toute fin des années 2000, Hallmark et Lifetime ont fait des films de Noël leur signature.

Le streaming est venu bouleverser cette domination. Netflix, Amazon, Disney+ produisent tous leurs propres films de Noël chaque année, tout en se battant pour les droits des autres. Et si la multiplication de ces productions montre bien l’évolution de l’industrie, leur contenu tend aussi à s’inscrire dans son époque.

Longtemps, les films de Noël ont été le terrain de jeux de couples blancs, hétérosexuels et de classe au moins moyenne. Des familles « traditionnelles ». Certes tardivement, et certes lentement, les choses commencent à changer.

Cette année, Netflix a sorti son premier film de Noël homosexuel : Que souffle la romance, ou Single all the way en VO. L’année dernière, Kristen Stewart tenait le rôle principal dans Ma belle-famille, Noël et moi, sorti sur Hulu et disponible en France sur Amazon Prime Video.

Petit à petit, les castings s’élargissent, comme dans Operation Christmas Drop (2020) ou The Holiday Calendar (2018). Et ainsi, de la même façon qu’ils incarnent depuis le début du cinéma et de la télévision les évolutions de l’industrie, les films de Noël se font le reflet des changements progressifs des représentations sur le petit et le grand écran.

Prométhée dans attaque des titans

Le mythe de Prométhée dans L’Attaque des Titans

Comme je l’expliquais dans le premier article de ce blog, la quête de la connaissance est une thématique fondamentale de L’Attaque des Titans. C’est l’un des buts de la série ; c’est l’aspiration d’Erwin, obnubilé par la cave de Grisha Jäger et le savoir qu’elle renferme, ou d’Hanji.

C’est aussi pour cela que le changement de nom de Christa, qui devient Historia, est tout sauf anodin : elle devient ainsi celle qui apporte la connaissance à son peuple. Mais elle n’est pas le seul personnage à remplir un rôle similaire. Comme elle, Eren apporte à l’humanité une forme de savoir et même de pouvoir.

À ce titre, c’est encore un nouveau parallèle qu’on peut tracer entre L’Attaque des Titans et la mythologie grecque. En l’occurrence, il s’agit du mythe de Prométhée, à laquelle l’histoire d’Eren fait plusieurs échos.

🔥 Prométhée et Eren, ardents défenseurs de l’humanité

Prométhée est le frère d’Atlas, pour lequel un parallèle avec Eren peut également être dressé : cette image d’Eren portant le rocher destiné à boucher le mur de Trost, qui rappelle Atlas portant le monde sur ses épaules. Comme lui, c’est un Titan, mais au sens mythologique du terme : chez les Grecs, les Titans étaient ces divinités primordiales nées avant les dieux de l’Olympe, enfants d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre). L’un d’eux, Cronos, était notamment le père de Zeus, Héra, Hadès ou encore Poséidon.

En grec, le nom de Prométhée signifie « le prévoyant », celui qui comprend avant. Son nom même fait déjà écho à Eren, et tout particulièrement aux révélations finales du manga.

mythée prométhenMais Prométhée est avant tout le voleur du feu. Alors que les Hommes le possédaient depuis l’âge d’or, Zeus les en priva pour se venger de Prométhée. Au cours d’un sacrifice de taureau, Zeus lui avait en effet demandé de décider quelle part reviendrait aux Hommes, et laquelle serait pour les dieux. Défenseur des Hommes qu’il avait créés avec Athéna, Prométhée chercha à les privilégier en dupant Zeus, qui obtint des os recouverts de graisse.

Furieux, Zeus leur retira donc le feu, les privant de la possibilité de se chauffer ou de s’éclairer. Prométhée vola donc une étincelle du feu sacré pour le rendre aux Hommes. Pour le punir de ce vol, Zeus l’enchaîna sur le Caucase et le condamna à se faire dévorer le foie par un aigle, jour après jour pour l’éternité. Chaque nuit, son foie repoussait pour être de nouveau mangé le lendemain.

Prométhée finit cependant par échapper à son terrible châtiment grâce à Hercule, qui le délivra pendant l’un de ses douze travaux.

Le mythe de Prométhée est une triple métaphore. D’abord, il faut évidemment y voir l’apport du savoir aux Hommes. Mais Prométhée est aussi celui qui ose se rebeller contre l’Olympe et les dieux.

Enfin, il est le symbole d’un hybris contre les dieux, un orgueil démesuré qui dans la mythologie est souvent représenté comme la faute morale d’un héros qui finit par être maudit pour l’avoir commise : c’est le cas de Prométhée donc, mais aussi de Minos par exemple.

En trompant Poséidon et en refusant de sacrifier le taureau blanc qu’il réclamait – encore une histoire de sacrifice – Minos provoque la fureur du dieu. C’est à cause de Poséidon que Pasiphaé, l’épouse de Minos, tombe amoureuse de ce taureau et enfante le Minotaure que Minos fit ensuite enfermer dans un labyrinthe.

Lorsqu’il vole le feu, l’acte de Prométhée n’est pas seulement d’apporter celui-ci aux Hommes. Ce n’est d’ailleurs pas pour cela qu’il est puni : pas pour la transmission du savoir, mais pour le vol en lui-même. Car en volant, il a délibérément défié les dieux ; il a voulu se mesurer à eux et a commis ainsi une faute, l’équivalent grec du péché chrétien.

Au début de L’Attaque des Titans, le manga dessine deux camps : celui de l’humanité contre celui des Titans. Mais en découvrant ses pouvoirs de Titan, Eren devient celui qui les ramène du côté des Hommes. Dans ce récit, il est ainsi un peu le Prométhée de l’histoire.

C’est aussi un vol qui fait entrer en sa possession le pouvoir des Titans, alors qu’il n’est qu’un enfant. Le Titan Assaillant est volé à ceux qui le détenaient jusqu’à présent et transféré à Eren, qui découvre ses pouvoirs quelques années plus tard. Il se range alors du côté de l’humanité, qui voit dans ce nouveau pouvoir le moyen de s’affranchir du joug des Titans.

Mais Eren leur apporte bien plus qu’un pouvoir : il leur apporte aussi une forme de connaissance. C’est le pouvoir des Titans qui finit par mener l’humanité dans la cave de Grisha Jäger, où elle découvre l’existence de Mahr. C’est le pouvoir des Titans qui permet d’apprendre les véritables origines des humains réfugiés derrière les murs et des Titans qui les ont terrifiés pendant tant d’années.

Sans ce vol originel, les habitants de Paradis seraient restés derrière leurs murs et n’auraient probablement jamais appris la vérité. Au même titre que Prométhée, Eren leur apporte donc un savoir. Et comme Prométhée aussi, il se pose dès le début du manga en fervent défenseur de l’humanité – du moins jusqu’à la saison 4.

📦 Payer le prix de son péché

Mais toujours comme Prométhée, Eren doit payer le prix de son hybris et doit être puni. Dans le mythe de Prométhée, ce dernier est en fait puni deux fois : lui-même est donc enchaîné sur le Caucase, condamné à voir son foie dévoré chaque jour par un aigle, symbole de Zeus.

PandoreZeus ne s’arrête pas là. Il fait aussi façonner par Héphaïstos et Athéna une femme, Pandore, dont il offre la main au frère de Prométhée, le Titan Épiméthée. Zeus donne à Pandore une jarre qu’il lui interdit d’ouvrir. Cédant à la curiosité, Pandore finit pourtant par désobéir et libère son contenu. Ce sont tous les maux de l’humanité : la vieillesse, la guerre, la misère, l’orgueil, le vice, etc.

Dans le mythe prométhéen, Pandore incarne la curiosité et la soif d’exploration de l’humanité. C’est évidemment aussi le cas d’Eren, qui rêve dès le plus jeune âge d’aller au-delà des murs. Mais il n’est pas le seul : il faut penser au bataillon d’exploration tout entier, à Armin, à tous ces personnages poussés par la soif de connaissance.

Mais Pandore n’est pas l’héroïne de son histoire. Elle est punie pour sa curiosité. Et par le biais de la boîte de Pandore, les Hommes payent donc aussi la faute commise par Prométhée. Lui a eu le culot de défier les dieux, eux d’en profiter et d’ainsi vouloir échapper à leur condition.

Dans L’Attaque des Titans, le mythe prométhéen n’est là encore pas très loin. L’humanité paye cher le prix du pouvoir des Titans : elle doit notamment affronter la colère de Mahr, mais connaît aussi avant cela un coup d’État. En voulant lutter contre les Titans avec son nouveau pouvoir, Eren laisse aussi de nombreuses victimes derrière lui.

Les habitants de Paradis doivent surtout dire adieu à leur innocence. C’est le prix à payer pour le savoir amené par Eren et le vol du pouvoir des Titans.

Dans la mythologie, avant que Zeus ne reprenne le feu aux Hommes, ceux-ci vivaient un âge d’or. Récupérer le feu leur permet bien sûr de s’éclairer ou de se chauffer, mais aussi et surtout de forger : ils peuvent entrer dans un âge de fer. Mais rien ne leur permettra de retourner à l’âge d’or de jadis, comme les humains derrière les murs ne pourront jamais revenir en arrière.

Venue elle aussi tout droit du mythe prométhéen, Pandore illustre une dure leçon : l’humanité ne doit pas poser de questions, n’a pas à explorer, n’a pas à se montrer curieuse. Les Hommes doivent faire ce qu’on leur dit, rester dans la vérité qu’on leur a construite. La curiosité devient un vilain défaut qui peut condamner l’humanité.

Et d’une certaine façon, peut-être valait-il mieux ne jamais découvrir la vérité. Le savoir qu’apportent Eren et Historia à l’humanité finit par les mener à la guerre contre Mahr et à ce qu’elle déclenche dans le dernier acte du manga.

🍎 De Prométhée à Eren, les enfants rebelles

Cette idée de la connaissance qui met fin au bonheur des hommes se retrouve davantage dans le christianisme que dans la mythologie grecque. On peut regarder cette fois du côté du jardin d’Éden, quand Ève mange le fruit défendu.

Ce fruit vient de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Le manger est interdit par Dieu parce que cela apporterait à Adam et Ève une connaissance nouvelle qui les mettrait sur le même plan que des dieux. Ce serait vouloir se mesurer à eux, comme Prométhée le fait lui aussi en dérobant le feu sacré.

péché originelC’est ce péché originel qui vaut à Adam et Ève d’être chassés du jardin d’Éden. Si l’on peut difficilement comparer la condition des humains enfermés derrière les murs à l’Éden, il est impossible de ne pas rappeler qu’ils vivent sur une île nommée Paradis.

Et bien que parqués derrière des murs dont ils ne peuvent sortir, perpétuellement menacés par les Titans, il s’avère à mesure que le manga avance que cette situation n’était finalement pas vraiment ce qui pouvait leur arriver de pire.

Du jardin d’Éden à L’Attaque des Titans en passant par le mythe de Prométhée, l’Homme ne cesse jamais de devoir payer le prix de sa quête de connaissance. Et dans aucun de ces trois récits le problème ne vient-il vraiment de la connaissance en elle-même, mais plutôt de cette révolte contre l’ordre établi.

Quant à Eren lui-même, il n’est évidemment pas question de Caucase ni d’aigle mangeur de foie dans L’Attaque des Titans, quoique le rôle et la symbolique des oiseaux ne soient pas absents du manga. En revanche, il paye lui aussi le prix de sa faute et de son hybris, puisque c’est bien d’orgueil qu’il s’agit.

La faute, c’est d’avoir cherché à s’élever au-dessus du niveau qu’on leur a attribué – par les dieux dans le mythe de Prométhée, par les puissants aussi dans L’Attaque des Titans. Ceux-ci ont le même côté tyrannique, injuste et violent que Zeus, clairement dépeint comme un tyran dans le mythe prométhéen.

Prométhée est caractérisé dans la littérature comme un révolté romantique qui se soulève contre l’oppression de Zeus. De son côté, Eren grandit dans une société fasciste gouverné par un État martial. Le coup d’État du bataillon d’exploration, dans le courant de la série, ne fait qu’instituer un nouvel État militaire à la tête de Paradis.

Or, comme Prométhée, Eren est un éternel rebelle. Enfant déjà, il n’a pas peur de s’insurger contre sa condition : enfermé derrière ses murs, l’Homme ne vaut guère plus que du bétail à ses yeux. Tous deux partagent un même refus de se laisser assujettir et d’être inférieur, la rébellion d’Eren contre sa condition faisant donc écho à celle de Prométhée.

Voix de la révolte contre l’autoritarisme, Prométhée finit enchaîné à la roche. La vie d’Eren prend le tournant qu’on connaît, et il ne cessera de payer le prix de sa faute jusqu’à la fin du manga.

Série Urgences

Que seraient les séries TV médicales sans Urgences ?

J’ai une histoire personnelle avec Urgences. C’est la première série TV que j’ai regardée, la première que j’ai suivie. C’est Urgences qui m’a introduite à la série télévisée à proprement parler. Aujourd’hui, et malgré ses quinze saisons, elle reste la seule série que j’ai vue plusieurs fois dans son intégralité, aussi bien en VF qu’en VO.

Urgences n’était pas la première série du genre. Elle n’était pas le premier monument télévisuel médical, mais force est de constater la force de son héritage culturel. Sans Urgences, pas de Dr. House, Grey’s Anatomy, New Amsterdam ou The Resident.

La série a aussi permis de lancer d’importantes carrières, dont celle de George Clooney bien sûr, mais également vu défiler de nombreuses, parfois encore futures, stars : Julianna Margulies ou Angela Bassett par exemple, mais aussi des noms plus incongrus comme ceux de Zac Efron, Lucy Liu, Eva Mendes ou Kirsten Dunst.

🦖 De Jurassic Park à Urgences

À l’origine, Urgences est un projet de cinéma. Deux noms importants y sont attachés : Michael Crichton et Steven Spielberg. C’est Crichton, qui avait fait des études de médecine à Harvard, qui utilisa ses expériences aux urgences pour écrire un scénario dès les années 1970.

Pendant vingt ans, ce scénario resta dans un tiroir. Entretemps, Crichton avait quitté la médecine pour se consacrer entièrement à l’écriture. Et il se mit à travailler sur un tout petit roman dont vous avez peut-être déjà entendu le nom : Jurassic Park.

Au même moment, il fait la rencontre de Steven Spielberg et envisage l’adaptation de son vieux scénario médical. Plus intéressé par son roman en cours d’écriture, Spielberg se tourne vers l’adaptation de Jurassic Park, qui sort en 1993.

Mais après leur collaboration fructueuse, ils travaillent de nouveau ensemble et transforment le film envisagé en un pilote télé. Ils ouvrent ainsi la porte à Urgences, dont la diffusion commence dès 1994. Spielberg en quittera la production au bout d’un an pour la confier à John Wells, qui travaillait pour lui chez Amblin Entertainment.

Casting UrgencesCréée dans les années 1990, Urgences s’inscrit avant tout dans une tendance de l’époque : la série chorale. Elle met en scène un casting de personnages joués par des acteurs globalement peu connus au début de la série.

À Anthony Edwards, surtout connu pour Top Gun, est confié le rôle du Dr. Mark Greene. George Clooney, période pré-Nespresso, joue le pédiatre rebelle Doug Ross. Eriq La Salle incarne le chirurgien Peter Benton. Côté rôles féminins, Julianna Margulies, la future Alicia Florrick de The Good Wife, joue l’infirmière Carol Hathaway, et Sherry Stringfield (NYPD Blue, Under the dome) le Dr. Susan Lewis. Enfin, Noah Wyle (Donnie Darko, Falling Skies) hérite du rôle du jeune étudiant en médecine John Carter.

Aucun ne restera pour les 331 épisodes de la série. Si tous feront au moins un passage dans la dernière saison, c’est Noah Wyle qui incarnera le plus longtemps son personnage à l’écran.

Au fil des années et des saisons, de nombreux soignants et acteurs défileront donc dans Urgences : Maura Tierney (The Affair), Alex Kingston (Doctor Who), Parminder Nagra (Joue-la comme Beckham), John Stamos (La fête à la maison) ou encore Angela Bassett (Tina, Black Panther) parmi beaucoup d’autres.

Avant Urgences, d’autres séries comme St Elsewhere, aussi un drama médical, et NYPD Blue avaient déjà lancé l’explosion des séries chorales. Mais ce casting est aussi une des raisons du succès d’Urgences.

D’abord, c’est à travers ces médecins et infirmiers que la série fait de l’humain. Refusant de s’inscrire dans la tendance des médecins de télévision parfaits qui sauvent tous les patients, Urgences préfère l’innovation et en fait des humains faillibles.

Quand Urgences a débarqué à la télévision, la coutume voulait qu’un drama médical sauve tout le monde. Aujourd’hui, toutes ces séries médicales ont bien admis la règle selon laquelle la mort de patients est une condition sine qua non du réalisme.

Entre 1982 et 1988, St Elsewhere avait commencé à y toucher. Comme elle, Urgences refuse que ses personnages soient des médecins qui sauvent tout le monde et les confronte aux erreurs médicales, à la perte de patients. C’est une condition de la vérisimilitude que la série veut mettre en avant, et c’est en partie ce qui a en fait une série médicale révolutionnaire.

Mais Urgences se sert aussi de ses personnages pour faire du feuilletonnant. Et cela aussi, c’est une évolution importante des séries télévisées des années 1980. Dans Urgences, il n’est plus question du malade de la semaine : à quelques exceptions près, chaque épisode voit plusieurs patients, plusieurs cas. En revanche, les storylines des personnages se déroulent sur plusieurs épisodes et plusieurs saisons.

Urgences, ou le début d’un âge d’or pour les séries médicales

Sur le plan narratif et scénaristique, Urgences tente donc la nouveauté. La série n’a ainsi jamais hésité à s’attaquer à de grandes questions de société ou de santé et a joué un rôle important dans la sensibilisation du public à ces thématiques.

Bien avant Grey’s Anatomy, The Resident ou encore New Amsterdam, Urgences s’est attachée à mettre en avant le racisme, l’homophobie, mais aussi le sida, la guerre en Irak, etc. Elle explore la question de la séropositivité à travers le personnage de Jeannie Boulet, consacre un long pan scénaristique au Darfour grâce aux docteurs Carter et Kovač.

Urgences s’attache aussi à mettre en place un scénario dramatisé, mais toujours crédible. La série se distingue notamment par l’embauche de conseillers praticiens qui relisent les scénarii et d’extras qui sont souvent des vrais médecins ou infirmiers.

Urgences a été l’une des premières séries médicales à prendre la médecine au sérieux, à ne pas en faire qu’un arrière-plan pour son récit. Son approche de la médecine a profondément marqué son public : dans la 2nde moitié des années 90, il n’était pas rare d’aller voir son docteur en faisant référence à un cas vu dans la série. Aujourd’hui encore, Urgences reste une série adorée par… les étudiants en médecine.

Réalisme UrgencesPour appuyer ce réalisme, Urgences reconstitue en studio un vrai étage d’hôpital avec des portes qui ouvrent vraiment sur des salles, des plafonds, etc. C’est le long de ces couloirs et de ces salles que virevolte la caméra d’une réalisation aussi révolutionnaire que les choix narratifs de la série.

Urgences se démarque notamment par sa steadicam signature pour les scènes d’action, une technique empruntée au cinéma, ses longs travellings et ses plans-séquences. Alors que cette technique est peu utilisée à la télévision au début des années 1990, Urgences s’affirme ainsi comme une série radicalement différente de ce qui se faisait à l’époque.

Ces choix esthétiques radicaux empruntent notamment au polar des années 80, mais viennent aussi nourrir l’ambiance que la série veut mettre en avant : le rythme frénétique des urgences, le chaos de l’hôpital. Urgences n’a pas peur de piocher du côté du cinéma, floutant les contours et frontières entre les médias.

Ainsi, Quentin Tarantino lui-même réalise un épisode de la première saison d’Urgences. De grandes stars du cinéma de l’époque viennent faire un caméo ou jouer un personnage secondaire le temps d’un épisode, comme Ewan McGregor qui sortait récemment de Trainspotting.

Le style d’Urgences est probablement l’une des raisons du succès de la série. Regarder Urgences, c’était presque comme voir un film, à une époque où la démarcation entre cinéma et télévision était bien plus forte que maintenant.

Aujourd’hui, certains trouvent Urgences datée. Ce n’est pas que la série a mal vieilli ; au contraire, elle tient toujours bien la route même après plus de 25 ans. C’est plutôt qu’il est difficile de la regarder comme on pouvait la découvrir en 1994. Elle a planté tant de jalons et inspiré tant d’autres séries que ses innovations ne nous paraissent plus révolutionnaires. Et pour cause : on les a vues et revues depuis.

Sur le petit écran, l’influence et l’héritage d’Urgences ont de loin dépassé le seul cadre des séries médicales. Ce n’était pas la première série à prétendre à une telle sophistication visuelle : NYPD Blue, pour ne citer qu’elle, l’a fait aussi. Mais Urgences est probablement allée plus loin qu’aucune autre série et a ainsi ouvert la porte à une nouvelle approche de la réalisation télévisuelle, lançant des techniques que la plupart des séries actuelles ont utilisé à un moment ou un autre.

Son influence visuelle se retrouve chez des séries médicales comme Grey’s Anatomy, mais aussi bien d’autres productions TV : Friday Night Lights, The West Wing, ou encore des séries plus surprenantes comme The Wire, Game of Thrones, Les Soprano. En fait, toutes les séries ayant recouru dans une scène ou l’autre à cette caméra signature, parfois même sans s’en rendre compte, sans savoir.

En tout cas, le public des années 90 ne s’y est pas trompé : la série a été un immense carton, numéro 1 des audiences deux saisons de suite (les saisons 2 et 3 en l’occurrence) et auréolée par 23 Emmy Awards.

🇫🇷 Le succès français d’Urgences

L’héritage et l’influence d’Urgences sont allés bien au-delà des États-Unis. Si la série a clairement laissé sa marque dans le paysage télévisé américain, elle a également été un succès à l’étranger.
On l’a dit : Urgences n’était pas la première série médicale à succès. Medical Center et St Elsewhere étaient déjà passées par-là. Mais la télévision française ne s’y était guère intéressée, notamment parce qu’elle était quelque peu découragée par l’ordre des médecins de diffuser ces séries.

En France, la première saison a débarqué sur France 2 le jeudi soir. C’était en 1996. La série est un tel succès que France 2 enchaîne avec la saison 2. Urgences ne quittera France 2 qu’en août 2010, au terme de la quinzième et dernière saison. Depuis, elle n’a cessé d’être rediffusée, d’abord sur France 4, aujourd’hui sur HD1.

Diffusion Urgences FranceMais la série n’est pas restée sur le créneau du jeudi soir très longtemps. Urgences a été l’un des tout premiers cartons de série télévisée en France et a réussi l’exploit de remplacer le célèbre film du dimanche soir.

À l’époque, TF1 ne s’était pas positionnée pour acheter les droits d’Urgences, justement parce que les séries médicales n’étaient pas en vogue dans l’Hexagone. En achetant Urgences, France 2 tentait un véritable coup de poker. La chaîne en fait ainsi la première série américaine diffusée en prime time sur le service public. TF1 a dû s’en mordre les doigts ; depuis, la chaîne n’a laissé passer aucune série médicale : ni Grey’s Anatomy, ni Dr. House, ni The Resident, ni New Amsterdam, et pas même Good doctor.

Il a fallu pourtant attendre le printemps dernier pour qu’Urgences parte enfin à la conquête de la VOD. Depuis le mois d’avril, l’intégralité de la série est disponible sur Salto. Oui, Urgences a vieilli. Elle reste avant tout la série d’une génération, celle qui regardait la télévision dans la seconde moitié des années 90 et le début des années 2000. Mais elle reste aussi un phénomène télévisuel comme il n’y en a pas eu beaucoup à l’époque, ni aux États-Unis où elle réunissait plus de 30 millions de téléspectateurs au moment de ses troisième et quatrième saisons, ni en France où elle a marqué le début du déferlement des séries américaines – et pas seulement médicales.

Urgences reste aussi une série qui a osé. Parmi ses innovations techniques, on peut notamment citer son fameux épisode en direct, le premier de la saison 4. L’épisode a été tourné et diffusé en direct deux fois : une fois pour la côte Est, une pour la côte Ouest. Dans l’Hexagone, France 2 diffusa lui aussi l’épisode en direct, à 4 heures du matin.

En son temps, rien n’arrêtait Urgences. Elle a ouvert l’âge d’or du drama médical, mais aussi laissé à la télévision toute entière un puissant héritage. La grande majorité des séries télévisées des vingt ou vingt-cinq dernières années seraient radicalement différentes si Urgences n’était pas passée par-là. D’une façon ou d’une autre, toutes lui doivent quelque chose. Et pour le meilleur comme pour le pire, Urgences a révolutionné le paysage audiovisuel avant, doucement, de s’éclipser derrière les graines qu’elle avait plantées.

Le post-apocalyptique : visions du futur et échos du présent

Il suffit d’ouvrir Netflix pour s’en rendre compte : le post-apocalyptique, ou post-apo pour les initiés, a toujours la forme. Loin d’entamer son succès, la pandémie l’a probablement nourri. Tout en jonglant entre les remakes de ses gloires passées et les nouveaux volets, Resident Evil a récemment sorti sa nouvelle mini-série Infinite Darkness. Sur grand écran, Le dernier voyage a mis le post-apo au service de la science-fiction française ; Sans un bruit 2 a attiré les foules dans les salles obscures. Non, décidément, le post-apo va bien – merci pour lui.

On pourrait s’étonner. Après tout, nous avons nous-mêmes un peu vécu l’Apocalypse pour de vrai. Avons-nous toujours vraiment besoin de ces fantasmes de destruction jusque dans nos loisirs ? Au début de la pandémie, le succès d’un film nous a clairement montré que oui : soudain, alors qu’il était sorti en 2011, Contagion retrouvait les faveurs des spectateurs et explosait en streaming.

Les parallèles avec ce récit d’un virus venu des chauves-souris d’Asie étaient trop flagrants pour être ignorés. Le Figaro parlait au printemps 2020 d’un film « visionnaire », Libération s’interrogeait dans un billet intitulé « Coronavirus : et si Contagion avait tout prévu ? ». Alors qu’il n’avait pas fait fureur au box-office neuf ans plus tôt, voilà que le film pointait en tête des œuvres les plus regardées sur Netflix.

Aux origines du post-apo

Mais rembobinons un peu. Pour bien comprendre le genre post-apocalyptique, il faut avant tout saisir d’où il vient. Le post-apo est en fait avant tout un sous-genre : c’est de la science-fiction. Il met en scène un monde où la civilisation s’est effondrée après une catastrophe, quelle qu’elle soit.

Ainsi, on croise régulièrement des hivers nucléaires, des invasions extraterrestres, mais aussi des pandémies ou des désastres écologiques. Il ne faut pas le confondre avec les films catastrophes ou apocalyptiques : tout l’intérêt du post-apo se trouve dans ce post. Le post-apo, c’est l’Après : l’Après civilisation, l’Après catastrophe, l’Après effondrement. Ce qu’il reste de ce monde et de ses survivants.

Ce sont les principales caractéristiques qui définissent le genre post-apocalyptique :

  1. La civilisation telle qu’on la connaît a été détruite ;
  2. Le récit s’intéresse aux survivants de cette société.

Dans notre histoire culturelle, le genre post-apocalyptique remonte à loin, très loin. On le trouve dès la mythologie et l’Antiquité, où la crainte d’une fin du monde est déjà bien présente. Le Ragnarök dans la mythologie scandinave, l’Arche de Noé… L’Apocalypse émaille déjà les récits.

Origines post-apoPlus récemment, le post-apo pointe de nouveau le bout de son nez dans la littérature du 19ème siècle. On entend beaucoup parler du Dernier Homme de Mary Shelley, également connue pour Frankenstein, ou de After London de Richard Jefferies, qui marque une étape fondamentale dans le développement du genre post-apocalyptique tel qu’on le connaît.

Mais c’est au 20ème siècle qu’il gagne vraiment du terrain, et ce n’est évidemment pas un hasard. Parce que c’est plus précisément dans les années 1950, après Hiroshima et en pleine guerre froide, que le post-apo s’est brusquement propulsé sur le devant de la scène de la science-fiction.

À l’époque, l’aspect scientifique de la science-fiction est plus que jamais présent dans ces récits. Le nucléaire est omniprésent dans les œuvres post-apocalyptiques des années 1950. Judith Merril, Leigh Brackett, John Wyndham, Richard Matheson ou Nevil Shute publient tous des livres où les tensions de la guerre froide ressurgissent plus ou moins implicitement : ici, les Soviétiques sont responsables de la création de plantes carnivores qui menacent l’humanité ; là, les États-Unis tentent de se remettre d’une attaque nucléaire.

Du côté du cinéma, le post-apo se distingue notamment par un refus de montrer les victimes de l’Apocalypse et les corps. Quelques années après l’Holocauste et Hiroshima, le cinéma refuse de sombrer dans les représentations graphiques de l’Apocalypse, notamment quand elle est nucléaire.

Il faudra attendre les années 1980 (!) pour que les effets du nucléaire se montrent à l’écran dans leur aspect le plus cru. Jusque-là, le cinéma préfère montrer ses conséquences futures plusieurs centaines d’années après l’Apocalypse. Ou il choisit d’ignorer les armes, les corps, les brûlures, les flammes, la mort et les radiations au profit d’un message antimilitariste propre à son temps.

Le post-apo, produit de son temps

Son temps, justement : c’est là l’une des clefs du genre post-apocalyptique. En retraçant son histoire et son évolution, on voit bien à quel point le présent a pesé sur le post-apo. À partir des années 1960, à mesure qu’Hiroshima et Nagasaki étaient un peu plus relayés dans le passé, que la crise des missiles de Cuba était elle aussi derrière nous, le post-apo s’est tourné vers d’autres thématiques que le nucléaire.

La surpopulation, la pollution et les catastrophes écologiques se sont mises à émailler les œuvres post-apocalyptiques, tant en littérature qu’au cinéma. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que le nucléaire a totalement disparu du genre post-apocalyptique. Il suffit de penser à la franchise Fallout ou à Mad Max. Le thème a notamment été relancé à la fin des années 1980, après l’accident de Tchernobyl.

Mais dans les années 1960 et 1970, les causes de l’Apocalypse se sont déplacées, trahissant des préoccupations nouvelles. Et c’est, comme on l’a dit, l’une des clefs du succès du post-apo : il est lié au monde contemporain ; il est un écho des peurs du présent et des craintes sur l’avenir.

Aujourd’hui, le post-apo mange à tous les râteliers : les extraterrestres, les zombies, les catastrophes climatiques, écologiques ou nucléaires… Tout est bon pour justifier la fin du monde.

Deux raisons l’expliquent : d’abord, la fin du monde fascine en elle-même. Ensuite, l’Apocalypse en soit n’est pas l’enjeu du post-apo.

On l’a expliqué, la fascination pour la fin du monde remonte à l’Antiquité. Dans toutes les mythologies, l’Apocalypse fait son apparition. Les Mayas, les Assyriens… tous ont envisagé une possible fin du monde plus ou moins proche, même avant la Bible.

L’escathologie est donc à la base même de notre société et fait partie de notre culture depuis que l’Homme est un être civilisé. D’un point de vue psychologique, la fin du monde renvoie aussi à certaines idées particulièrement menaçantes. La société, en tant que telle, s’évertue à donner une certaine signification à nos vies, à notre Histoire. Elle cherche à nous donner un sens.

La fin du monde sort de ce schéma. Elle est incontrôlable, au même titre que la mort, et s’il est bien quelque chose qu’elle n’a pas, c’est un sens. Elle échappe totalement à nos repères et à nos constructions sociales.

Il faut ajouter à cela qu’aujourd’hui, la fin du monde nous fascine probablement parce qu’elle est plus tangible que jamais. Si le nucléaire a envahi la littérature post-apocalyptique des années 1950, puis le cinéma dans la foulée, c’est parce qu’il était soudain devenu plus une vraie menace, une réalité.

La Route film post-apoDésormais, toutes nos pires craintes sont possibles. Alors que le réchauffement climatique avance à grandes enjambées, une catastrophe écologique n’est plus seulement envisageable dans un monde imaginaire : elle est une possibilité de plus en plus concrète. Le Jour d’Après, Le Transperceneige, Interstellar ou encore La Route sont tous des échos d’une triste réalité : dans un futur de moins en moins lointain, ces possibles sont devenus des probables.

Mais alors, où sont les zombies qui ont envahi les films catastrophes et post-apocalyptiques ? Si nous ne vivons pas encore dans Resident Evil, nous savons désormais, en 2021, que nous ne sommes plus à l’abri d’une pandémie.

Les zombies si chers à la science-fiction sont généralement la conséquence d’une autre catastrophe : en général biologique après un virus, mais parfois aussi nucléaire. Surtout, ils sont, comme les extraterrestres, le produit d’une vraie réflexion du genre post-apocalyptique.

Ces œuvres sont souvent l’occasion de refléter une humanité qui, en cas de catastrophe, n’hésitera pas à se déchirer pour des ressources ou à s’entretuer. Ces monstres sont l’allégorie de nos angoisses apocalyptiques, du déracinement qui irait avec, de l’effondrement de la civilisation.

Pour les fuir, la société doit se replier, quitter son foyer. Ces créatures sont donc le récit d’une fuite, d’une perte de territoire, d’une transformation de l’environnement connu. Mais face à eux, la société doit aussi se mettre à craindre l’Autre, l’alien non pas au sens d’extraterrestre mais d’étranger voire même d’ennemi.

Bref : le monstre apocalyptique n’est pas à prendre au pied de la lettre. C’est la catastrophe qu’il représente qui fait écho à nos craintes d’aujourd’hui. Il est là pour montrer la disparition de toute éthique, la lutte pour la survie, la violence dont est capable l’humanité.

Et en cela, le genre post-apocalyptique, qu’il choisisse de mettre en scène une catastrophe climatique ou un virus qui transforme les gens en zombie, reflète encore et toujours les craintes d’une génération. Ce n’est pas un hasard si le post-apo fonctionne si bien dans les œuvres adressées à la jeunesse : The Hunger Games, Gone ou Divergente l’ont bien prouvé.

Quand le post-apocalyptique se prend à espérer

Au cœur du post-apo se trouve cependant un autre thème : non pas celui de l’effondrement, mais celui de la survie. C’est l’autre caractéristique du genre. Si le post-apo est naturellement très pessimiste quant à ce que nous réserve le futur, il fait aussi preuve d’un optimisme désespéré.

Par définition, le genre post-apocalyptique dépeint donc l’après-Catastrophe, l’après-Apocalypse. Il se penche sur ce qu’il reste de notre civilisation détruite, quand la société telle qu’on la connaît n’existe plus. Il est parfois le récit d’un exode et d’un déracinement, parfois d’une tentative de réorganisation. Selon le synopsis, il oscille entre la reconstruction d’une société et l’appel de la route.

Dans les deux cas, le post-apo se fait le récit d’un monde où existe encore quelque chose. Il aime mettre en scène un sanctuaire (Je suis une légende, Bird Box…) ou une place forte où la vie peut continuer (de Fallout à Love and Monsters, sorti sur Netflix en 2020).

The Last of Us jeu vidéo post-apoDans le jeu vidéo, il fait même du joueur l’acteur de cette survie : c’est lui qui a en main les clefs de l’histoire, comme une révolte contre le sentiment d’impuissance qui a nourri notre fascination pour la fin du monde et l’Apocalypse. À lui donc de lutter contre les monstres, de restaurer l’ordre, de reconstruire une communauté.

Face à la destruction de la société, le genre post-apocalyptique veut donc généralement aller bien au-delà de la survie pour la survie. Au bout du compte, il y a un but : il sera un vaccin, une réunion de la famille, l’esquisse d’une nouvelle société organisée, une graine de nouvelle civilisation. Même dans les œuvres les plus pessimistes, il reste souvent un semblant d’humanité, un brouillon de société. On ne raconte pas le néant.

Ainsi, le post-apo se pose avant tout la question de l’évolution de la civilisation humaine, de ses nouvelles normes, de ses nouvelles valeurs, dans un monde qui a perdu tous ses repères. On se tue, on se déchire, on cède à la violence, mais on essaye aussi de s’en sortir et parfois de reconstruire quelque chose.

Après l’Apocalypse, les valeurs traditionnelles, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales, ne sont plus. Et pourtant, les œuvres post-apocalyptiques aiment tourner autour d’une sauvegarde ou d’un rétablissement de ces normes. Quand le héros essaye de retrouver les siens ou de protéger sa famille (A quiet place, World War Z…), c’est la cellule familiale qu’il tente de préserver. Ailleurs, c’est l’ordre moral, politique et/ou militaire qu’il cherche à rétablir (Tom Clancy’s The Division et sa suite, par exemple).

Le post-apo doit donc imaginer ce que pourraient devenir les rapports moraux et sociaux des êtres humains, quelles sociétés pourraient se mettre en place. Il s’intéresse à une éventuelle renaissance de l’humanité, dans un contexte où la nature tend à reprendre ses droits, où l’Homme redevient parfois à peine plus qu’un animal.

En somme : que restera-t-il de nous, quand rien ne sera plus ?

Dès lors, le genre post-apocalyptique doit aussi être considéré comme bien plus qu’un récit d’anticipation pessimiste : il est idéologique et critique, parfois (souvent, même quand il n’ose pas l’avouer) même politique. Critique, parce qu’il pose en permanence un certain regard sur son époque et son présent. Sur les craintes de ses contemporains, d’abord, qui viennent alimenter son récit. Sur le modèle socioéconomique et politique actuel, aussi.

Le post-apo ne s’intéresse pas à la catastrophe en elle-même. Parfois, son origine n’est même pas toujours très claire. Il arrive qu’elle ne soit ni montrée, ni racontée : elle est un état de fait, un point X dans le passé. Ce qui est au cœur du post-apo, c’est cet Après un peu mythique qui viendra après la fin du monde, ce qu’il adviendra une fois la catastrophe passée.

The Walking Dead série post-apoL’Apocalypse est alors une excuse pour explorer les faiblesses de notre société, tout ce qui pourrait nous déchirer et nous détruire. Et le post-apo de raconter la futilité de nos normes et leur incapacité à demeurer en pleine crise. Ne restent plus que les ruines d’un monde qui n’est plus, traces physiques d’un écroulement qui va bien au-delà du matériel.

Ce faisant, le post-apo explore et met en scène nos peurs les plus actuelles, les plus profondes. Mais il y a peut-être quelque chose de fantasmatique et de jouissif, aussi, à porter un regard sur notre Histoire depuis un futur où tout n’est plus que poussière. À regarder le passé, notre présent, depuis les ruines de l’Apocalypse.

Et surtout, les œuvres post-apocalyptiques ne s’arrêtent pas là. Par essence, elles s’attachent à dépeindre aussi la lutte pour la survie, puisqu’elles mettent en scène les survivants de cette Apocalypse. Elles ont même parfois quelque chose d’héroïque, avec un – ou plusieurs – héros qui lutte pour rétablir un peu des normes et valeurs perdues.

À grande échelle, il sera le Sauveur, figure mythique, parfois sacrificielle, qui rétablira un semblant d’ordre dans un monde où l’Homme est devenu un loup pour l’Homme. À petite échelle, il sera au moins un Protecteur, figure paternelle ou maternelle qui laisse entendre que même lorsque la morale n’est plus, la famille demeure – et avec elle un semblant d’humanité et de construction sociale.

Dans les deux cas, il sera une lueur d’espoir dans un monde qui n’est donc plus si noir. C’est là toute la particularité du post-apo : en représentant l’après-Apocalypse, il se plaît à imaginer tous les possibles qui pourraient nous attendre dans le futur. Et surtout, il se plaît à imaginer que quoi qu’il arrive, quelle que soit la catastrophe inéluctable – et qui sera très certainement de notre faute – qui nous attend… d’une façon ou d’une autre, nous survivrons.

mass effect

Vie, mort et renaissance dans Mass Effect

Attention ! Cet article contient des spoilers sur la fin de Mass Effect (et tout ce qu’il y avant) !

Incontestablement, Mass Effect est un représentant emblématique du RPG occidental. Un space opera dont l’univers de science-fiction est l’un des plus importants de notre génération ; un projet extrêmement ambitieux qui a laissé un lourd héritage tant dans son genre que son support, le jeu vidéo.

Lorsque Casey Hudson a proposé sa trilogie à BioWare, sans doute n’osait-il pas espérer que ce qui n’était pas encore Mass Effect deviendrait un tel monument du jeu vidéo et de la science-fiction. À l’époque, il imagine quelque chose d’un peu fou pour ce début des années 2000 : une trilogie, déjà, où les choix du joueur seraient pris en compte d’un jeu à l’autre. Il pitche à BioWare un vaisseau spatial personnalisable, des dizaines de mondes à explorer générés de façon procédurale (coucou, No Man’s Sky !), des relations avec ses coéquipiers, et un gameplay comme on n’en a encore jamais vu.

Le projet est en fait trop ambitieux. Il faut abandonner certaines idées : un mode multijoueur qui aurait permis aux joueurs de s’échanger des ressources en ligne et la génération procédurale des planètes sont notamment écartés. Mais s’il est vrai qu’aujourd’hui le gameplay du premier Mass Effect, sorti en 2007, a quelque peu vieilli, il est aussi venu bouleverser le RPG en proposant une formule nouvelle, qui sera revue, enrichie et améliorée pour les volets suivants.

Mais au-delà de ce qu’il a changé en termes de personnages, de romances, de gameplay et de lore, Mass Effect a aussi montré qu’il n’avait pas peur de s’attaquer à des thématiques ou questionnements éthiques et philosophiques.

Mass Effect, raconte-moi la vie…

Au cœur de la saga se trouve le personnage qu’incarne le joueur : le commandant Shepard. Au joueur le privilège de son genre, homme ou femme, de son prénom, de sa classe, de son histoire. Puis il s’embarque dans une incroyable épopée spatiale dans laquelle Shepard va rapidement se retrouver avec le poids du monde sur les épaules.

Sur trois jeux, Shepard, et le joueur à travers lui, va se démener pour accomplir la tâche énorme qu’on lui a confiée : rien de moins que sauver la galaxie. Tous les 50 000 ans, de façon cyclique, la vie évoluée de la galaxie est éradiquée par ceux qu’on appelle les Moissonneurs, sortes de robots géants plus grands qu’un vaisseau spatial et en partie composés de matière organique. Une forme de vie comme on n’en avait jamais vue, même dans le monde de Mass Effect.

Justement, la vie est l’une des grandes thématiques de la saga. Mais quelle vie, au juste ? Qu’est-ce qu’elle signifie, cette vie ? Mass Effect se déroule au XXIIème siècle, dans un futur où cohabitent de nombreuses races et cultures différentes, dans un grand melting pot dont l’apparente utopie tombe assez vite. Parmi ces races, on compte par exemple les Asari, qui ressemblent beaucoup à l’être humain, à ceci près qu’ils répondent plutôt à nos standards féminins, qu’ils sont bleus et qu’ils ont des tentacules sur la tête. On peut aussi citer les Turiens, presque reptiliens, qui sont la première espèce que rencontre l’Homme – d’où une guerre qui a marqué les deux races.

Mass Effect GethsEt puis il y a les machines. Les Moissonneurs, bien sûr, qui ne sont ni vraiment êtres organiques ni vraiment êtres synthétiques, mais aussi ceux qu’il est plus facile de classer. Ce sont notamment les Geths, des machines conscientes créées par le peuple des Quariens, qui les ont d’abord construits pour les utiliser comme main d’œuvre gratuite.

Naturellement, il n’était originellement pas question d’en faire des êtres doués de sentience. Mais à force de les améliorer, les Quariens ont permis aux Geths de développer une conscience commune. Réalisant avec effroi leur erreur, les Quariens ont voulu détruire leur création. Pour survivre, les Geths se sont donc rebellés : ils ont chassé de leur propre planète les Quariens, désormais condamnés à errer dans l’espace sans pouvoir regagner leur monde devenu inhabitable.

Les Geths ne sont pas la seule forme de vie synthétique de Mass Effect. Le jeu met également en scène de nombreuses intelligences virtuelles, mais aussi de vraies intelligences artificielles. C’est pourtant l’un des tabous de cet univers : le développement d’une véritable intelligence artificielle est interdit et constitue un tabou scientifique. Le cas des Geths a refroidi la communauté galactique, qui voit désormais l’IA comme un danger.

L’opposition entre vie synthétique et vie organique est un thème central de la série. Cycle après cycle, les êtres organiques sont moissonnés au même stade de leur développement scientifique, et l’Histoire ne devient alors plus qu’une suite de catastrophes où l’IA les a éradiqués.

Shepard vient bouleverser ce concept d’Histoire cyclique. Après avoir combattu les Geths dans Mass Effect premier du nom, il rencontre deux formes d’IA dans Mass Effect 2 : IDA, l’IA de son nouveau vaisseau, et Legion, un Geth. Tous deux font partie de son équipage et l’accompagnent dans ses missions. Et ce faisant, Shepard et le joueur avec lui s’attachent terriblement à ces personnages. Ils les aident à apprendre, à se développer, à s’intégrer à la communauté. Alors que ces deux personnages s’interrogent sur leur nature, leur existence, mais aussi les relations humaines, le joueur, à travers Shepard, peut les guider dans leur apprentissage.

De dangereuse, la cohabitation entre vie synthétique et vie organique devient profitable. Et la notion de vie perd un peu plus de son sens à chaque jeu, à chaque choix du joueur. Dans Mass Effect 3, voilà qu’IDA et Joker, le pilote, nouent une relation qui tend vers la romance. De son côté, Legion est devenu un frère d’armes et fait partie d’un des choix les plus durs du jeu, où le joueur doit trancher entre les Geths et les Quariens dans le but de mettre enfin un terme à ce conflit interminable.

Oui, les Geths ont chassé les Quariens de leur propre planète. Mais comme le découvre le joueur en avançant dans le jeu, tout n’est pas noir et blanc dans Mass Effect : il y a aussi beaucoup de gris. Car si les Geths se sont révoltés, c’est par instinct de survie. Attaqués par leurs propres créateurs qui ont tenté de les détruire comme on écrase un objet, ils ont simplement lutté pour leur survie.

Et si certains de leurs actes par la suite sont évidemment répréhensibles, comment juger ce qu’il advient d’êtres qu’on a tenté de tuer au moment où ils développaient une conscience ? Alors qu’ils avaient besoin d’être guidés et instruits, les Geths ont dû se battre pour survivre tandis que leurs propres parents leur plantaient un couteau dans le dos. Ce n’est probablement pas une excuse, mais sans doute tout de même une bonne explication…

Dans Mass Effect 3, lors du choix crucial, Legion demande : « Cette unité a-t-elle une âme ? » Cette question, il n’est pas le premier Geth à la poser : c’est celle qui, bien plus tôt dans l’Histoire, a fait comprendre aux Quariens que leurs machines n’en étaient plus vraiment. C’est ce qui a fait basculer l’Histoire, une toute petite question de rien à tout à la portée pourtant immesurable.

L’âme est indissociable de la vie. En latin, anima veut dire « souffle ». C’est ce qui a donné le terme « animal ». On la distingue de l’animus, la pensée, la logique, l’intelligence. Cela, les Geths savent déjà qu’ils le possèdent. Ce qu’ils veulent savoir, c’est s’ils sont animés par un principe vital quelconque, distinct de leur enveloppe physique.

Mass Effect TaliSi le joueur a coché toutes les cases, un autre personnage que lui répond à cette incroyable question : c’est Tali, sa coéquipière Quarienne. En fonction de ses choix précédents, Shepard peut sauver à la fois les Quariens et les Geths, à la fois la vie organique et la vie synthétique. Et à la question de Legion, Tali répond « Oui ». C’est tout. C’est sans appel et c’est immense. C’est reconnaître que la vie ne s’arrête pas à la sienne, que la vie synthétique en fait aussi partie, qu’il est possible de cohabiter et de s’entraider, de faire partie de la même communauté galactique sans s’exterminer tous les 50 000 ans.

Ainsi, Mass Effect n’a donc pas peur d’interroger la signification même de la vie. Une machine est-elle vivante ? Et qu’est-ce que c’est, d’abord, la vie ? Est-ce qu’avoir conscience de son existence, comme l’IA, c’est être vivant ? Est-ce qu’avoir une âme, c’est être vivant ? Peu de jeux vidéo ont osé poser ce genre de questions. D’autant que Mass Effect n’opte jamais pour la solution de facilité : la trilogie ne donne pas la réponse.

Mais confronté à la fin de la saga, le joueur doit prendre un instant pour y réfléchir. Car le voilà soudain face à quatre choix, quatre fins différentes après la terrible guerre qu’il vient de mener :

  • Le contrôle : devenant lui-même une superintelligence, Shepard prend le contrôle des Moissonneurs et met de ce fait un terme au cycle de destruction.
  • La synthèse : vie synthétique et vie organique sont fusionnées à travers toute la galaxie, permettant aux deux de vivre en paix une bonne fois pour toutes.
  • La destruction : les Moissonneurs sont détruits, mais avec eux toute forme de vie synthétique, quelle qu’elle soit.
  • Le refus : ajoutée par le DLC Extended Cut, cette fin voit la défaite de Shepard, qui refuse de faire un choix. Grâce aux informations laissées par ce cycle, le prochain remportera la victoire sur les Moissonneurs.

Ces fins ont provoqué un tollé comme on n’en a rarement vu chez les joueurs, furieux contre BioWare. Peut-être à juste titre : aucune n’est vraiment satisfaisante. La synthèse donne à un seul individu le pouvoir de transformer la vie de milliards d’êtres dans la galaxie, et surtout nie tout le travail de Shepard pour faire cohabiter synthétiques et organiques : voilà qu’au lieu d’œuvrer pour vivre en paix, on règle le problème en fusionnant les deux formes de vie.

La destruction, elle, est plus terrible encore : elle ne fait aucune distinction entre les formes de vie synthétiques. Si les Moissonneurs sont donc éradiqués, c’est aussi le cas d’IDA et des Geths. Après avoir passé trois jeux à s’attacher à ces personnages et à prouver que les synthétiques sont plus que des machines et méritent leur place dans la communauté galactique, on peut comprendre la frustration des joueurs.

Une question de vie ou de mort

En fait, la vie et la mort sont bien plus qu’une simple thématique dans Mass Effect : ils constituent le plus grand pouvoir du joueur, toujours à travers Shepard bien sûr. La fin du jeu en est bien sûr l’emblème : en choisissant la synthèse, Shepard modifie de fait la vie de milliards d’individus. En choisissant la destruction ou le refus, voilà qu’il en condamne aussi des milliards à la mort. En cela le joueur n’est peut-être pas si différent des Moissonneurs, qui éradiquent la vie évoluée cycle après cycle, estimant que stopper leur évolution fait partie de leurs prérogatives.

Tout au long de la trilogie, le joueur doit faire des choix. C’est l’une des grandes forces de Mass Effect, l’une de ses spécificités aussi, la façon dont la saga a bouleversé l’univers du RPG et du jeu vidéo. Le joueur se voit investi d’un extraordinaire pouvoir de décision qui le suit d’un jeu à l’autre : les choix, apprend-il, ont des conséquences.

Mass Effect Kaidan AshleyLa vie et la mort en font partie. Dès Mass Effect 1, les décisions du joueur ont un impact sur l’existence d’autres individus : sur Feros, à lui de tenter – ou non – d’épargner les colons contrôlés par le Thorien ; sur Virmire, il doit choisir entre deux de ses coéquipiers, Ashley et Kaidan. Le jeu ne permet pas de sauver les deux : il est nécessaire d’en sacrifier un, tandis que l’autre pourra accompagner Shepard jusqu’à Mass Effect 3.

Sur Noveria, le voilà qui se tient debout devant l’une des dernières représentantes de son espèce : une reine Rachni. À Shepard de choisir s’il lui laisse sa chance ou s’il la condamne à jamais au silence. Le joueur se découvre alors un énorme pouvoir : celui de décider du futur d’une espèce entière. Ce ne sera pas la dernière fois : dans Mass Effect 3, le choix entre Geths et Quariens peut voir l’extinction complète de ces derniers.

Et à la fin du premier jeu, le pouvoir de Shepard surpasse celui de tout être de la galaxie : il tient entre ses mains la vie des trois membres du Conseil, qu’il peut choisir de laisser mourir. Il est alors au-dessus de l’armée, car c’est à lui, simple commandant, et non à l’amiral Hackett qui dirige la flotte, de décider de la tournure des événements. Il est aussi au-dessus de la politique galactique, des institutions de plusieurs mondes. Certes, il est Spectre et par-là même autorisé à colorier en-dehors des lignes. Mais il gardera ce rôle jusqu’à la fin de la trilogie : celui à la fois d’un unique individu portant sur ses épaules quelque chose de bien plus grand que lui, l’avenir de la galaxie tout entière, mais aussi d’un tout-puissant dont dépend par conséquent le futur de milliards d’autres.

Car s’il peut donner la mort, le joueur peut aussi donner la vie. Dans Mass Effect 3, un remède contre le Génophage est enfin trouvé. Le Génophage est une arme biologique utilisée sur les Krogans en réponse à l’exponentielle croissance de leur population. Génération après génération, il les impacte durement en limitant à une pour mille le nombre de grossesses viables.

Dans le troisième volet de la saga, Shepard peut choisir de mettre un terme au Génophage en dispersant le nouveau remède dans l’atmosphère de Tuchanka, la planète natale des Krogans. Il peut aussi saboter le remède et mentir aux Krogans, qui resteront donc condamnés à bercer leurs enfants mort-nés. Au joueur, cette fois, de choisir de leur rendre la vie et l’espoir d’un avenir.

C’est l’une des particularités de la trilogie : dans Mass Effect, tout le monde peut mourir. Et ils restent morts. Ashley et Kaidan ne sont pas les seuls à pouvoir périr dans le premier volet. Dans le second, la fin est une énorme mission-suicide où tout le monde, y compris Shepard, peut laisser sa peau. Les coéquipiers du commandant parvenus jusqu’au dernier jeu ne sont pas sûrs d’y être épargnés : si Shepard gère mal sa conduite de la guerre, ils peuvent périr avant la conclusion de celle-ci.

Pour sauver ses camarades, le joueur doit donc agir. Il se voit investi d’un pouvoir quasi-divin et doit faire le bon choix via la roue de dialogue lorsque les options lui sont présentées, ou agir de telle sorte que le dénouement ne soit pas funeste : en récupérant le plus de ressources de guerre dans Mass Effect 3, en assommant les colons de Feros pour leur éviter les balles, en accomplissant les missions de loyauté de ses coéquipiers dans Mass Effect 2

Mass Effect mort ShepardMais il y a une mort dans la saga que le joueur ne peut pas éviter : la sienne. Ou du moins, celle de Shepard. Au début du deuxième jeu, le Normandy explose au-dessus de la planète d’Alchera, et le commandant ne fait pas partie des survivants.

Space Jesus

Le thème de la renaissance est évoqué dès Mass Effect 1. C’est Saren qui, tentant de convaincre Shepard de passer de son côté, lui explique qu’il connaîtra une vraie renaissance en œuvrant aux côtés de Sovereign. Lui-même défie d’ailleurs la mort pour revenir affronter Shepard, contrôlé par le Moissonneur. Plus vraiment organique, plus vraiment lui-même, Saren est mi-Terminator Turien, mi-grenouille bondissant sur les murs.

Mais ce n’est qu’au début de Mass Effect 2 que le thème prend toute son ampleur, lorsque Shepard… meurt. Comme le capitaine doit quitter le navire en dernier, le commandant sauve la vie de Joker au péril de la sienne et accompagne le Normandy dans l’au-delà.

Après sa mort au-dessus de la planète d’Alchera, Shepard est ramené à la vie par Cerberus, une organisation pro-humanité menée par le mystérieux Homme Trouble. Le groupe tient naturellement son nom de Cerbère, le chien à trois têtes d’Hadès, chargé de garder les portes de l’Enfer.

Pour revenir à la vie, Shepard doit subir deux ans d’opérations et de manipulations. Le projet qui doit le ressusciter, puisque c’est de ça qu’il s’agit, porte un nom éloquent : le projet Lazare. De l’hébreu El-azar (« Dieu a aidé »), le prénom est porté par deux personnages dans la Bible, notamment par un homme ramené à la vie par Jésus quatre jours après sa mort. Depuis, le nom est devenu dans la culture populaire un symbole de résurrection.

Mass Effect 2 est bien l’histoire d’une résurrection : celle de Shepard, donc. Et les thématiques religieuses liées à sa renaissance parsèment tout le jeu, depuis le bar de l’Afterlife, l’Au-delà, qui est le premier lieu que visite Shepard sur Omega, jusqu’à Archangel, l’Archange protecteur qu’est devenu Garrus en l’absence de son mentor.

mass effect 2Shepard s’affirme désormais comme Jésus de l’espace : investi d’une mission qui le dépasse, il la porte seul sur ses épaules, accompagné par une équipe constituée dans le second volet de douze coéquipiers, comme les douze apôtres de la Bible.

Mais Shepard est aussi un nom qui vient de « shepherd », le berger. Reprenant la thématique biblique du berger qui donne sa vie pour ses brebis, Shepard s’est sacrifié au début du jeu pour être mieux ramené à la vie. Après sa résurrection, il mènera à bien sa tâche – la guerre contre les Moissonneurs et surtout contre l’Apocalypse qu’ils représentent – avant de se sacrifier une nouvelle fois à la fin de Mass Effect 3 : la boucle mort-résurrection-mort est bouclée.

Et comme Jésus, Shepard peut alors entrer dans le mythe, comme en témoigne la scène post-générique du dernier jeu. Dans le futur, un vieil homme raconte les histoires de Shepard à un enfant. Mais il fait référence au commandant en utilisant un article défini : « le Shepard », dit-il. Shepard n’est plus vraiment un être humain, il fait maintenant partie de la théologie galactique.

Mais la renaissance de Shepard n’est pas qu’une simple résurrection. Au tout début de Mass Effect 2, un data log de Miranda montre un enregistrement dans lequel elle explique que pour accélérer le processus visant à ramener Shepard à la vie, les scientifiques ne se sont pas contentés d’une simple reconstruction organique. Elle explique qu’ils ont opté pour une « fusion biosynthétique ».

Bien avant la fin Synthèse, Shepard transcende déjà l’opposition entre vie organique et vie synthétique. Il préfigure et incarne cette synthèse, rendant d’autant plus logique sa lutte pour réconcilier ces deux formes de vie. Il se rapproche aussi un peu plus des Moissonneurs, qui ne sont pas seulement des gigantesques machines, puisqu’ils possèdent eux aussi de la matière organique.

En n’étant plus tout à fait la même personne, Shepard passe donc par une vraie renaissance qui ne s’arrête pas au seul fait de le ramener à la vie. Il est une évolution de l’ancien Lui ; il est passé à quelque chose de supérieur et transcende déjà l’être humain.

Mass effect 3Il complètera cette transformation en se sacrifiant une nouvelle fois. Là, il confirme ses pouvoirs divins, puisqu’il porte individuellement l’avenir de la galaxie. Il était le pendant des Moissonneurs ; il devient leur supérieur en ayant la possibilité de les détruire voire même d’en acquérir le contrôle.

Entretemps, la galaxie elle-même a connu l’Apocalypse. Celle-ci a été annoncée à Shepard dès le début de Mass Effect 1 sous la forme d’une vision, exactement comme dans le Livre de la Révélation.

Mais par la main de Shepard et du joueur, la galaxie peut renaître sous différentes formes. Le parallèle avec la Bible est de nouveau évocateur : on peut penser au Déluge, par exemple. Ainsi, la galaxie connaît la colère de Dieu pour mieux renaître, sous la forme d’une certaine utopie qui a lavé les péchés du passé. À son tour, elle aussi a droit à une renaissance.

Mass Effect n’est pas qu’un jeu de science-fiction, pas qu’un space opera. Ce n’est pas non plus un simple support vidéoludique. La saga n’a jamais eu peur de poser des questions, de s’interroger et de filer des thématiques complexes, philosophiques ou religieuses.

En 2012, à la sortie du troisième volet, les joueurs ont massivement protesté contre la fin, au point que les développeurs, profondément affectés, se sont lancés à corps perdu dans la création d’un Extended Cut censé les réconcilier avec leurs fans – globalement en vain.

Quoi qu’on pense de ces fins, elles ont tout de même un mérite : boucler un certain pan des thématiques. Ce pan, c’est notamment la métaphore religieuse filée depuis le début de Mass Effect 1, et la thématique de la renaissance. Après que les Moissonneurs ont apporté la mort à la galaxie, Shepard est investi d’un pouvoir presque divin et est à même de lui rendre la vie.

Lui-même passé par une résurrection miraculeuse, le commandant peut finalement apporter la renaissance à la galaxie, mettant un terme au conflit entre vie synthétique et vie organique qui est à l’origine même de l’Apocalypse. C’est lui qui, le premier, l’a vue venir : avec la vision qu’il reçoit de la balise prothéenne à Eden Prime dans Mass Effect 1, Shepard s’était vu investi d’une mission qu’il ne mesurait pas encore.

Parce qu’il avait eu cette Révélation, c’était à lui de mener le combat pour la renaissance. Il ne pouvait pas empêcher l’Apocalypse de s’abattre sur la galaxie, mais il pouvait lui permettre d’avoir un futur. Et, ce faisant, Shepard accédait enfin au statut vers lequel il avait évolué durant trois jeux : celui d’une figure mythique et théologique.

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Avant Kaamelott : les origines de la légende arthurienne en 5 questions

Ce 21 juillet, les fans de Kaamelott retrouveront le roi Arthur sur grand écran, après plusieurs reports et une longue attente. Hasard d’un calendrier malmené par la pandémie, ce ne sera pas le seul film inspiré par la légende arthurienne au cinéma cet été : The Green Knight, adaptation d’un poème anglais du XIVe ou XVe siècle, prévoit aussi d’enfin arriver en salles.

La vision d’Alexandre Astier, quoique décalée, a toujours témoigné d’une vraie connaissance des mythes dont il s’inspire. Ainsi, l’absurdité de la quête du Graal dans Kaamelott n’est pas sans rappeler sa transformation et réappropriation au fil des siècles. Le Graal, un bocal à anchois ? En tout cas certainement pas ce qu’il était à ses origines : non pas le calice ayant recueilli le sang du Christ, mais… Un plat à poisson. On reste tout de même un peu dans la thématique !

Avant de parvenir jusqu’à nos salles de cinéma, la légende arthurienne a traversé les siècles et les pays. De la littérature galloise du VIe siècle jusqu’à l’Amérique moderne en passant par les romans en prose du XIIIe siècle, elle a muté jusqu’à finalement passer dans la culture populaire. Mais alors, où tout cela a-t-il commencé et comment cela a-t-il fini par donner… Kaamelott ?

Mais d’où vient le roi Arthur ?

On parle généralement de « la légende arthurienne ». En réalité, il s’agit en fait d’un agglomérat de textes de plusieurs pays, écrits à l’époque où on ne pouvait pas encore parler de littérature nationale à proprement parler – faute de Nation, notamment ! – et qui ne racontaient pas tous la même version de l’histoire.

Si les toutes premières traces d’Arthur remontent au haut Moyen-Âge, la période qui s’étend du Ve au XIe siècle, c’est au siècle suivant, le XIIe, que la littérature arthurienne explose et que le personnage devient un mythe. Avant cela, les textes sont rares et mal datés. Ils mentionnent déjà Arthur, parfois un autre personnage comme Keu.

Mais ce qui frappe dans ces premiers textes, c’est notamment qu’ils parlent d’Arthur comme d’un personnage déjà existant, dont le nom serait familier des lecteurs. Cela nous laisse supposer qu’il y a eu une tradition arthurienne orale bien avant ces quelques manuscrits.

Tous ces premiers textes sont britanniques : sans surprise, Arthur est avant tout un personnage d’Outre-Manche. Mais ils ne sont pas anglais : ils sont gallois. Pour qu’Arthur devienne un peu du personnage qu’on connaît aujourd’hui, il faut attendre Guillaume de Malmesbury et Geoffroy de Monmouth, deux auteurs anglais de la première moitié du XIIe siècle.

Tous deux ont la particularité d’être des chroniqueurs et d’écrire des textes qu’ils revendiquent comme étant historiques. En d’autres termes, Arthur n’est pas à l’époque le roi d’un roman : il est celui de l’histoire de la Grande-Bretagne.

Aujourd’hui, les historiens s’interrogent encore sur l’existence réelle du personnage. Ses origines littéraires galloises ont soulevé l’hypothèse qu’il ait effectivement existé, mais ait été à l’époque un chef de guerre qui s’est battu contre les Saxons. Une autre hypothèse est qu’Arthur ait été en fait inspiré d’un personnage romain.

Quoi qu’il en soit, que le personnage ait des origines historiques ou non, il n’en reste pas moins que le roi Arthur des annales et chroniques du haut Moyen-Âge n’a rien à voir ni avec ce que les romans de chevalerie du XIIe siècle feront du personnage, ni avec celui de Kaamelott et autres œuvres contemporaines.

À partir du XIIe siècle, il perd son aspect pseudo-historique et commence à devenir le roi légendaire qu’on connaît. C’est principalement dû au contexte politique de l’Angleterre. Les Plantagenêt sont alors assis sur le trône ; ils sont étroitement liés à la légende arthurienne et à sa réception.

Richard Coeur de LionAinsi, Henri II devient roi en 1154 et épouse Aliénor d’Aquitaine, précédemment mariée au roi de France Louis VII à qui elle n’a donné que deux filles. Avec le roi d’Angleterre, Aliénor a de nombreux enfants, dont Richard Cœur de Lion et Jean Sans Terre. Elle a aussi un fils prénommé Geoffroy, qui épouse l’héritière du duché de Bretagne et donne naissance à un fils appelé… Arthur.

Richard n’ayant pas d’enfant et Geoffroy étant son frère cadet, c’est à lui qu’aurait dû passer la couronne d’Angleterre plutôt qu’au benjamin de la fratrie, Jean. Mais Geoffroy meurt avant son frère : Arthur devient alors l’héritier du trône.

À l’époque, Arthur est un prénom rare. Le voir ainsi donné à l’héritier du duché de Bretagne montre bien la popularité du mythe arthurien chez les Plantagenêt. Des sources de l’époque nous disent même qu’Arthur aurait dû monter sur le trône sous le nom d’Arthur II, reconnaissant ainsi le règne et l’existence du roi Arthur.

Malheureusement pour lui, il meurt dans des circonstances suspectes à l’âge de 16 ans. Les annales de l’époque attribuent la mort d’Arthur à son oncle Jean, qui s’assure d’ailleurs de garder sa sœur, héritière légitime, emprisonnée jusqu’à sa mort près de quarante ans plus tard. On imagine une ambiance tendue aux dîners de famille de la cour d’Angleterre.

Richard Cœur de Lion et son père eux-mêmes sont associés au mythique roi Arthur : le père s’est servi de cette légende pour unifier la Grande-Bretagne et asseoir son pouvoir. Il se revendique comme le successeur d’Arthur, qu’il veut opposer à la figure française de Charlemagne.

C’est aussi durant son règne que sont prétendument découverts les restes d’Arthur et Guenièvre à l’abbaye de Glastonbury. Une découverte opportune qui confirmait à la fois l’existence passée d’Arthur… et sa mort, afin de mieux faire taire les espoirs bretons qui voulaient qu’Arthur reviendrait un jour, quand son peuple en aurait besoin.

Quant au fils, Richard, il faisait appeler son épée Calibourne – Excalibur. Dans un geste très symbolique, il la céda au roi de Silice lorsqu’ils s’allièrent pendant une croisade.

Mais Arthur n’est pas resté longtemps cet instrument de domination politique. En parallèle, la légende a traversé la Manche et les Français s’en sont emparés. Les chevaliers se mettent aussi à occuper une place de plus en plus importante dans la société, et cela se ressent dans la littérature. C’est la grande période des romans chevaleresques, dont Chrétien de Troyes est la figure de proue.

Arthur n’est plus un héros. Il n’est pas non plus un chevalier. Chez Chrétien, il n’a plus qu’un second plan. Il gère sa cour et tient un rôle d’arbitre pendant que ses chevaliers vivent les quêtes et aventures : c’est la période de gloire d’Yvain, Érec, et surtout d’un nouveau venu, un certain Lancelot.

Le XIIIe siècle sera le grand siècle de la littérature arthurienne, mais c’est aussi celui de l’idéal chevaleresque, dont le roi Arthur n’est pas l’emblème. Il devient un roi faible, d’autant plus quand Lancelot est associé à Guenièvre. C’est sa guerre contre Lancelot qui précipite la chute de l’utopie arthurienne et qui conduit finalement à la mort d’Arthur.

Marginalisé par ses propres chevaliers, le roi Arthur doit attendre la fin du Moyen-Âge pour récupérer un peu de sa prestance passée. De nouveau, c’est en Angleterre que l’affaire se joue, notamment avec Le morte Darthur de Thomas Malory. C’est aussi à cette période qu’est notamment écrit Sire Gawain and the green knight, le poème qui mettra Dev Patel sur nos écrans cet été.

À ce moment-là, la mode n’est plus aux chevaliers, aux aventures et aux croisades. L’Angleterre a été secouée par la guerre de Cent Ans et déchirée par la guerre des Deux-Roses. Le temps est à l’unité et à la paix.

Le roi Arthur redevient un instrument du pouvoir et se voit de nouveau utilisé par la royauté. Elle se doit donc d’en refaire une figure conquérante plutôt qu’un roi, disons-le, un peu nul, isolé dans son château pendant que ses chevaliers vivent mille et une aventures merveilleuses, et dont la faiblesse précipite l’effondrement du monde arthurien.

Lancelot a-t-il eu une liaison avec la reine Guenièvre ?

Lancelot est étroitement associé à la reine Guenièvre, épouse d’Arthur, dès le premier roman dont il est le personnage principal. C’est chez Chrétien de Troyes qu’il fait ses premiers pas, même s’il a très certainement existé une tradition antérieure du personnage : d’abord, Chrétien le mentionne sans jamais éprouver le besoin de le présenter, comme s’il devait être familier au lecteur ; ensuite, son exploitation en Allemagne, notamment par Ulrich von Zatzikhoven, auteur d’un Lanzelet qui hérite d’une toute autre tradition que celle de Chrétien de Troyes, soulève la question d’un livre français disparu mettant en scène un Lancelot primitif.

Peu importe : c’est Le chevalier de la charrette qui nous est parvenu comme étant le premier texte où Lancelot tient un rôle d’importance. Dans ce roman en vers, Lancelot se lance à la recherche de Guenièvre, enlevée par Méléagant. Si Keu et Gauvain s’y précipitent eux aussi, c’est Lancelot qui parviendra à la libérer.

Chrétien en fait un personnage qui balance perpétuellement entre l’amour et la raison. Il est aveuglé par son amour pour la reine, à laquelle il est presque servile. Au bord de la folie à cause de cet amour qu’il lui voue, il est cependant aussi sublimé par cet amour, qui l’aide à surmonter des épreuves dont personne d’autre ne pourrait triompher.

Surtout, Lancelot est déjà explicitement l’amant de Guenièvre. Cependant, le traitement du personnage chez Ulrich von Zatzikhoven nous laisse comprendre que Lancelot ne l’a pas toujours été. Ce n’était pas le cas du Lancelot primitif et ce n’est pas non plus celui du personnage du Lanzelet : il a donc existé une autre tradition littéraire.

Mais Lancelot ne quittera plus cette position. Grâce à Chrétien de Troyes, il devient le symbole de la chevalerie courtoise et de la fin’amor. Dans le Lancelot-Graal, immense cycle en prose du XIIIe siècle dont il est le héros, Lancelot paye cependant le prix de cet amour adultère.

Lorsqu’il arrive à la cour, Lancelot tombe immédiatement amoureux de la reine. C’est même elle qui le fait chevalier, et non Arthur. La tradition veut que le Seigneur ceigne l’épée au nouveau chevalier, mais Arthur oublie de le faire : c’est Guenièvre qui accomplit ce geste hautement symbolique, faisant de Lancelot, de fait, le chevalier et l’homme de la reine – et non du roi.

Le roman développe sa relation avec Guenièvre de sa naissance jusqu’à la fin, depuis leur rencontre jusqu’à la consommation de leur liaison, en passant par leur premier baiser. C’est l’un des motifs les plus importants de l’œuvre, le fil conducteur des aventures de Lancelot, sa principale motivation.

Mais sa relation avec Guenièvre devient bientôt franchement négative. Elle est le péché et l’obstacle qui l’empêchent de triompher dans la quête du Graal, qui lui était pourtant originellement destinée. Il est remplacé par Galaad, son fils, qui le supplante même comme meilleur chevalier du monde.

Si Lancelot passe une bonne partie de la quête du Graal à faire pénitence de son péché, il retombe ensuite de plus belle dans cette liaison. Sa relation avec Guenièvre est alors le détonateur qui précipite le monde arthurien vers la fin.

lancelot kaamelottCertes, l’utopie arthurienne n’est déjà plus. Elle a été rongée par la quête du Graal, à la hauteur de laquelle elle n’a pas été. Les chevaliers d’Arthur sont dispersés et se sont parfois même entretués – Gauvain, notamment, tue dix-huit de ses congénères. Les valeurs de la Table Ronde et de la cour du roi Arthur ont été corrompues ; elles s’opposent désormais à celles des chevaliers du Graal, qui incarnent une nouvelle forme de chevalerie.

Les chevaliers d’Arthur sont désœuvrés et le roi multiplie les tournois qui ne sont que des prétextes pour les occuper. Lui-même est désormais un vieux roi, qui a perdu sa superbe et surtout sa majesté. Le monde arthurien est rongé de l’intérieur.

Mais après la quête du Graal, c’est cet adultère qui va achever l’effondrement de la civilisation arthurienne. Agravain, l’un des frères de Gauvain, dénonce leur liaison. Lancelot s’échappe mais Guenièvre est condamnée au bûcher : il revient la sauver mais doit pour cela tuer plusieurs chevaliers, dont les frères de Gauvain.

C’est la guerre. Gauvain prend la tête de l’un des clans, poussant Arthur à s’enliser dans cet affrontement. Malgré tout cela, Lancelot reste loyal à Arthur : il ne parvient pas à se résoudre à le tuer quand il en a l’occasion et donne même la consigne de l’épargner.

Avec son clan, Lancelot finit par retourner en Gaule, d’où il est originaire et où se trouve son royaume. Mais sous l’influence de Gauvain qui ne parvient pas à pardonner la mort de ses frères, Arthur franchit la mer à son tour.

C’est là qu’il apprend la trahison de Mordret, à qui il avait confié son royaume et qui fait croire à la mort d’Arthur pour s’emparer du trône. Acculé, le roi n’a d’autre choix que de regagner son royaume. Il affronte Mordret et parvient à le tuer, mais est lui-même mortellement blessé.

Le récit ne s’arrête pas là : le cycle du Lancelot-Graal n’est pas l’histoire d’Arthur mais celle de Lancelot. Ce dernier devient alors le sauveur du royaume : il revient en Grande-Bretagne et tue les fils de Mordret avec l’aide de Bohort. Finalement, ayant appris la mort de Guenièvre, il se fait moine et meurt à son tour quelques années plus tard.

Si le monde arthurien était déjà sur le déclin, notamment à cause de la quête du Graal, c’est donc bien cette liaison avec Guenièvre qui précipite la catastrophe finale. Alors, ça vous rappelle Kaamelott ?

Perceval et Bohort étaient-ils vraiment des imbéciles ?

S’ils sont tous deux des personnages emblématiques de Kaamelott, Perceval et Bohort n’ont pas les mêmes origines ni le même développement dans la littérature arthurienne, même si tous deux sont intimement liés au Graal.

Perceval est nommé pour la première fois chez Chrétien de Troyes, qui le mentionne dans son Cligès et lui consacre ensuite un roman en vers : Le Conte du Graal. C’est sa plus longue œuvre, mais elle restera inachevée, probablement à cause de la mort de l’auteur.

C’est tout de même ce roman qui introduit le motif du Graal dans la littérature arthurienne et qui lui lie Perceval. Ce Perceval n’est pas vraiment un personnage glorieux : au contraire, c’est plutôt un imbécile. Il est ignorant, ne connaît d’ailleurs pas son propre nom au début de l’œuvre, et est un sauvageon élevé dans les bois par sa mère.

Perceval est même si sot qu’il prend les premiers chevaliers qu’il rencontre pour des diables. Naïf et enfantin, Perceval connaît cependant une évolution tout au long du livre, qui a une dimension initiatique que n’a aucune autre œuvre de Chrétien de Troyes.

Perceval est aussi un personnage qui n’a rien à voir avec les héros des précédents poèmes de l’auteur : il devient chevalier parce qu’il est issu d’une bonne famille et qu’Arthur considère qu’il est de son honneur de le faire chevalier, pas parce qu’il le mérite ou fait preuve de vertu.

Arthur est déjà un roi affaibli, impuissant et passif, qui fait face à des chevaliers qui font eux-mêmes leur droit. Ce n’est pas le roi qui devrait tirer de l’honneur de faire ainsi un chevalier, mais l’inverse ; l’intérêt de l’individu ne devrait pas primer sur la communauté, d’autant que celle d’Arthur dépérit.

Yvain, Lancelot, Érec et Cligès obéissaient à des valeurs supérieures ; Perceval est un simplet qui n’accède à la chevalerie que par le sang. Il fait cependant l’objet d’une prophétie surprenante : un jour, il sera le meilleur chevalier du monde. Dans ce monde arthurien où la chevalerie a mis de côté des héros épiques au profit d’un imbécile, cette prophétie sonne presque comme un avertissement.

Cependant, Perceval poursuit son initiation. Un jour, il arrive au château du Roi Pêcheur où il est hébergé. C’est là que, pendant le repas, défile devant lui le Graal. Perceval est surpris par cette étrange procession, mais ne pose aucune question à son sujet. Et ainsi, il échoue à accomplir sa destinée. Le lendemain, quand il se réveille, le château est mystérieusement désert.

Plusieurs années s’écoulent avant qu’il ne paraisse enfin sur le point de reprendre le chemin de la quête du Graal, qui lui permettent notamment de s’améliorer sur le plan martial. Malheureusement, le récit s’achève sans lui permettre d’accomplir sa mission.

Au début de sa carrière littéraire, Perceval est donc un personnage singulier. Il s’oppose notamment à la figure de Gauvain, l’autre protagoniste du Conte du Graal, qui représente la chevalerie arthurienne traditionnelle. Perceval incarne, lui, une nouvelle chevalerie, et l’inachèvement du roman laisse de nombreuses questions sur la direction que doit prendre celle-ci.

Ceci étant, le poème de Chrétien de Troyes a eu une influence énorme par la suite, et peut-être d’autant plus qu’il n’a jamais été fini. C’est ce qui a permis à Perceval de devenir un peu moins le sot naïf et influençable qu’il était initialement.

La fin du Conte du Graal étant restée en suspens, plusieurs auteurs s’attachent à écrire ce qu’on appelle les continuations : des sequels par d’autres poètes, si vous voulez. Perceval y finit par réussir sa quête.

Puis arrive Robert de Boron. On lui attribue trois romans : Joseph d’Arimathie, Merlin et Perceval – il y a néanmoins des doutes sur la paternité réelle du troisième. Perceval devient alors un chevalier élu destiné à accomplir la quête du Graal, notamment parce qu’il descend d’un lignage d’exception qui le place à part et l’y prédestine.

Perceval n’est surtout plus l’imbécile qu’il était chez Chrétien et ne le redeviendra plus. Robert de Boron a lui aussi eu une influence fondamentale sur la littérature arthurienne postérieure : il inspirera même des œuvres anglaises, notamment Malory.

La suite de la carrière littéraire de Perceval se heurte au cycle en prose du Lancelot-Graal, écrit au début du XIIIe siècle. Il se compose de trois romans : le Lancelot propre, La queste del Saint Graal et La Mort Artu. C’est l’une des œuvres arthuriennes les plus importantes et les plus lues au Moyen-Âge, comme en témoigne le nombre significatif de manuscrits qui nous sont parvenus (plus de 200) et son héritage littéraire.

Le protagoniste de ce cycle n’est pas Perceval : c’est Lancelot. Perceval y joue cependant un rôle extrêmement important et se voit surtout associé à un autre personnage de Kaamelott : Bohort.

Celui-ci est un ajout tardif à la littérature arthurienne. Cousin de Lancelot, il est le fils cadet du roi Bohort de Gaunes et est élevé par la Dame du Lac aux côtés de son frère Lionel et de leur cousin. Pour qu’il puisse apparaître dans la légende, Bohort avait donc besoin qu’on s’intéresse aux origines de Lancelot : c’est le Lancelot propre qui dote le personnage d’une enfance et permet donc à Bohort d’exister.

Le cycle met aussi en scène pour la première fois le personnage de Galaad, fils de Lancelot. Il forme un trio indissociable avec Bohort et Perceval, car ce sont eux trois qui vont réussir à accomplir la quête du Graal.

Mais Galaad supplante Perceval. Entretemps, le Graal est devenu une quête religieuse, et Perceval ne convient plus à celle-ci. Il lui faut une figure christique et messianique : ce sera le jeune Galaad, exempt de tout péché.

Le cycle du Lancelot-Graal distingue deux types de chevaleries : une chevalerie céleste, symbolisée par Bohort, Galaad et Perceval, et une chevalerie terrestre, dont Gauvain est l’emblème suprême – ce qui le disqualifie totalement de la quête du Graal.

Seuls Perceval, Galaad et Bohort parviennent à la mener à terme. Elle les mène jusqu’à Sarras, où Galaad meurt et Perceval se fait moine avant de mourir à son tour. Seul Bohort revient de la quête, qu’il peut alors raconter à la cour du roi Arthur.

Bohort kaamelottMalgré son rôle dans Kaamelott, Bohort n’est pas un personnage qui a vraiment marqué la culture populaire moderne – pas comme un Gauvain, un Lancelot ou un Arthur. En cela, il se rapproche plutôt de Galaad. C’est sûrement leur étroit lien au Graal qui les en a empêchés, même si Bohort bénéficie d’un plus large développement hors de la quête, ce qui lui a probablement permis d’être moins oublié que Galaad.

Après la quête du Graal, Perceval et Galaad n’avaient plus d’avenir littéraire ni de perspective narrative, ce qui n’était pas le cas de Bohort. C’est à lui donc qu’a échu le rôle d’en revenir et de reprendre une place à la cour. Ainsi, il a une présence importante dans la littérature du Moyen-Âge, notamment grâce au Lancelot-Graal qui le dote d’une longue biographie et lui permet de revenir en vie de la quête du Graal. Il est un chevalier d’exception, pieux, et loyal.

Sa relation avec Lancelot est l’un de ses traits principaux. Bohort reste fidèle à son cousin jusqu’à la mort et le suit dans sa guerre contre le roi Arthur. Il considère Lancelot comme le chef de leur clan et joue un rôle capital lorsque la cour d’Arthur se déchire en deux camps : celui de Gauvain et celui de Lancelot.

Bohort est alors la voix de la sagesse, le conseiller de Lancelot dont il est aussi une sorte de double. Il symbolise tout ce que Lancelot aurait pu être sans son amour adultère pour Guenièvre. Il est le possible spirituel de son cousin, celui qui peut emprunter le chemin de l’héritage mystique dont Guenièvre prive Lancelot.

Avec Galaad, qui vient le compléter, il forme le produit parfait d’une généalogie sacrée dont ils achèvent ensemble le destin. Il est aussi le parfait compromis entre chevalerie céleste et chevalerie arthurienne. Après la mort d’Arthur et de Lancelot, il prend l’habit et peut enfin retrouver la voie spirituelle qu’il avait un temps écartée par loyauté envers son cousin.

Mais que pouvait-il advenir de personnages si étroitement liés à la quête du Graal ? Perceval parvient à s’en sortir tant bien que mal, notamment grâce à son transfert dans la littérature étrangère (et allemande en particulier) et parce qu’il appartenait à une tradition littéraire antérieure.

Mais il peut remplir à lui seul les rôles du trio, et Galaad et Bohort, tout particulièrement Galaad, ont plus ou moins disparu de la littérature.

Moins dépendant du Graal, Bohort est cependant trop lié à Lancelot : il faut attendre la réappropriation de ce dernier, notamment par Malory, pour que Bohort réapparaisse dans la littérature. Contrairement à des personnages comme Gauvain ou même Perceval, il n’a jamais eu droit à des aventures indépendantes dont il était le seul héros.

Le Graal, si ce n’était pas un bocal à anchois… C’était quoi ?

C’est donc Chrétien de Troyes qui apporte le motif du Graal à la littérature arthurienne. C’est à lui qu’on doit la quête du Graal, restée inaboutie dans Le conte du Graal. Inachevée, elle peut alors devenir l’un des grands thèmes de la légende arthurienne, d’abord en étant l’un des sujets de prédilection des romans en prose du XIIIe siècle.

À vrai dire, les origines du Graal sont un peu floues. Au début de son poème, Chrétien affirme avoir reçu de son patron, Philippe d’Alsace, un livre contenant l’histoire du Graal. S’il s’agissait d’un procédé assez fréquent chez les auteurs de l’époque, l’existence d’un roman allemand reprenant des thématiques similaires ne peut qu’interroger.

Ce roman, c’est le Parzival de Wolfram von Eschenbach. Il reprend en partie l’histoire de Chrétien de Troyes, mais les deux premiers livres du Parzival et sa fin ne correspondent à aucun texte de Chrétien. Contrairement à ce dernier, Wolfram von Eschenbach achève l’histoire de Parzival, qui finit couronné comme roi du Graal.

L’Allemand a donc eu d’autres sources. S’il mentionne un certain « Kyot de Provence », la source paraît aujourd’hui historiquement peu crédible. Selon toute vraisemblance, Wolfram von Eschenbach a travaillé à partir de plusieurs sources et traditions, dont Chrétien de Troyes – mais pas seulement.

En somme, on ne sait pas très bien d’où vient le Graal. Il est peu probable que Chrétien de Troyes en ait réellement été l’inventeur, mais on ne saura probablement jamais d’où il tenait vraiment cette tradition. On sait seulement que c’est grâce à lui que le thème est intégré à la légende arthurienne.

Sauf que chez Chrétien de Troyes, le Graal n’a rien à voir avec le mythe chrétien qu’il est devenu. Il s’agissait d’un mythe païen, et c’est bien d’un merveilleux païen plutôt que de christianisme qu’est teinté le Graal de Chrétien.

Chez Chrétien de Troyes, le Graal est… Un plat. C’est ce que signifie le mot à l’origine : il désigne un plat large destiné à servir de la viande ou du poisson. Chrétien ne parle jamais du Saint Graal et introduit l’objet par un article indéfini en parlant d’« un graal ».

Pas encore une relique, ce Graal est alors un plat à service qui se distingue par sa richesse, orné notamment de pierres précieuses. Quand Perceval raconte à son oncle ermite la scène à laquelle il a assisté au château du Roi Pêcheur, la conversation parle d’un plat à poisson, tout en précisant qu’il ne faudrait pas se méprendre sur la véritable nature de l’objet, teintée de merveilleux.

Mais la fonction du Graal, c’est bien la nourriture. Son rôle est bien de nourrir, quoique de façon mystérieuse, le Roi Pêcheur.

Voilà donc ce qu’est d’abord le Graal : un objet merveilleux, mystérieux, mais profane. La Bible ne le mentionne jamais, le mythe est inexistant en latin et n’a aucune signification biblique.

Surtout, Chrétien de Troyes écrit trop tôt pour avoir été influencé par la mutation du christianisme au Moyen-Âge. Ce sont ses successeurs qui vont transformer le Graal sous l’effet d’influences socio-culturelles bien différentes.

Quelques décennies plus tard, le contexte culturel et doctrinal a en effet bien changé. L’imaginaire collectif éprouve alors le besoin de se rattacher aux objets témoins de la vie du Christ : les reliques gagnent en importance à la fin du XIIe et au XIIIe siècle.

Après Chrétien de Troyes, le Graal prend de plus en plus d’importance dans la littérature arthurienne européenne, qui passe du vers à la prose, et subit une véritable christianisation. Ce développement doit être considéré comme le symbole d’une inquiétude épistémologique et d’une incertitude idéologique propres à leur temps.

C’est Robert de Boron qui contribue à donner au Graal la signification qu’on lui connaît aujourd’hui. Son œuvre est fondamentale dans la sacralisation du Graal ; c’est avec elle qu’il acquiert non seulement un caractère sacré, mais aussi des origines, un passé, une histoire. L’aboutissement de ce développement sera le cycle du Lancelot-Graal.

Graal KaamelottDans son Joseph d’Arimathie, Robert de Boron fait du Graal le vase où fut recueilli le sang du Christ, crucifié par Joseph d’Arimathie. Si cela sonne familier, c’est normal : c’est cette version de la légende qui a inspiré Astier et Kaamelott.

Le roman retrace l’histoire du Graal avant son arrivée en Occident et plante une dynastie du Graal : emprisonné après la crucifixion du Christ, Joseph d’Arimathie voit apparaître Jésus dans sa cellule.

Le Graal se dote alors d’un symbolisme important, celui de la grâce divine. Joseph d’Arimathie et son lignage sont des élus : lui et ses descendants sont destinés à être les gardiens du Graal. Perceval est justement l’un des membres de sa lignée. Chez Robert de Boron, pas de Lancelot, pas de Bohort, pas de Galaad. C’est Perceval qui est l’aboutissement d’un lignage, l’élu d’une haute destinée, rôle que reprendra Galaad par la suite.

Grâce à la trilogie de Robert de Boron, le Graal connaît donc une véritable mutation religieuse et plante des motifs qui seront repris par La queste del Saint Graal, dont le titre annonce d’emblée la couleur. C’est là un roman eucharistique, où Perceval, Galaad et Bohort sont une Trinité d’élus, des chevaliers célestes que ne peuvent aspirer à devenir les autres.

Perceval se voit aussi supplanter par le messianique Galaad, ce qui correspond à l’évolution de la thématique du Graal. La création de Galaad était doublement nécessaire : à cause de la christianisation du Graal et de son péché d’adultère, Lancelot ne peut pas prétendre mener la quête à bien. Or faire de Perceval le héros de la quête aurait été détrôner Lancelot de sa propre histoire… Le voilà donc relégué au second plan.

Avec la Queste, le Graal est définitivement devenu l’objet saint qui nous a été transféré. C’est le calice qui a recueilli le sang du Christ, une relique, mais aussi le symbole d’un tout nouveau type de chevalerie, opposée aux idéaux corrompus de celle d’Arthur. Enfin, la mort de Galaad, véritable figure christique, est une ascension spirituelle, un sacrifice de l’Élu divin.

Comment est-on passé du Moyen-Âge à Kaamelott ?

Du XVIe au XIXe siècle, la légende arthurienne n’a plus vraiment la cote. De nouveau, c’est le contexte historique qui la remet au goût du jour, et surtout l’affirmation du nationalisme. En Angleterre, la légende est réactivée par crainte des révolutions et aspirations coloniales. Les gentlemen victoriens se veulent un peu les nouveaux chevaliers de leur temps.

Mais c’est notamment aux États-Unis que l’imaginaire chevaleresque se réveille, particulièrement dans les États du Sud. Mark Twain lui-même s’y met en publiant en 1889 Un Yankee du Connecticut à la cour du roi Arthur. Le livre sera adapté plus de vingt fois en film, mais aussi en version radiophonique, en comics et en dessin animé.

Si la légende arthurienne est née au Moyen-Âge en Grande-Bretagne, qu’elle s’est considérablement développée et métamorphosée en France avant de circuler dans le reste de l’Europe, c’est finalement grâce à la culture populaire américaine qu’elle arrive jusqu’à nous. Aux États-Unis perdure l’idéal chevaleresque, désormais plus seulement associé à l’aristocratie mais à de plus en plus de classes sociales.

Aujourd’hui, le roi Arthur est une figure de la culture populaire. Mais ce n’était pas le cas jusqu’à la fin du Moyen-Âge : à l’époque, il est au contraire le produit d’une culture d’élite et l’instrument de ces mêmes élites qui s’en servent notamment à des fins politiques.

Au tournant du siècle, la figure chevaleresque incarne un modèle à suivre pour la société américaine, un idéal d’éducation pour la jeunesse. Les valeurs et principes de la légende arthurienne sont même transposés à d’autres œuvres qui n’y sont pas directement rattachées.

Avec le temps et les différents contextes historiques, Arthur et sa cour ne sont plus mobilisés de la même façon. Dans les années 1950, les chevaliers arthuriens sont anti-communistes ; dans les années 1960, ils sont pacifistes et progressistes. Mais toujours, ils représentent un mythe héroïque, épique et surtout rassurant face à un présent qui ne l’est pas toujours.

KnightridersEt ça y est, nous y voilà enfin : Arthur, la Table Ronde et ses chevaliers basculent dans la culture populaire. Le mythe chevaleresque, s’il continue d’évoluer sous l’influence de son époque, perdure. Tout le monde s’y met : René Barjavel, Marion Zimmer Bradley, J.R.R Tolkien, Guillaume Apollinaire, les Monty Python… Alexandre Astier.

« Camelot is a state of mind », disait l’affiche de Knightriders, film de George Romero directement influencé par le mythe arthurien : oui, Camelot est bien devenu un état d’esprit.

L'Attaque des Titans

Mythe et Histoire : aux origines de L’Attaque des Titans

Attention ! Cet article contient des spoilers sur la fin de L’Attaque des Titans !

Début avril 2021 s’est achevé le manga L’Attaque des Titans. Diffusée depuis 2013, la série animée lancée par Wit Studio et reprise par MAPPA adaptera l’arc final du manga à l’hiver 2022, mettant un terme à une œuvre qui aura duré douze ans. Au cours de ces années, L’Attaque des Titans s’est affirmé comme le poids lourd du manga des années 2010, succédant à ceux qu’on appelle les Big Three One Piece, Naruto et Bleach, énormes succès des années 2000.

Comme eux, le manga d’Hajime Isayama est devenu un pan mainstream de la pop culture. En France, il a vendu plus de 3,5 millions de volumes. Diffusée non seulement par les services de streaming spécialisés dans l’anime comme Crunchyroll et Wakanim, la série a même obtenu les faveurs de Netflix, contribuant à asseoir sa place dans l’animation japonaise, et de France 4. L’Attaque des Titans a ainsi réussi à séduire même les non-amateurs de manga et d’anime. Un peu comme Naruto, même ceux qui ne lisent guère de manga en ont forcément au moins entendu parler.

De Goya à L’Attaque des Titans

Isayama savait-il, en lançant son manga, qu’il atteindrait de tels sommets ? Tout jeune mangaka – il est né en 1986 – il proposait là sa première série. Elle faisait déjà exception. D’abord refusée par l’éditeur Shūeisha, dont l’hebdomadaire Weekly Shōnen Jump a notamment publié les Big Three, elle fut finalement acceptée par son concurrent, Kōdansha. L’éditeur en fit l’œuvre phare du lancement de son magazine mensuel, Bessatsu Shōnen Magazine.

La raison de ce refus ? Le dessin. Le style d’Isayama, particulier il est vrai, n’a pas convaincu la Shūeisha et ne correspondait pas à sa ligne éditoriale. Refusant de changer son trait, le mangaka est donc tout simplement allé voir ailleurs.

Ce dessin, c’est une autre des particularités de L’Attaque des Titans. Jugé laid bien qu’il se soit amélioré au fil des années et des tomes, il ne correspond en tout cas certainement pas au style classique des shōnen, ces mangas d’action généralement destinés à un public jeune et masculin. Pourtant, il donne aussi au manga son ton si spécial, son atmosphère horrifique.

Et quelle atmosphère ! À parcours atypique et dessin original, synopsis unique. Hajime Isayama met en scène un univers comme on n’en trouve guère d’autre dans le manga. C’est à la fois une dystopie, de la dark fantasy et un monde aux accents steampunk. L’Attaque des Titans raconte ainsi l’histoire d’une humanité assiégée, repliée derrière un système de murs pour se protéger des Titans, gigantesques créatures humanoïdes qui ont presque éradiqué l’espace humaine.

Eren Mikasa L'Attaque des TitansC’est derrière ces murs que grandit Eren Jäger. C’est un enfant rêveur et révolté : il s’insurge de vivre ainsi comme du bétail et n’aspire qu’à intégrer les fameux bataillons d’exploration, branche de l’armée qui sort des murs pour explorer le monde extérieur – généralement au prix de nombreuses vies. Puis un jour, tout bascule : des Titans apparemment pourvus d’intelligence attaquent et détruisent le mur derrière lequel vit Eren.

Après avoir vu sa mère dévorée sous ses yeux, Eren fait une promesse : il jure qu’il exterminera tous les Titans. Il s’engage alors dans l’armée avec ses amis d’enfance, Mikasa Ackerman et Armin Arlert. Durant trois ans, au côté d’autres adolescents de son âge, il sera formé à se battre, à tuer du titan et surtout à utiliser l’équipement de manœuvre tridimensionnelle, le seul recours pour lutter contre des créatures qui dépassent les humains de plusieurs mètres et n’ont pour seul point faible qu’une zone située à la base du cou.

Pour créer ces Titans et cet univers, Hajime Isayama s’est en partie inspiré de sa propre vie. Issu lui-même d’une famille de fermiers, il a grandi dans les montagnes et rêvait, comme Eren, du monde qui se trouvait au-delà. Plus tard, ayant commencé sa vie professionnelle, il a été confronté à un ivrogne dans le cybercafé où il travaillait. C’est la peur de cette confrontation, la terreur et l’impuissance qu’il a ressenties alors, qui ont fait germer l’idée des Titans. Ceux-ci ont surtout la particularité d’être des monstres comme on n’en avait jamais vus auparavant, ce qui explique en partie le succès du manga.

Certes, ils ont quelque chose qui rappelle un peu le zombie : ce sont des créatures humanoïdes, dépourvues d’intelligence et guidées par la violence. Les Titans ne tuent pas pour se nourrir, leur système digestif étant d’ailleurs rudimentaire. Ils tuent par instinct, peut-être même par plaisir. Mais ils ont quelque chose de plus terrifiant encore que les zombies : immenses, ils ont des traits exagérés, mais aussi des corps nus, dépourvus d’organes génitaux et parfois difformes. La taille de leurs membres n’est pas toujours cohérente : grosse tête, petits bras, grand nez… Ils ont généralement de larges sourires, cruels et bêtes, qu’un autre trait que celui d’Isayama n’aurait pas pu rendre aussi féroces, aussi cauchemardesques.

Saturne dévorant un de ses filsL’exceptionnelle esthétique de ces Titans, Isayama la puise aussi du côté d’un artiste européen : Francisco de Goya. Ce peintre espagnol a vécu l’horreur de la guerre d’indépendance et l’instabilité politique des années 1820 en Espagne. Lui-même se remet d’une douloureuse et difficile maladie. Désormais âgé de plus de soixante-dix ans, il est confronté à l’aigreur de la guerre civile et à sa propre déchéance physique. Et sur les murs de la maison qu’il a achetée près de Madrid, il peint ce qu’on appelle les Peintures Noires, une série de fresques à la peinture à l’huile qui compte notamment Saturne dévorant un de ses fils.

Ce tableau, aujourd’hui transféré sur toile et exposé à Madrid, représente donc Saturne, l’équivalent romain de Cronos, en train de dévorer son fils adolescent. La tête et le bras droit ont déjà été mangés par Saturne, qui s’apprête à avaler ce qu’il reste du bras gauche. Les yeux écarquillés et la bouche grand ouverte, il se détache sur un fond obscur.

C’est cette fresque horrifique, peinte qui plus est dans un contexte de guerre civile, qui a en partie inspiré l’allure des Titans d’Isayama. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’elle parvenait jusqu’aux mangas japonais : on la trouve aussi dans une autre œuvre bien connue, HunterxHunter.

L’Histoire japonaise, présente en pointillés

Goya est loin d’être la seule influence européenne d’Hajime Isayama. L’Attaque des Titans ne se déroule d’ailleurs pas au Japon. Le mangaka a préféré opter pour un univers dont l’architecture rappelle plutôt l’Europe médiévale, en particulier l’Allemagne. Dans une interview sur la chaîne japonaise NHK en 2018, Isayama a notamment cité la ville bavaroise de Nördlingen, qui a conservé son apparence médiévale et est entourée par… un mur.

Les maisons de Shiganshina, le district où a grandi Eren, rappellent clairement l’époque préindustrielle d’Europe centrale. Ce sont des maisons à colombages comme on peut encore en trouver en Alsace ou en Allemagne. Plus à l’intérieur des murs, où les quartiers sont plus riches, l’architecture de L’Attaque des Titans est en pierre et davantage romane. Elle évoque cependant encore l’Europe centrale. Plus tard dans le manga, Eren est caché dans un château qui est lui aussi clairement européen, même s’il fait plus Renaissance que Moyen-Âge.

Non pas, bien sûr, qu’Isayama ait totalement ignoré l’Histoire du Japon. Derrière certains parallèles évidents avec l’Histoire européenne, d’autres, plus ou moins discrets, renvoient directement au passé japonais.

Le cas emblématique est celui du personnage de Dot Pixis, connu pour avoir été à l’origine de vives critiques et d’un backlash à l’encontre d’Hajime Isayama. En 2010, le mangaka a avoué avoir pris pour modèle un personnage historique réel, celui d’Akiyama Yoshifuru. C’était un général japonais de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il a participé à plusieurs guerres du Japon, notamment en Chine et en Corée, où l’armée japonaise s’est rendue coupable de nombreuses exactions. Yoshifuru y a-t-il participé ? En a-t-il été complice ? Peu importe : cette inspiration a massivement déplu à certains lecteurs, et non-lecteurs d’ailleurs, de L’Attaque des Titans. Elle a même valu à Isayama d’être qualifié de fasciste et de recevoir des menaces de mort.

Mais le général Yoshifuru est avant tout un héros japonais, considéré pour être le père de la cavalerie japonaise moderne. Au Japon, il a inspiré un roman et son adaptation en série télévisée. Et comme d’autres pans peut-être peu glorieux de l’Histoire japonaise, il a influencé Isayama.

Ces pans peu glorieux, ce sont notamment des thématiques d’impérialisme, de nationalisme et de militarisme. L’Attaque des Titans est pleine d’une esthétique militaire qu’il n’est pas difficile de renvoyer à l’Histoire du Japon. Le pays est notamment passé par une douloureuse phase d’unification, de guerres civiles puis de totalitarisme avant la Seconde Guerre mondiale.

La société où vit Eren est militaire. Le siège des Titans a servi d’argument au gouvernement totalitaire qui les utilise, eux et leur oppression, pour justifier la militarisation de la société. Derrière les murs, on est principalement fermier ou soldat. L’armée compte trois corps : la garnison, chargée des murs, le bataillon d’exploration, qui part à l’extérieur, et les brigades spéciales, qui sont en fait une police militaire chargée de maintenir le calme, la paix et loi à l’intérieur des murs. La police même est donc confondue avec l’armée, ce qui n’est pas sans rappeler l’une des caractéristiques d’un État totalitaire.

Et l’imaginaire martial est prégnant : l’armée salue avec le poing sur le cœur, ce fameux « sasageyo » qui appelle au sacrifice de son cœur. Le motif du sacrifice pour la patrie, d’ailleurs, traverse tout le manga. C’est une forme de patriotisme presque nationaliste que ce culte du sacrifice. On glorifie les morts jusqu’à la toute fin du manga, dans l’idée que leur sacrifice ne sera pas vain. C’est l’une des grandes questions de l’œuvre, parsemée de tant de décès qu’on l’a comparée avec Game of Thrones : cette mort aura-t-elle été utile ? Ou ce soldat sera-t-il mort pour rien ? Pour la patrie, pour la victoire sur les Titans, ces tout jeunes gens – Eren a quinze ans lorsqu’il rejoint l’armée – ne sont pas seulement prêts à se sacrifier eux-mêmes, à sacrifier leur vie et leur corps : ils sont prêts à sacrifier aussi leur humanité.

Sur ce point, on sent peut-être un écho des kamikazes, ces pilotes japonais envoyés en mission-suicide lors de la Seconde Guerre mondiale. Avec ce parallèle supplémentaire que ceux que l’Histoire a retenus comme des fanatiques n’en étaient pas toujours : souvent, il s’agissait de (très) jeunes soldats envoyés au casse-pipe contre leur gré. Confrontés à la violence et à la mort, à la dure réalité du combat, Eren et ses camarades n’ont plus rien de la fanfaronnade qu’ils pouvaient afficher au début de leur entraînement. Les voilà tremblants, terrifiés, traumatisés et vomissant tripes et boyaux. Regrettant brusquement leur engagement.

C’est là tout le côté critique d’Isayama : loin de glorifier le nationalisme de cette société fasciste, le mangaka montre même le contraire. Car c’est généralement dans ces moments glorieux de sacrifice et de patriotisme exacerbé qu’une mort brutale, violente et inutile vient rappeler la réalité de la guerre. Au début du manga, Isayama n’hésite pas à faire mourir son personnage principal, dans un extraordinaire plot twist. Saisi en pleine action héroïque et lancé sur sa résolution d’exterminer tous les Titans, Eren se fait arracher une jambe et un bras avant de se faire gober par un Titan. Et voilà pour ta peine.

Les parallèles avec l’Histoire européenne

Moins bien connue du lectorat international et peut-être plus discrète dans l’œuvre, l’Histoire japonaise qui a inspiré l’auteur a semble-t-il moins sauté aux yeux que les parallèles plus évidents avec l’Europe.

Parmi ceux-ci, la comparaison filée avec la Seconde Guerre mondiale – encore elle ! – a fait couler beaucoup d’encre. C’est même en grande partie à cause d’elle que d’aucuns ont accusé L’Attaque des Titans d’être un manga d’extrême-droite.

Dans la seconde partie de l’œuvre, qui correspond à la troisième saison de l’anime, Eren et ses compagnons découvrent que leur bastion n’a jamais été tout ce qu’il restait de l’humanité. Contrairement à ce qu’ils croyaient, il reste bien un monde au-dehors. Leur société se trouve en fait sur une île, Paradis. Immédiatement de l’autre côté de la mer se trouve Mahr, une Nation jadis assujettie par la supériorité militaire des Eldiens. Pour conquérir Mahr, ce peuple a pu s’appuyer sur une puissance sans commune mesure : celle des Titans.

Eldia était alors gouvernée par le roi Fritz, dont la femme Ymir possédait le pouvoir des Titans. À sa mort, ce pouvoir fut divisé en neuf et donna lieu aux neuf Titans primordiaux, qui ont continué jusqu’à la génération d’Eren à passer d’Eldien en Eldien, seul peuple capable de recevoir le pouvoir des Titans.

Finalement, Mahr se souleva et parvint à récupérer sept des neufs Titans. Le 145e roi d’Eldia, nommé Karl Fritz comme son illustre ancêtre, renonça alors à se battre et se retira sur l’île de Paradis, où il utilisa son pouvoir pour construire les trois murs, bâtis à partir de Titans colossaux solidifiés. Et pour préserver la paix, il jura de lancer ces Titans à l’assaut si Mahr osait s’en prendre à son île.

Après ces révélations, Isayama a tenté un pari risqué : changer totalement l’environnement de son manga et ouvrir son arc suivant à Mahr même. C’est ce qui a également ouvert la quatrième et dernière saison de l’anime, permettant notamment d’introduire une nouvelle brochette de personnages et d’apporter un peu plus de contexte à ce peuple Eldien.

Lorsque la narration se déplace à Mahr, on y découvre qu’il reste en fait des Eldiens, abandonnés là par leur roi et que les Mahrs ont parqués dans ce qui ressemble fort à des ghettos. Ils y vivent séparés du peuple Mahr, surveillés par l’armée, relégués à un rang de sous-citoyens et identifiés par un brassard de couleur qu’ils portent sur le bras.

Ghettos L'Attaque des TitansIl est naturellement difficile d’ignorer la comparaison qui se dessine : celle, bien sûr, du peuple juif. Ces brassards rappellent évidemment l’étoile portée par les Juifs, les camps d’internement font écho aux ghettos juifs, et les Eldiens ne peuvent aspirer aux postes à responsabilité. On se trouve là face à un cas emblématique de ségrégation ethnique, où tout contrevenant est passible de la peine de mort et où le racisme ambiant assimile les Eldiens à des démons.

Ce n’est même pas là le seul parallèle avec l’Histoire juive. Plus tard dans le manga, le personnage de Sieg Jäger, demi-frère d’Eren qui a grandi à Mahr, a un plan pour lever la malédiction du pouvoir des Titans : stériliser l’ensemble du peuple Eldien. C’est ce qu’on appelle de l’eugénisme, concept qui désigne la sélection génétique au sein d’une population. La stérilisation fait partie des méthodes eugéniques les plus fréquentes et a notamment été pratiquée par le régime nazi, qui a ainsi stérilisé plusieurs centaines de milliers de malades mentaux et a largement expérimenté sur la stérilisation de masse, notamment dans les tristement célèbres camps d’Auschwitz et de Ravensbrück.

Mais faut-il pourtant déclarer sans hésitation, comme certains l’ont fait, que les Eldiens sont clairement les Juifs et que L’Attaque des Titans est une apologie du fascisme ? Loin de là, évidemment. D’abord, parce que s’il est vrai que le parallèle se fait facilement, il n’est pas la seule grille de lecture possible. Les Juifs n’ont malheureusement pas été les seules victimes de ségrégation raciale au cours de l’Histoire – même durant le seul XXe siècle. On peut citer le cas de l’Apartheid, pendant lequel les populations indiennes, métisses et noires ont été massivement reléguées dans les townships, quartiers pauvres construits en périphérie des villes. Ils ont de nombreux points communs avec les ghettos juifs, et par conséquent avec les camps d’internement de Mahr. Mais il faut aussi citer un exemple japonais, qui a très bien pu inspirer directement Isayama : celui de l’internement, toujours dans des camps, des Japonais aux États-Unis.

Après Pearl Harbor, le Président Roosevelt autorisa en 1942 une mesure qui visait à interner les citoyens d’origine japonaise, y compris ceux qui avaient été naturalisés et étaient donc, de fait, Américains. Obligés d’abandonner leur propriété et souvent leur travail pour rejoindre de force ces camps de relogement, ces Japonais ou Américains d’origine nippone ont vécu là plusieurs années dans des conditions exécrables, massés dans des dortoirs ou des étables.

Quant à savoir si L’Attaque des Titans fait l’apologie de ce qu’il décrit… Incontestablement, Hajime Isayama a créé deux gouvernements autoritaires : ni l’île de Paradis ni Mahr n’y échappent. C’est l’une des forces du manga : refuser le manichéisme et la simplicité d’un combat entre gentils et méchants. Au début de l’œuvre, on pense pourtant assister à la lutte entre les héros du bataillon d’exploration contre les Titans. Rien n’est moins vrai.

L’introduction de Mahr permet à Isayama de confronter les points de vue. L’auteur interroge en permanence les rapports moraux du lecteur, qui passe son temps à changer d’avis au fur et à mesure qu’il avance dans le manga. Ce qui paraissait autrefois noir et blanc s’avère vite gris.

Ainsi, les Eldiens sont opprimés par les Mahrs, mais on découvre ensuite qu’ils étaient à la base un peuple guerrier qui a utilisé les Titans pour soumettre Mahr dans la violence. De plus, les deux nations sont bien plus semblables qu’on ne le croirait d’emblée : des deux côtés de la mer, les populations sont conditionnées, l’Histoire est réécrite par le pouvoir, le militarisme est ambiant, les enfants sont envoyés au combat, et des factions rebelles complotent contre le pouvoir.

Sur l’île de Paradis, le gouvernement militaire utilise donc les Titans et la crainte qu’ils inspirent. La mémoire des Eldiens y a été effacée par le pouvoir du roi, qui leur cache notamment qu’il reste des humains en dehors des murs, mais aussi leur passé et leurs origines. Génération après génération, les habitants de Paradis subissent donc un endoctrinement systémique et n’ont pour toute mémoire que celle qu’on a bien voulu leur construire.

La vérité n’est connue que de certains nobles et hauts-placés, qui écrivent donc librement leur propre version de l’Histoire et mènent tranquillement leur fausse propagande en contrôlant rigoureusement l’information. La preuve : lorsque le bataillon d’exploration approche de la vérité, le gouvernement les déclare des traîtres. Il veut les arrêter pour cacher la vérité, ce qui mène à un coup d’État militaire – l’une des factions rebelles dont nous parlions plus haut.

De l’autre côté de la mer, à Mahr, le gouvernement a écrit sa propre Histoire. Les Eldiens y sont des démons dont la violence justifie la mise à l’écart de leurs descendants. Là aussi, les enfants sont conditionnés et endoctrinés. Là aussi, ils s’engagent dans l’armée dès le plus jeune âge. Et comme certaines de leurs contreparties de l’île de Paradis, ils sont aveuglément persuadés de se battre pour la bonne raison, de lutter contre le mal. Persuadés, aussi, de mériter d’avoir été punis.

Il y a quelque chose de terrible dans cette acceptation de la responsabilité. Ainsi, même les Eldiens de Mahr en veulent à ceux de Paradis. Gabi Braun, personnage introduit lorsque l’action passe justement sur le continent, est un écho du jeune garçon qu’a été Eren avant de découvrir la vérité. Elle est aussi l’une des principales incarnations de ce lavage de cerveau : pour elle, ceux de Paradis sont des démons qu’il ne faut pas hésiter à tuer. Se battre rendra un peu d’honneur à sa famille, permettra d’expier un peu des péchés de ses ancêtres, et mènera les siens à obtenir un meilleur statut dans cette société où ils n’auront pourtant jamais le même que les autres.

Là aussi, donc, le gouvernement mène sa propagande nationaliste à grand renfort de sa version officielle de l’Histoire. Et là aussi, des factions rebelles complotent dans l’ombre pour renverser l’État. Le père de Sieg et Eren en fait partie, ce qui donne lieu à une scène déchirante. Gardé par ses grands-parents, Sieg est penché sur un livre d’Histoire tandis que son grand-père tente de lui inculquer la version officielle, celle qui le protègera – car la rébellion est punie de la plus horrible des façons : les coupables sont envoyés sur l’île de Paradis, transformés en Titans et abandonnés à errer et dévorer les humains qui s’y terrent.

Un peu plus tard, Sieg retrouve le même livre d’Histoire : cette fois, c’est son père qui lui fait la leçon. Et alors que l’enfant contemple la même page du même livre, on tente cette fois de lui enseigner une autre version des faits, celle des rebelles monarchistes.

Pour Isayama, c’est là une autre forme d’extrémisme. Jamais il ne porte aux nues ce genre d’idéologie. Au contraire : ce n’est pas parce qu’il les décrit et s’en est servi pour créer son récit qu’il les défend ; il s’en montre même très critique. Mais il veut aussi que ses lecteurs réfléchissent par eux-mêmes et fassent leurs propres choix. Aujourd’hui, marqués par une Histoire compliquée où ils ont été parfois assaillants, parfois opprimés, les Japonais sont plutôt pacifistes. De plus, peu de mangaka assument d’avoir un message politique dans leurs œuvres, et c’est le cas d’Isayama également. Au lecteur, donc, de lire entre les lignes.

De la mythologie grecque au mythe d’Ymir

Néanmoins, tout cela témoigne certainement de la grande culture d’un mangaka dont L’Attaque des Titans était pourtant la première œuvre. Si son manga est déjà devenu une œuvre culte, c’est pour de bonnes raisons : ses personnages, sa narration, mais aussi la richesse de son univers.

Pour le construire, Isayama a donc pioché dans sa propre vie et dans l’Histoire du XXe siècle, mais aussi dans un pan particulier et plus lointain de notre Histoire : celui de la mythologie et de nos mythes. Il leur a donné un sens spécial : celui d’un autre mythe, propre à son univers. Pour cela, il a mêlé et refaçonné à sa manière les croyances et récits de différents horizons, donnant naissance à un mythe original et originel au sein de son propre récit.

Dans L’Attaque des Titans, on distingue trois grandes influences : celle de la mythologie grecque, celle de la mythologie scandinave, plus importante encore, et finalement celle des religions monothéistes.

Ainsi, il est impossible de ne pas penser aux Titans grecs, surtout après avoir mentionné le tableau de Goya qui représente Saturne/Cronos. Ces géants, enfants des divinités Ouranos (le Ciel) et Gaïa (la Terre), sont au nombre de douze – et non neuf comme les Titans d’Isayama. Parmi eux, on compte notamment Cronos, père de Zeus.

Sculpture AtlasD’après la légende, l’un des frères de Cronos, Japet, eut un fils nommé Atlas. Lui aussi Titan, il fut condamné après sa défaite contre Zeus à porter le monde sur les épaules pour l’éternité. Les représentations d’Atlas le montrent donc soulevant la Terre, ployant sous le poids du monde, dans une posture qui rappelle une scène de L’Attaque des Titans : pour réparer un mur détruit par les Titans, Eren, lui-même transformé en Titan, porte sur ses épaules un gigantesque rocher destiné à combler le trou du mur. Isayama s’étant inspiré de la peinture de Goya pour son manga, il n’est pas impossible que les représentations d’Atlas lui aient soufflé cette image.

Cependant, la principale inspiration mythologique d’Isayama ne se trouve pas du côté de la mer Méditerranée, mais bien plus au nord. On trouve aussi des géants dans la mythologie scandinave. L’un d’eux est même le premier être vivant, à l’origine de la création de la Terre, Odin utilisant son corps pour ce faire : ses os deviennent les montagnes, son sang les mers et rivières, etc. Ce géant s’appelle Ymir, exactement comme la femme qui possédait le pouvoir des Titans primordiaux dans L’Attaque des Titans.

La référence n’est pas seulement celle d’un nom : dans la mythologie scandinave, le géant Ymir est créé à partir d’une substance liquide appelée l’eitr. Dans le manga d’Isayama, Ymir gagne ses pouvoirs en entrant dans un arbre, puis en tombant dans un liquide. Leur fin est également similaire : de même que le corps du géant Ymir est divisé pour donner naissance à la Terre et ses différents éléments, celui de son homonyme de L’Attaque des Titans est dévoré par ses enfants pour donner naissance aux neuf Titans primordiaux.

Dans le manga, Ymir ne disparaît pas totalement après sa mort. Son esprit se retrouve dans le Chemin, sorte de monde situé hors de l’espace-temps. Les Eldiens sont tous reliés par quelque chose d’invisible, les chemins, ou « paths » en anglais, qui convergent tous en un point : le Chemin où se trouve donc Ymir. Là, elle est condamnée pour l’éternité à façonner des Titans.

Ce sont ces deux points qui sont plutôt empruntés aux cultes monothéistes. Dans le Chemin, Ymir façonne les Titans avec ce qui ressemble à de la terre molle, rappelant les Golems, êtres d’argile sans capacité de parole ni libre-arbitre, conçus pour défendre leur créateur. Le Chemin, quant à lui, et l’idée que tous les Eldiens sont donc reliés, peut rappeler la connexion à Abraham chez les Juifs ou à Jésus chez les Chrétiens.

L'Attaque des Titans CheminEn revanche, l’apparence de la convergence de tous ces chemins invisibles reliant les Eldiens les uns aux autres rappelle beaucoup l’Yggdrasil scandinave, l’Arbre Monde sur lequel reposent les neuf royaumes de la mythologie nordique. Autant de royaumes que de Titans primordiaux.

Enfin, il y a l’arc final du manga et le plan d’Eren. Il entend mener à bien le Grand Terrassement, qui consiste à libérer les Titans colossaux qui se trouvent dans les murs pour piétiner et anéantir le monde. Ce plan rappelle le Ragnarök, fin du monde prophétique de la mythologie scandinave qui a notamment donné son titre au troisième film Thor du Marvel Cinematic Universe.

Lors du Ragnarök, les géants périssent, de même que la quasi-totalité des hommes et une majorité des Dieux, dont Odin, Thor ou encore Loki. S’ensuit une renaissance menée par les dieux restants. Tout cela rappelle l’apothéose du manga, au cours de laquelle Eren éradique 80% de la population, met fin à l’existence des Titans et périt lui-même. Ses quelques compagnons survivants se voient alors confier le monde d’après et la paix encore à bâtir entre Paradis et Mahr.

Même l’aspect prophétique du Ragnarök trouve un écho dans L’Attaque des Titans, puisqu’il est finalement révélé qu’Eren avait tout vu depuis des années, connaissait donc le futur et savait vers quoi s’acheminait le récit.

Le vrai sens des mots dans L’Attaque des Titans

Quoi qu’on puisse penser de cette fin qui a tant fait débat, il n’en reste pas moins qu’Isayama a maîtrisé son œuvre de bout en bout sur de nombreux points. Sa science du découpage et des scènes d’action, son art de la narration, sa culture et ses recherches ont largement contribué au succès de L’Attaque des Titans.

Et puis il y a les personnages. En rejoignant l’armée, le trio central Eren-Mikasa-Armin noue des liens avec les autres membres de sa Brigade d’entraînement, puis rencontre le fameux bataillon d’exploration. Dans le monde pseudo-européen d’Hajime Isayama, ils n’ont pas les traits asiatiques ni de nom japonais, à l’exception notable de Mikasa. L’auteur a préféré aller chercher ses prénoms ailleurs, notamment du côté de l’Allemagne dont l’histoire et l’architecture l’ont tant inspiré. Ainsi, le prénom de Sieg Jäger est un mot allemand qui signifie tout simplement « victoire » – ce qu’il a probablement incarné pour ses parents.

S’il s’est donné la peine d’aller trouver ces noms ailleurs qu’en Asie, dans un paysage qui ne lui était pas familier, il n’a pu les nommer par hasard. Par ailleurs, Isayama aime jouer avec les mots. Cette fois, l’exemple emblématique, celui qui a fait couler tant d’encre déjà, se trouve tout simplement du côté du titre de l’œuvre.

En japonais, L’Attaque des Titans s’appelle Shingeki no Kyojin. « Kyojin » est un mot qui désigne une personne de très grande taille, tandis que « Shingeki » évoque plutôt l’idée d’une charge que d’une attaque à proprement parler. Littéralement, le titre pourrait donc se traduire par « Les géants qui chargent ». Il est aussi possible de le traduire au singulier, « Kyojin » n’étant pas forcément un pluriel : « Le géant qui charge », donc.

En anglais, le choix a été de traduire ce titre par Attack on Titan, qui a le sens inverse du titre français. Alors que ce dernier suggère une attaque des Titans – sous-entendu, contre l’humanité – le titre anglais, par l’usage du mot « on » en particulier, évoque une attaque sur un Titan, au singulier. D’un côté, ce sont les Titans qui attaquent ; de l’autre, ce sont les hommes qui en attaquent un seul.

Plus tard dans le manga, il est révélé que « Shingeki no Kyojin » est en fait le nom d’un Titan en particulier : le Titan assaillant, celui que possède Eren Jäger. Lors de la traduction internationale de son œuvre, Isayama aurait pu le dire. Il aurait pu expliquer qu’on s’était trompés, que ce n’était pas ce que son titre voulait dire. Sciemment, il ne l’a pas fait.

Sachant cela, sachant qu’on avait affaire à un auteur qui aimait tant jouer sur les mots ou cacher des sens et grilles de lecture dans son manga, sachant aussi qu’il s’était donné la peine de faire les recherches nécessaires hors de sa propre culture pour construire son univers, sachant enfin qu’Isayama avait semé dans son œuvre tant de références à nos propres mythes, il est presque surprenant que personne encore n’ait disséqué dans le détail les noms et prénoms de ses personnages.

De nombreux noms de l’œuvre se classent en trois catégories : ceux qui ont un rapport avec la terre, ceux dont la signification est religieuse et ceux enfin dont la connotation est guerrière. Peut-être ces noms reflètent-ils les trois couches principales de la société de L’Attaque des Titans, où on est massivement soldat ou fermier, mais où la religion, en l’occurrence le Culte du Mur, tient une place singulière.

Peut-être faut-il simplement y voir les traces du nom fonction et de l’histoire du nom de famille. Historiquement, le nom de famille a plusieurs origines possibles : un nom de baptême, un nom de métier, un nom de localisation ou encore un sobriquet lié à un caractère généralement physique, parfois moral.

Parmi les noms en rapport avec la terre, on relève notamment celui d’Eren, Jäger, qui signifie « chasseur » en allemand. Celui de Mikasa, Ackerman, vient de « der Acker », le champ », et « der Mann », l’homme. En allemand toujours, « der Ackermann » est un vieux mot pour dire fermier. Aujourd’hui, on utilise plutôt « der Bauer ». On peut aussi penser à Hoover, le nom de Bertolt, qu’Eren rencontre dans la 104e Brigade d’entraînement. Ce n’est pas une référence aux aspirateurs, mais bien la version anglaise du nom allemand Huber, qui vient de « Hube » ou « Hufe », une ancienne unité agraire.

Les références à la religion sont elles aussi nombreuses, par exemple du côté du personnage de Levi. Dans la version française de l’œuvre, on trouve aussi l’orthographe Livaille, destinée à garder la prononciation à l’anglaise plutôt que la version française du nom, Lévi. On trouve également l’affreuse orthographe Rivaille, qui fait perdre tout son sens au prénom – alors que nous sommes justement en train de nous attarder sur l’importance des mots dans L’Attaque des Titans.

Levi est un prénom juif : c’est l’un des fils de Jacob, à l’origine de la tribu de Lévi, dont on appelle les membres les Lévites. Moïse en fait partie et est l’un des plus illustres Lévites. Il s’agit d’une tribu qui a joué un rôle religieux important, puisqu’elle était dédiée au service du Temple de Jérusalem, mais aussi de la monarchie d’Israël. On lui réservait même certaines fonctions. Le prénom, quant à lui, signifie « attaché » ou « qui joint ».

Autres références religieuses intéressantes : les personnages d’Eren, Christa et Jean Kirstein. Prénom porté par plusieurs personnages de la Bible, Jean vient en fait de l’hébreu et signifie « Yéhovah (Dieu) fait grâce ». Kirstein est un vrai nom de famille allemand ; on trouve aussi l’orthographe Kirschstein, qui évoque la cerise (« die Kirsche ») et la pierre (« der Stein »).
Mais il est bien plus intéressant de relever que le nom viendrait en fait du latin Christianus (Christian), d’où vient le mot « chrétien ». Le prénom Christian peut aussi tenir son étymologie du grec « Khristos » : comme nom propre, c’est le Christ, mais le mot renvoie aussi à l’onction, au sacré et au Messie – c’est même la traduction grecque du mot hébreu qui signifie « Messie ».

Dans L’Attaque des Titans, Jean commence comme un rival d’Eren. Il a des vues sur Mikasa et considère Eren comme un idiot suicidaire. Égoïste, lui aspire à rejoindre les brigades spéciales, dans lesquelles il sera à l’abri. Mais il a aussi un certain respect pour le courage d’Eren, auquel il finit par s’allier lorsqu’il comprend qu’il représente l’espoir de l’humanité. Stimulé par la mort d’un de ses plus proches amis de la Brigade d’entraînement, il devient peu à peu un brillant leader.

Isayama a expliqué dans l’un des guidebooks du manga qu’il a choisi le prénom de Jean pour renvoyer l’image d’un représentant du peuple. En France, il s’agissait du prénom le plus donné aux garçons jusqu’aux années 1950. Il est aussi intéressant de constater la signification doublement religieuse de son patronyme, d’autant plus quand on connaît celle du prénom d’Eren, son rival : en turc, le mot veut dire « Saint ». Mais peut-être faut-il y voir aussi un rapport avec « die Ehre » (« Ehren » au pluriel), qui veut dire « l’honneur » en allemand ?

Historia L'Attaque des TitansAutre personnage de l’œuvre, Christa est d’autant plus importante qu’elle change de nom au cours du récit. Alors que son prénom d’usage vient du latin « Christus », le Christ, elle reprend ensuite son nom de naissance, Historia. En latin et en grec, le mot signifie sans surprise « Histoire ».

Mais en grec, le mot a aussi le sens d’enquête, et même de connaissance acquise par l’enquête. « Histor » désigne celui qui sait, qui connaît. Et les fameuses Histoires d’Hérodote, ou Historiai, ont pour profession de foi d’avoir collecté des interviews, histoires et recherches au cours de ses voyages afin d’empêcher que les traces de ces événements ne soient effacées par le temps, pour préserver les accomplissements remarquables.

Christa/Historia est la reine légitime des murs, l’héritière cachée de la famille royale. C’est cette famille qui a effacé la mémoire des Eldiens de Paradis. La quête de vérité et de savoir est un des motifs fondamentaux de la série, l’aspiration de personnages comme Erwin, qui meurt sans atteindre son but, et d’Hanji Zoe, tous deux prêts à se sacrifier pour cette soif de connaissance comme d’autres pour la liberté.

En passant de Christa à Historia, de la religion à la science, de la croyance à la connaissance, le personnage sort de sa coquille pour devenir reine et surtout rend ainsi la mémoire – et la vérité – à son peuple.

En anglais existe le terme « charactonym », intraduisible car inexistant dans le vocabulaire français. C’est l’équivalent pour les personnages de fiction uniquement de l’aptonyme, un nom qui possède un sens particulier pour la personne qui le porte, souvent en rapport avec l’une de ses caractéristiques. Un cycliste qui s’appelle Velo, un sportif à succès qui s’appelle Champion.
On trouve plusieurs de ces charactonyms dans L’Attaque des Titans, le cas de Christa/Historia en étant un exemple particulièrement représentatif. C’est aussi le cas d’Armin, l’ami d’enfance d’Eren.

Armin est un prénom germanique qui existe réellement. Il a des significations intéressantes dans plusieurs langues, comme le persan où il veut dire « protecteur », mais il vient à l’origine d’Arminius, version latinisée d’Irmin. C’est le nom d’un personnage historique, héros germanique utilisé comme symbole d’unité et de liberté, libérateur des tribus germaniques contre les Saxons et figure du nationalisme allemand.

Depuis l’enfance, Armin rêve d’aller à l’extérieur des murs. Il veut voir la mer et les autres merveilles du monde, que lui décrit un livre qu’il a hérité de ses parents et qu’il doit cacher pour éviter sa destruction, ce genre d’ouvrages étant interdits. Il est d’abord plutôt suiveur : discret, efféminé, physiquement moins bon que ses compagnons, il s’engage dans les bataillons d’exploration parce que c’est là que va Eren. Timide, il a aussi peu confiance en lui. C’est pourtant le personnage qui connaît la plus grande évolution au fil du récit. À la fin de L’Attaque des Titans, on lui a confié le commandement du bataillon d’exploration, il est le héros qui a vaincu la menace d’Eren et il s’est enfin affirmé dans son rôle de génie stratégique. Il est l’un des héros, si ce n’est le héros, de l’œuvre.

Naturellement, son prénom se classe aussi dans la troisième catégorie, celle de la connotation guerrière. Il y rejoint Mikasa, nommée en référence à un cuirassé japonais, ou encore Reiner Braun, dont le prénom vient de Raginheri, nom germanique qui a aussi donné Ragnar en Scandinavie. « Ragin » signifie « conseil », « Heri » désigne l’armée ou le guerrier, et Raginheri était lui aussi un personnage historique, celui-ci un chef Viking au Moyen-Âge. Un nom sans doute approprié pour le détenteur du Titan cuirassé.

Avec L’Attaque des Titans, Hajime Isayama a bouleversé bien des codes. En France, on a d’abord publié son œuvre comme shōnen avant de le reclasser en seinen, type de manga destiné à un public masculin plus âgé que le shōnen. Mais au Japon, de façon surprenante, le lectorat est avant tout… féminin. C’est ce public qui collectionne les tomes et les goodies.

Car Isayama a brouillé les pistes. Il a multiplié les plot twists jusqu’à la toute fin de son manga, dissimulant pourtant des indices depuis le premier chapitre. Pour bien comprendre l’œuvre, il faut aujourd’hui la relire. Ce n’est que maintenant qu’elle est terminée qu’elle se dévoile dans toute l’amplitude de sa complexité, dans toute son ambivalence.

Dans tous ses jeux, aussi. Isayama a manié les mythes et multiplié les grilles de lecture sans jamais dicter sa morale au lecteur. Il ne lui a jamais donné les clefs, et c’est probablement la raison pour laquelle on s’est tant déchiré sur ce qu’il fallait en tirer.

Il s’écoulera vraisemblablement des années avant qu’un autre manga ne s’affirme comme un bouleversement comparable à L’Attaque des Titans. D’ici là, il faudra patienter avec la fin de l’adaptation animée et avec les nouvelles œuvres qu’Isayama a déjà inspirées. Celles qui, sans l’audace de L’Attaque des Titans, ne seraient probablement jamais nées.

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