Bannière La Niche Pop

Étiquette : Animation

Articles sur l’animation

Films de Noël

Les films de Noël : histoire d’un succès

Si comme moi vous avez grandi dans les années 90 et 2000, vous savez que les meilleurs films de Noël sont Die Hard (si), Maman, j’ai raté l’avion, Le Grinch et, pour les plus romantiques d’entre nous, Love Actually. Enfant, vous saviez aussi que regarder la télévision pendant vos vacances de Noël chez vos grands-parents ou votre tante Monique voulait dire regarder une énième rediffusion du Père Noël est une ordure et de La vie est belle – le film de Capra, pas celui sur la déportation.

Aujourd’hui, les films de Noël sont devenus une véritable industrie. Une industrie qui a ses géants, comme Hallmark et Netflix. Tous les ans, ils publient dès l’automne le calendrier de sortie de leurs (télé)films de Noël, comme une sorte de calendrier de l’avent avec des films à la place des chocolats.

Si les films de Noël ne datent pas d’hier, ils ont certainement proliféré ces dernières années. Chaque année, Netflix double son contenu thématique sur Noël. La chaîne américaine Lifetime en fait autant. Mais alors, comment expliquer un tel succès ? Et surtout, qu’est-ce qui a changé ?

🎄 Aux origines du boom des films de Noël

Films de Noël HallmarkCette tendance croissante remonte à une douzaine d’années. C’est en 2009 que la chaîne Hallmark, spécialisée dans les téléfilms romantiques de qualité généralement discutable, a commencé à parier sur les films de Noël pour varier ses contenus. C’était la première année du Countdown to Christmas, le compte-à-rebours télévisuel de la chaîne vers Noël.

Il faut aussi souligner qu’Hallmark est également connue pour ses cartes : la production de téléfilms de Noël s’inscrivait donc dans une volonté de lier la chaîne à cette autre activité. Et ainsi, Hallmark pouvait régner sur les foyers américains durant toute la fin de l’année.

C’est aussi ainsi que la formule parfaite du film de Noël est née : une comédie romantique d’Hallmark avec des flocons en plus. Des films simplistes, bourrés de bons sentiments et à la fin prévisible, mais dont la recette a trouvé preneur, au point qu’Hallmark produise désormais plus de quarante films de Noël par an.

Ces téléfilms ciblent principalement les femmes de 25 à 54 ans et attirent chaque année plusieurs millions de téléspectateurs (3,5 millions en 2019, première année à atteindre les 40 films de Noël diffusés).

La formule est maintenant si bien rodée qu’elle a presque quelque chose de scientifique, du budget (bas) au casting (récurrent), en passant bien sûr par les tropes, ces motifs que l’on retrouve d’un film à l’autre au point qu’ils sont devenus de véritables clichés.

L’héroïne qui revient dans sa ville natale au fin fond de nulle part après avoir construit une brillante carrière à la grande ville ? C’est un trope. Le protagoniste masculin qui est secrètement un prince ? C’est un trope. La compétition de pain d’épices/défilé de Noël/pâtisserie au cours de laquelle les deux protagonistes passeront de rivaux à amants ? C’est encore un trope.

Si Hallmark a continué de surfer sur ce que la chaîne a créé il y a douze ans, c’est parce que cette formule fonctionne. Le kitsch est devenu cool : il suffit de regarder les réseaux sociaux. Dès qu’Halloween est passé, les films de Noël envahissent les services de streaming et les chaînes TV.

Comme les audiences étaient au rendez-vous, le phénomène s’est déplacé sur d’autres chaînes, Lifetime en tête. Avec la montée du streaming, il s’est logiquement installé sur Netflix, Disney+, Amazon Prime et Apple TV, qui sont devenus de sérieux concurrents à l’usine à téléfilms de Noël des acteurs historiques.

🎁 À la recherche du feel-good movie de Noël

La vie est belle film de NoëlLa raison première de ce succès se trouve dans la période de l’année elle-même. Si les films de Noël fonctionnent si bien, c’est parce qu’ils sont diffusés à Noël. Il fait froid et il pleut, on a envie de se rouler en boule dans son lit avec un film. Il n’a pas besoin d’être bon : il a besoin d’apporter sa dose de réconfort.

Les films de Noël se laissent regarder sans réclamer trop d’attention ou de concentration. Parce qu’ils sont pleins de ces tropes, ils se ressemblent un peu tous. On peut facilement s’endormir devant au milieu de l’après-midi entre la dinde et le canard sans rien rater de l’intrigue.

Ils sont aussi pleins des sentiments qui sont associés à Noël : la joie de vivre, l’esprit familial, la réconciliation. Ce sont les lumières, la neige, les cadeaux. C’est la raison pour laquelle on y retrouve si souvent ces petites villes tout droit sorties d’une carte postale et forcément enneigées. Elles sont le reflet exact du Noël parfait.

Souvent un peu mielleux et toujours débordants de bons sentiments, les films de Noël sont le reflet d’une inatteignable perfection.

Nous savons bien que notre Noël à nous ne ressemblera pas à celui de Sarah, avocate new-yorkaise qui retourne dans sa petite ville natale pour tomber amoureuse d’un bûcheron au grand cœur en chemise à carreaux.

Chez nous, nos grands-parents s’engueuleront sur le vaccin et Macron, la tante Monique embrayera sur la montée de l’extrême-droite et la dinde sera trop cuite. Les films de Noël représentent une échappatoire, l’antidépresseur dans lequel se réfugier et où les valeurs sont toujours à l’opposé de notre réalité : le stress, les fins de mois à boucler, le Covid, etc.

On peut aussi arguer que les films de Noël vont même un peu plus loin. D’une certaine façon, ils sont aussi le miroir de nos aspirations. Ils mesurent la façon dont nous aimerions bien vivre notre vie : un peu plus d’éthique, d’amour, de morale et d’harmonie. Une réalité alternative un peu plus rose que la nôtre.

Aujourd’hui, ils sont presque devenus un rituel dont se sont notamment emparés les jeunes. Et ce n’est pas un hasard. À une période cruciale de l’année, les films de Noël interrogent aussi sur notre quotidien, nos relations, nos vies.

À travers cette avocate de retour dans sa ville paumée, ces films opposent deux sortes de valeurs : l’ambition et le matérialisme versus ce monde idéalisé où l’entraide et la fraternité sont reines.

Ce n’est probablement pas un hasard non plus si la popularité des films de Noël s’est envolée ces dernières années. Quoi qu’il arrive, ces films finissent bien. Tout va bien dans le meilleur des mondes, et c’est une évasion au chaos de la réalité.

📽️ Ce que les films de Noël nous disent de l’industrie télévisuelle et cinématographique

Miracle on 34th Street film de NoëlSi les films de Noël ont eu droit à un vrai boom de popularité au cours des dix dernières années, ils sont aussi vieux que l’histoire du cinéma. Le premier film de Noël, Père Noël (Santa Claus en VO) de George Albert Smith, remonte à 1898 – quelques années seulement après les débuts du cinéma.

Les premiers films de Noël étaient naturellement muets, mais ils n’ont pas disparu avec le cinéma parlant. Ils ont connu leur premier âge d’or dans les années 1940 et 1950. C’est la période qui a vu sortir La vie est belle, mais aussi Miracle on 34th Street ou encore White Christmas, des films qui sont aujourd’hui partie intégrante de la culture populaire.

Est-ce un hasard si cet âge d’or a commencé juste après le début de la Seconde Guerre Mondiale, soit précisément au moment où le public avait bien besoin d’une échappatoire au quotidien ? Soulignons qu’il ne s’agit pas de films de Noël pour enfants, comme on a pu en produire un certain nombre par la suite, mais bien de films destinés à un public adulte.

Preuve du succès de ces films, les acteurs incontournables de l’époque y sont tous passés : Cary Grant lui-même a joué dans Honni soit qui mal y pense (The Bishop’s wife en VO), sorti en 1947.

Quelques années plus tard, la télévision a connu son grand essor. Et elle aussi s’est mise aux films de Noël, d’abord en ciblant les enfants dans les années 1960-1970. L’animation de l’époque avait pour habitude de produire un épisode spécial de Noël chaque année.

La télévision coûtait aussi moins cher que le cinéma, et c’est donc là qu’ont proliféré les films de Noël. C’est là que ses rediffusions ont permis à La vie est belle de devenir un film culte, ce qu’il n’avait pas su être au cinéma où il avait flopé au box-office.

Indirectement, c’est aussi grâce à la télévision que les films de Noël ont connu un nouvel âge d’or des années 1980 à 2000. Plus exactement, c’est grâce à la VHS, puis au DVD. Aujourd’hui, le streaming a fait que le Blu-Ray ne peut pas prétendre au marché monstrueux qu’ont été les cassettes et le DVD.

Mais eux ont représenté des milliards. Cela signifiait que tout ne se jouait pas au cinéma et qu’il était possible de produire des films à plus gros budget en comptant sur les ventes des VHS ou DVD par la suite.

Love Actually film de Noël

Au cinéma, les films de Noël pour enfants se disputent alors à ceux destinés aux adultes. C’est tantôt Love Actually (2003), tantôt Le Pôle Express (2004). À la télévision, les films de Noël sortent chaque année tout au long des années 80, 90 et 2000. Finalement, à la toute fin des années 2000, Hallmark et Lifetime ont fait des films de Noël leur signature.

Le streaming est venu bouleverser cette domination. Netflix, Amazon, Disney+ produisent tous leurs propres films de Noël chaque année, tout en se battant pour les droits des autres. Et si la multiplication de ces productions montre bien l’évolution de l’industrie, leur contenu tend aussi à s’inscrire dans son époque.

Longtemps, les films de Noël ont été le terrain de jeux de couples blancs, hétérosexuels et de classe au moins moyenne. Des familles « traditionnelles ». Certes tardivement, et certes lentement, les choses commencent à changer.

Cette année, Netflix a sorti son premier film de Noël homosexuel : Que souffle la romance, ou Single all the way en VO. L’année dernière, Kristen Stewart tenait le rôle principal dans Ma belle-famille, Noël et moi, sorti sur Hulu et disponible en France sur Amazon Prime Video.

Petit à petit, les castings s’élargissent, comme dans Operation Christmas Drop (2020) ou The Holiday Calendar (2018). Et ainsi, de la même façon qu’ils incarnent depuis le début du cinéma et de la télévision les évolutions de l’industrie, les films de Noël se font le reflet des changements progressifs des représentations sur le petit et le grand écran.

Prométhée dans attaque des titans

Le mythe de Prométhée dans L’Attaque des Titans

Comme je l’expliquais dans le premier article de ce blog, la quête de la connaissance est une thématique fondamentale de L’Attaque des Titans. C’est l’un des buts de la série ; c’est l’aspiration d’Erwin, obnubilé par la cave de Grisha Jäger et le savoir qu’elle renferme, ou d’Hanji.

C’est aussi pour cela que le changement de nom de Christa, qui devient Historia, est tout sauf anodin : elle devient ainsi celle qui apporte la connaissance à son peuple. Mais elle n’est pas le seul personnage à remplir un rôle similaire. Comme elle, Eren apporte à l’humanité une forme de savoir et même de pouvoir.

À ce titre, c’est encore un nouveau parallèle qu’on peut tracer entre L’Attaque des Titans et la mythologie grecque. En l’occurrence, il s’agit du mythe de Prométhée, à laquelle l’histoire d’Eren fait plusieurs échos.

🔥 Prométhée et Eren, ardents défenseurs de l’humanité

Prométhée est le frère d’Atlas, pour lequel un parallèle avec Eren peut également être dressé : cette image d’Eren portant le rocher destiné à boucher le mur de Trost, qui rappelle Atlas portant le monde sur ses épaules. Comme lui, c’est un Titan, mais au sens mythologique du terme : chez les Grecs, les Titans étaient ces divinités primordiales nées avant les dieux de l’Olympe, enfants d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre). L’un d’eux, Cronos, était notamment le père de Zeus, Héra, Hadès ou encore Poséidon.

En grec, le nom de Prométhée signifie « le prévoyant », celui qui comprend avant. Son nom même fait déjà écho à Eren, et tout particulièrement aux révélations finales du manga.

mythée prométhenMais Prométhée est avant tout le voleur du feu. Alors que les Hommes le possédaient depuis l’âge d’or, Zeus les en priva pour se venger de Prométhée. Au cours d’un sacrifice de taureau, Zeus lui avait en effet demandé de décider quelle part reviendrait aux Hommes, et laquelle serait pour les dieux. Défenseur des Hommes qu’il avait créés avec Athéna, Prométhée chercha à les privilégier en dupant Zeus, qui obtint des os recouverts de graisse.

Furieux, Zeus leur retira donc le feu, les privant de la possibilité de se chauffer ou de s’éclairer. Prométhée vola donc une étincelle du feu sacré pour le rendre aux Hommes. Pour le punir de ce vol, Zeus l’enchaîna sur le Caucase et le condamna à se faire dévorer le foie par un aigle, jour après jour pour l’éternité. Chaque nuit, son foie repoussait pour être de nouveau mangé le lendemain.

Prométhée finit cependant par échapper à son terrible châtiment grâce à Hercule, qui le délivra pendant l’un de ses douze travaux.

Le mythe de Prométhée est une triple métaphore. D’abord, il faut évidemment y voir l’apport du savoir aux Hommes. Mais Prométhée est aussi celui qui ose se rebeller contre l’Olympe et les dieux.

Enfin, il est le symbole d’un hybris contre les dieux, un orgueil démesuré qui dans la mythologie est souvent représenté comme la faute morale d’un héros qui finit par être maudit pour l’avoir commise : c’est le cas de Prométhée donc, mais aussi de Minos par exemple.

En trompant Poséidon et en refusant de sacrifier le taureau blanc qu’il réclamait – encore une histoire de sacrifice – Minos provoque la fureur du dieu. C’est à cause de Poséidon que Pasiphaé, l’épouse de Minos, tombe amoureuse de ce taureau et enfante le Minotaure que Minos fit ensuite enfermer dans un labyrinthe.

Lorsqu’il vole le feu, l’acte de Prométhée n’est pas seulement d’apporter celui-ci aux Hommes. Ce n’est d’ailleurs pas pour cela qu’il est puni : pas pour la transmission du savoir, mais pour le vol en lui-même. Car en volant, il a délibérément défié les dieux ; il a voulu se mesurer à eux et a commis ainsi une faute, l’équivalent grec du péché chrétien.

Au début de L’Attaque des Titans, le manga dessine deux camps : celui de l’humanité contre celui des Titans. Mais en découvrant ses pouvoirs de Titan, Eren devient celui qui les ramène du côté des Hommes. Dans ce récit, il est ainsi un peu le Prométhée de l’histoire.

C’est aussi un vol qui fait entrer en sa possession le pouvoir des Titans, alors qu’il n’est qu’un enfant. Le Titan Assaillant est volé à ceux qui le détenaient jusqu’à présent et transféré à Eren, qui découvre ses pouvoirs quelques années plus tard. Il se range alors du côté de l’humanité, qui voit dans ce nouveau pouvoir le moyen de s’affranchir du joug des Titans.

Mais Eren leur apporte bien plus qu’un pouvoir : il leur apporte aussi une forme de connaissance. C’est le pouvoir des Titans qui finit par mener l’humanité dans la cave de Grisha Jäger, où elle découvre l’existence de Mahr. C’est le pouvoir des Titans qui permet d’apprendre les véritables origines des humains réfugiés derrière les murs et des Titans qui les ont terrifiés pendant tant d’années.

Sans ce vol originel, les habitants de Paradis seraient restés derrière leurs murs et n’auraient probablement jamais appris la vérité. Au même titre que Prométhée, Eren leur apporte donc un savoir. Et comme Prométhée aussi, il se pose dès le début du manga en fervent défenseur de l’humanité – du moins jusqu’à la saison 4.

📦 Payer le prix de son péché

Mais toujours comme Prométhée, Eren doit payer le prix de son hybris et doit être puni. Dans le mythe de Prométhée, ce dernier est en fait puni deux fois : lui-même est donc enchaîné sur le Caucase, condamné à voir son foie dévoré chaque jour par un aigle, symbole de Zeus.

PandoreZeus ne s’arrête pas là. Il fait aussi façonner par Héphaïstos et Athéna une femme, Pandore, dont il offre la main au frère de Prométhée, le Titan Épiméthée. Zeus donne à Pandore une jarre qu’il lui interdit d’ouvrir. Cédant à la curiosité, Pandore finit pourtant par désobéir et libère son contenu. Ce sont tous les maux de l’humanité : la vieillesse, la guerre, la misère, l’orgueil, le vice, etc.

Dans le mythe prométhéen, Pandore incarne la curiosité et la soif d’exploration de l’humanité. C’est évidemment aussi le cas d’Eren, qui rêve dès le plus jeune âge d’aller au-delà des murs. Mais il n’est pas le seul : il faut penser au bataillon d’exploration tout entier, à Armin, à tous ces personnages poussés par la soif de connaissance.

Mais Pandore n’est pas l’héroïne de son histoire. Elle est punie pour sa curiosité. Et par le biais de la boîte de Pandore, les Hommes payent donc aussi la faute commise par Prométhée. Lui a eu le culot de défier les dieux, eux d’en profiter et d’ainsi vouloir échapper à leur condition.

Dans L’Attaque des Titans, le mythe prométhéen n’est là encore pas très loin. L’humanité paye cher le prix du pouvoir des Titans : elle doit notamment affronter la colère de Mahr, mais connaît aussi avant cela un coup d’État. En voulant lutter contre les Titans avec son nouveau pouvoir, Eren laisse aussi de nombreuses victimes derrière lui.

Les habitants de Paradis doivent surtout dire adieu à leur innocence. C’est le prix à payer pour le savoir amené par Eren et le vol du pouvoir des Titans.

Dans la mythologie, avant que Zeus ne reprenne le feu aux Hommes, ceux-ci vivaient un âge d’or. Récupérer le feu leur permet bien sûr de s’éclairer ou de se chauffer, mais aussi et surtout de forger : ils peuvent entrer dans un âge de fer. Mais rien ne leur permettra de retourner à l’âge d’or de jadis, comme les humains derrière les murs ne pourront jamais revenir en arrière.

Venue elle aussi tout droit du mythe prométhéen, Pandore illustre une dure leçon : l’humanité ne doit pas poser de questions, n’a pas à explorer, n’a pas à se montrer curieuse. Les Hommes doivent faire ce qu’on leur dit, rester dans la vérité qu’on leur a construite. La curiosité devient un vilain défaut qui peut condamner l’humanité.

Et d’une certaine façon, peut-être valait-il mieux ne jamais découvrir la vérité. Le savoir qu’apportent Eren et Historia à l’humanité finit par les mener à la guerre contre Mahr et à ce qu’elle déclenche dans le dernier acte du manga.

🍎 De Prométhée à Eren, les enfants rebelles

Cette idée de la connaissance qui met fin au bonheur des hommes se retrouve davantage dans le christianisme que dans la mythologie grecque. On peut regarder cette fois du côté du jardin d’Éden, quand Ève mange le fruit défendu.

Ce fruit vient de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Le manger est interdit par Dieu parce que cela apporterait à Adam et Ève une connaissance nouvelle qui les mettrait sur le même plan que des dieux. Ce serait vouloir se mesurer à eux, comme Prométhée le fait lui aussi en dérobant le feu sacré.

péché originelC’est ce péché originel qui vaut à Adam et Ève d’être chassés du jardin d’Éden. Si l’on peut difficilement comparer la condition des humains enfermés derrière les murs à l’Éden, il est impossible de ne pas rappeler qu’ils vivent sur une île nommée Paradis.

Et bien que parqués derrière des murs dont ils ne peuvent sortir, perpétuellement menacés par les Titans, il s’avère à mesure que le manga avance que cette situation n’était finalement pas vraiment ce qui pouvait leur arriver de pire.

Du jardin d’Éden à L’Attaque des Titans en passant par le mythe de Prométhée, l’Homme ne cesse jamais de devoir payer le prix de sa quête de connaissance. Et dans aucun de ces trois récits le problème ne vient-il vraiment de la connaissance en elle-même, mais plutôt de cette révolte contre l’ordre établi.

Quant à Eren lui-même, il n’est évidemment pas question de Caucase ni d’aigle mangeur de foie dans L’Attaque des Titans, quoique le rôle et la symbolique des oiseaux ne soient pas absents du manga. En revanche, il paye lui aussi le prix de sa faute et de son hybris, puisque c’est bien d’orgueil qu’il s’agit.

La faute, c’est d’avoir cherché à s’élever au-dessus du niveau qu’on leur a attribué – par les dieux dans le mythe de Prométhée, par les puissants aussi dans L’Attaque des Titans. Ceux-ci ont le même côté tyrannique, injuste et violent que Zeus, clairement dépeint comme un tyran dans le mythe prométhéen.

Prométhée est caractérisé dans la littérature comme un révolté romantique qui se soulève contre l’oppression de Zeus. De son côté, Eren grandit dans une société fasciste gouverné par un État martial. Le coup d’État du bataillon d’exploration, dans le courant de la série, ne fait qu’instituer un nouvel État militaire à la tête de Paradis.

Or, comme Prométhée, Eren est un éternel rebelle. Enfant déjà, il n’a pas peur de s’insurger contre sa condition : enfermé derrière ses murs, l’Homme ne vaut guère plus que du bétail à ses yeux. Tous deux partagent un même refus de se laisser assujettir et d’être inférieur, la rébellion d’Eren contre sa condition faisant donc écho à celle de Prométhée.

Voix de la révolte contre l’autoritarisme, Prométhée finit enchaîné à la roche. La vie d’Eren prend le tournant qu’on connaît, et il ne cessera de payer le prix de sa faute jusqu’à la fin du manga.

Le post-apocalyptique : visions du futur et échos du présent

Il suffit d’ouvrir Netflix pour s’en rendre compte : le post-apocalyptique, ou post-apo pour les initiés, a toujours la forme. Loin d’entamer son succès, la pandémie l’a probablement nourri. Tout en jonglant entre les remakes de ses gloires passées et les nouveaux volets, Resident Evil a récemment sorti sa nouvelle mini-série Infinite Darkness. Sur grand écran, Le dernier voyage a mis le post-apo au service de la science-fiction française ; Sans un bruit 2 a attiré les foules dans les salles obscures. Non, décidément, le post-apo va bien – merci pour lui.

On pourrait s’étonner. Après tout, nous avons nous-mêmes un peu vécu l’Apocalypse pour de vrai. Avons-nous toujours vraiment besoin de ces fantasmes de destruction jusque dans nos loisirs ? Au début de la pandémie, le succès d’un film nous a clairement montré que oui : soudain, alors qu’il était sorti en 2011, Contagion retrouvait les faveurs des spectateurs et explosait en streaming.

Les parallèles avec ce récit d’un virus venu des chauves-souris d’Asie étaient trop flagrants pour être ignorés. Le Figaro parlait au printemps 2020 d’un film « visionnaire », Libération s’interrogeait dans un billet intitulé « Coronavirus : et si Contagion avait tout prévu ? ». Alors qu’il n’avait pas fait fureur au box-office neuf ans plus tôt, voilà que le film pointait en tête des œuvres les plus regardées sur Netflix.

Aux origines du post-apo

Mais rembobinons un peu. Pour bien comprendre le genre post-apocalyptique, il faut avant tout saisir d’où il vient. Le post-apo est en fait avant tout un sous-genre : c’est de la science-fiction. Il met en scène un monde où la civilisation s’est effondrée après une catastrophe, quelle qu’elle soit.

Ainsi, on croise régulièrement des hivers nucléaires, des invasions extraterrestres, mais aussi des pandémies ou des désastres écologiques. Il ne faut pas le confondre avec les films catastrophes ou apocalyptiques : tout l’intérêt du post-apo se trouve dans ce post. Le post-apo, c’est l’Après : l’Après civilisation, l’Après catastrophe, l’Après effondrement. Ce qu’il reste de ce monde et de ses survivants.

Ce sont les principales caractéristiques qui définissent le genre post-apocalyptique :

  1. La civilisation telle qu’on la connaît a été détruite ;
  2. Le récit s’intéresse aux survivants de cette société.

Dans notre histoire culturelle, le genre post-apocalyptique remonte à loin, très loin. On le trouve dès la mythologie et l’Antiquité, où la crainte d’une fin du monde est déjà bien présente. Le Ragnarök dans la mythologie scandinave, l’Arche de Noé… L’Apocalypse émaille déjà les récits.

Origines post-apoPlus récemment, le post-apo pointe de nouveau le bout de son nez dans la littérature du 19ème siècle. On entend beaucoup parler du Dernier Homme de Mary Shelley, également connue pour Frankenstein, ou de After London de Richard Jefferies, qui marque une étape fondamentale dans le développement du genre post-apocalyptique tel qu’on le connaît.

Mais c’est au 20ème siècle qu’il gagne vraiment du terrain, et ce n’est évidemment pas un hasard. Parce que c’est plus précisément dans les années 1950, après Hiroshima et en pleine guerre froide, que le post-apo s’est brusquement propulsé sur le devant de la scène de la science-fiction.

À l’époque, l’aspect scientifique de la science-fiction est plus que jamais présent dans ces récits. Le nucléaire est omniprésent dans les œuvres post-apocalyptiques des années 1950. Judith Merril, Leigh Brackett, John Wyndham, Richard Matheson ou Nevil Shute publient tous des livres où les tensions de la guerre froide ressurgissent plus ou moins implicitement : ici, les Soviétiques sont responsables de la création de plantes carnivores qui menacent l’humanité ; là, les États-Unis tentent de se remettre d’une attaque nucléaire.

Du côté du cinéma, le post-apo se distingue notamment par un refus de montrer les victimes de l’Apocalypse et les corps. Quelques années après l’Holocauste et Hiroshima, le cinéma refuse de sombrer dans les représentations graphiques de l’Apocalypse, notamment quand elle est nucléaire.

Il faudra attendre les années 1980 (!) pour que les effets du nucléaire se montrent à l’écran dans leur aspect le plus cru. Jusque-là, le cinéma préfère montrer ses conséquences futures plusieurs centaines d’années après l’Apocalypse. Ou il choisit d’ignorer les armes, les corps, les brûlures, les flammes, la mort et les radiations au profit d’un message antimilitariste propre à son temps.

Le post-apo, produit de son temps

Son temps, justement : c’est là l’une des clefs du genre post-apocalyptique. En retraçant son histoire et son évolution, on voit bien à quel point le présent a pesé sur le post-apo. À partir des années 1960, à mesure qu’Hiroshima et Nagasaki étaient un peu plus relayés dans le passé, que la crise des missiles de Cuba était elle aussi derrière nous, le post-apo s’est tourné vers d’autres thématiques que le nucléaire.

La surpopulation, la pollution et les catastrophes écologiques se sont mises à émailler les œuvres post-apocalyptiques, tant en littérature qu’au cinéma. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que le nucléaire a totalement disparu du genre post-apocalyptique. Il suffit de penser à la franchise Fallout ou à Mad Max. Le thème a notamment été relancé à la fin des années 1980, après l’accident de Tchernobyl.

Mais dans les années 1960 et 1970, les causes de l’Apocalypse se sont déplacées, trahissant des préoccupations nouvelles. Et c’est, comme on l’a dit, l’une des clefs du succès du post-apo : il est lié au monde contemporain ; il est un écho des peurs du présent et des craintes sur l’avenir.

Aujourd’hui, le post-apo mange à tous les râteliers : les extraterrestres, les zombies, les catastrophes climatiques, écologiques ou nucléaires… Tout est bon pour justifier la fin du monde.

Deux raisons l’expliquent : d’abord, la fin du monde fascine en elle-même. Ensuite, l’Apocalypse en soit n’est pas l’enjeu du post-apo.

On l’a expliqué, la fascination pour la fin du monde remonte à l’Antiquité. Dans toutes les mythologies, l’Apocalypse fait son apparition. Les Mayas, les Assyriens… tous ont envisagé une possible fin du monde plus ou moins proche, même avant la Bible.

L’escathologie est donc à la base même de notre société et fait partie de notre culture depuis que l’Homme est un être civilisé. D’un point de vue psychologique, la fin du monde renvoie aussi à certaines idées particulièrement menaçantes. La société, en tant que telle, s’évertue à donner une certaine signification à nos vies, à notre Histoire. Elle cherche à nous donner un sens.

La fin du monde sort de ce schéma. Elle est incontrôlable, au même titre que la mort, et s’il est bien quelque chose qu’elle n’a pas, c’est un sens. Elle échappe totalement à nos repères et à nos constructions sociales.

Il faut ajouter à cela qu’aujourd’hui, la fin du monde nous fascine probablement parce qu’elle est plus tangible que jamais. Si le nucléaire a envahi la littérature post-apocalyptique des années 1950, puis le cinéma dans la foulée, c’est parce qu’il était soudain devenu plus une vraie menace, une réalité.

La Route film post-apoDésormais, toutes nos pires craintes sont possibles. Alors que le réchauffement climatique avance à grandes enjambées, une catastrophe écologique n’est plus seulement envisageable dans un monde imaginaire : elle est une possibilité de plus en plus concrète. Le Jour d’Après, Le Transperceneige, Interstellar ou encore La Route sont tous des échos d’une triste réalité : dans un futur de moins en moins lointain, ces possibles sont devenus des probables.

Mais alors, où sont les zombies qui ont envahi les films catastrophes et post-apocalyptiques ? Si nous ne vivons pas encore dans Resident Evil, nous savons désormais, en 2021, que nous ne sommes plus à l’abri d’une pandémie.

Les zombies si chers à la science-fiction sont généralement la conséquence d’une autre catastrophe : en général biologique après un virus, mais parfois aussi nucléaire. Surtout, ils sont, comme les extraterrestres, le produit d’une vraie réflexion du genre post-apocalyptique.

Ces œuvres sont souvent l’occasion de refléter une humanité qui, en cas de catastrophe, n’hésitera pas à se déchirer pour des ressources ou à s’entretuer. Ces monstres sont l’allégorie de nos angoisses apocalyptiques, du déracinement qui irait avec, de l’effondrement de la civilisation.

Pour les fuir, la société doit se replier, quitter son foyer. Ces créatures sont donc le récit d’une fuite, d’une perte de territoire, d’une transformation de l’environnement connu. Mais face à eux, la société doit aussi se mettre à craindre l’Autre, l’alien non pas au sens d’extraterrestre mais d’étranger voire même d’ennemi.

Bref : le monstre apocalyptique n’est pas à prendre au pied de la lettre. C’est la catastrophe qu’il représente qui fait écho à nos craintes d’aujourd’hui. Il est là pour montrer la disparition de toute éthique, la lutte pour la survie, la violence dont est capable l’humanité.

Et en cela, le genre post-apocalyptique, qu’il choisisse de mettre en scène une catastrophe climatique ou un virus qui transforme les gens en zombie, reflète encore et toujours les craintes d’une génération. Ce n’est pas un hasard si le post-apo fonctionne si bien dans les œuvres adressées à la jeunesse : The Hunger Games, Gone ou Divergente l’ont bien prouvé.

Quand le post-apocalyptique se prend à espérer

Au cœur du post-apo se trouve cependant un autre thème : non pas celui de l’effondrement, mais celui de la survie. C’est l’autre caractéristique du genre. Si le post-apo est naturellement très pessimiste quant à ce que nous réserve le futur, il fait aussi preuve d’un optimisme désespéré.

Par définition, le genre post-apocalyptique dépeint donc l’après-Catastrophe, l’après-Apocalypse. Il se penche sur ce qu’il reste de notre civilisation détruite, quand la société telle qu’on la connaît n’existe plus. Il est parfois le récit d’un exode et d’un déracinement, parfois d’une tentative de réorganisation. Selon le synopsis, il oscille entre la reconstruction d’une société et l’appel de la route.

Dans les deux cas, le post-apo se fait le récit d’un monde où existe encore quelque chose. Il aime mettre en scène un sanctuaire (Je suis une légende, Bird Box…) ou une place forte où la vie peut continuer (de Fallout à Love and Monsters, sorti sur Netflix en 2020).

The Last of Us jeu vidéo post-apoDans le jeu vidéo, il fait même du joueur l’acteur de cette survie : c’est lui qui a en main les clefs de l’histoire, comme une révolte contre le sentiment d’impuissance qui a nourri notre fascination pour la fin du monde et l’Apocalypse. À lui donc de lutter contre les monstres, de restaurer l’ordre, de reconstruire une communauté.

Face à la destruction de la société, le genre post-apocalyptique veut donc généralement aller bien au-delà de la survie pour la survie. Au bout du compte, il y a un but : il sera un vaccin, une réunion de la famille, l’esquisse d’une nouvelle société organisée, une graine de nouvelle civilisation. Même dans les œuvres les plus pessimistes, il reste souvent un semblant d’humanité, un brouillon de société. On ne raconte pas le néant.

Ainsi, le post-apo se pose avant tout la question de l’évolution de la civilisation humaine, de ses nouvelles normes, de ses nouvelles valeurs, dans un monde qui a perdu tous ses repères. On se tue, on se déchire, on cède à la violence, mais on essaye aussi de s’en sortir et parfois de reconstruire quelque chose.

Après l’Apocalypse, les valeurs traditionnelles, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales, ne sont plus. Et pourtant, les œuvres post-apocalyptiques aiment tourner autour d’une sauvegarde ou d’un rétablissement de ces normes. Quand le héros essaye de retrouver les siens ou de protéger sa famille (A quiet place, World War Z…), c’est la cellule familiale qu’il tente de préserver. Ailleurs, c’est l’ordre moral, politique et/ou militaire qu’il cherche à rétablir (Tom Clancy’s The Division et sa suite, par exemple).

Le post-apo doit donc imaginer ce que pourraient devenir les rapports moraux et sociaux des êtres humains, quelles sociétés pourraient se mettre en place. Il s’intéresse à une éventuelle renaissance de l’humanité, dans un contexte où la nature tend à reprendre ses droits, où l’Homme redevient parfois à peine plus qu’un animal.

En somme : que restera-t-il de nous, quand rien ne sera plus ?

Dès lors, le genre post-apocalyptique doit aussi être considéré comme bien plus qu’un récit d’anticipation pessimiste : il est idéologique et critique, parfois (souvent, même quand il n’ose pas l’avouer) même politique. Critique, parce qu’il pose en permanence un certain regard sur son époque et son présent. Sur les craintes de ses contemporains, d’abord, qui viennent alimenter son récit. Sur le modèle socioéconomique et politique actuel, aussi.

Le post-apo ne s’intéresse pas à la catastrophe en elle-même. Parfois, son origine n’est même pas toujours très claire. Il arrive qu’elle ne soit ni montrée, ni racontée : elle est un état de fait, un point X dans le passé. Ce qui est au cœur du post-apo, c’est cet Après un peu mythique qui viendra après la fin du monde, ce qu’il adviendra une fois la catastrophe passée.

The Walking Dead série post-apoL’Apocalypse est alors une excuse pour explorer les faiblesses de notre société, tout ce qui pourrait nous déchirer et nous détruire. Et le post-apo de raconter la futilité de nos normes et leur incapacité à demeurer en pleine crise. Ne restent plus que les ruines d’un monde qui n’est plus, traces physiques d’un écroulement qui va bien au-delà du matériel.

Ce faisant, le post-apo explore et met en scène nos peurs les plus actuelles, les plus profondes. Mais il y a peut-être quelque chose de fantasmatique et de jouissif, aussi, à porter un regard sur notre Histoire depuis un futur où tout n’est plus que poussière. À regarder le passé, notre présent, depuis les ruines de l’Apocalypse.

Et surtout, les œuvres post-apocalyptiques ne s’arrêtent pas là. Par essence, elles s’attachent à dépeindre aussi la lutte pour la survie, puisqu’elles mettent en scène les survivants de cette Apocalypse. Elles ont même parfois quelque chose d’héroïque, avec un – ou plusieurs – héros qui lutte pour rétablir un peu des normes et valeurs perdues.

À grande échelle, il sera le Sauveur, figure mythique, parfois sacrificielle, qui rétablira un semblant d’ordre dans un monde où l’Homme est devenu un loup pour l’Homme. À petite échelle, il sera au moins un Protecteur, figure paternelle ou maternelle qui laisse entendre que même lorsque la morale n’est plus, la famille demeure – et avec elle un semblant d’humanité et de construction sociale.

Dans les deux cas, il sera une lueur d’espoir dans un monde qui n’est donc plus si noir. C’est là toute la particularité du post-apo : en représentant l’après-Apocalypse, il se plaît à imaginer tous les possibles qui pourraient nous attendre dans le futur. Et surtout, il se plaît à imaginer que quoi qu’il arrive, quelle que soit la catastrophe inéluctable – et qui sera très certainement de notre faute – qui nous attend… d’une façon ou d’une autre, nous survivrons.

L'Attaque des Titans

Mythe et Histoire : aux origines de L’Attaque des Titans

Attention ! Cet article contient des spoilers sur la fin de L’Attaque des Titans !

Début avril 2021 s’est achevé le manga L’Attaque des Titans. Diffusée depuis 2013, la série animée lancée par Wit Studio et reprise par MAPPA adaptera l’arc final du manga à l’hiver 2022, mettant un terme à une œuvre qui aura duré douze ans. Au cours de ces années, L’Attaque des Titans s’est affirmé comme le poids lourd du manga des années 2010, succédant à ceux qu’on appelle les Big Three One Piece, Naruto et Bleach, énormes succès des années 2000.

Comme eux, le manga d’Hajime Isayama est devenu un pan mainstream de la pop culture. En France, il a vendu plus de 3,5 millions de volumes. Diffusée non seulement par les services de streaming spécialisés dans l’anime comme Crunchyroll et Wakanim, la série a même obtenu les faveurs de Netflix, contribuant à asseoir sa place dans l’animation japonaise, et de France 4. L’Attaque des Titans a ainsi réussi à séduire même les non-amateurs de manga et d’anime. Un peu comme Naruto, même ceux qui ne lisent guère de manga en ont forcément au moins entendu parler.

De Goya à L’Attaque des Titans

Isayama savait-il, en lançant son manga, qu’il atteindrait de tels sommets ? Tout jeune mangaka – il est né en 1986 – il proposait là sa première série. Elle faisait déjà exception. D’abord refusée par l’éditeur Shūeisha, dont l’hebdomadaire Weekly Shōnen Jump a notamment publié les Big Three, elle fut finalement acceptée par son concurrent, Kōdansha. L’éditeur en fit l’œuvre phare du lancement de son magazine mensuel, Bessatsu Shōnen Magazine.

La raison de ce refus ? Le dessin. Le style d’Isayama, particulier il est vrai, n’a pas convaincu la Shūeisha et ne correspondait pas à sa ligne éditoriale. Refusant de changer son trait, le mangaka est donc tout simplement allé voir ailleurs.

Ce dessin, c’est une autre des particularités de L’Attaque des Titans. Jugé laid bien qu’il se soit amélioré au fil des années et des tomes, il ne correspond en tout cas certainement pas au style classique des shōnen, ces mangas d’action généralement destinés à un public jeune et masculin. Pourtant, il donne aussi au manga son ton si spécial, son atmosphère horrifique.

Et quelle atmosphère ! À parcours atypique et dessin original, synopsis unique. Hajime Isayama met en scène un univers comme on n’en trouve guère d’autre dans le manga. C’est à la fois une dystopie, de la dark fantasy et un monde aux accents steampunk. L’Attaque des Titans raconte ainsi l’histoire d’une humanité assiégée, repliée derrière un système de murs pour se protéger des Titans, gigantesques créatures humanoïdes qui ont presque éradiqué l’espace humaine.

Eren Mikasa L'Attaque des TitansC’est derrière ces murs que grandit Eren Jäger. C’est un enfant rêveur et révolté : il s’insurge de vivre ainsi comme du bétail et n’aspire qu’à intégrer les fameux bataillons d’exploration, branche de l’armée qui sort des murs pour explorer le monde extérieur – généralement au prix de nombreuses vies. Puis un jour, tout bascule : des Titans apparemment pourvus d’intelligence attaquent et détruisent le mur derrière lequel vit Eren.

Après avoir vu sa mère dévorée sous ses yeux, Eren fait une promesse : il jure qu’il exterminera tous les Titans. Il s’engage alors dans l’armée avec ses amis d’enfance, Mikasa Ackerman et Armin Arlert. Durant trois ans, au côté d’autres adolescents de son âge, il sera formé à se battre, à tuer du titan et surtout à utiliser l’équipement de manœuvre tridimensionnelle, le seul recours pour lutter contre des créatures qui dépassent les humains de plusieurs mètres et n’ont pour seul point faible qu’une zone située à la base du cou.

Pour créer ces Titans et cet univers, Hajime Isayama s’est en partie inspiré de sa propre vie. Issu lui-même d’une famille de fermiers, il a grandi dans les montagnes et rêvait, comme Eren, du monde qui se trouvait au-delà. Plus tard, ayant commencé sa vie professionnelle, il a été confronté à un ivrogne dans le cybercafé où il travaillait. C’est la peur de cette confrontation, la terreur et l’impuissance qu’il a ressenties alors, qui ont fait germer l’idée des Titans. Ceux-ci ont surtout la particularité d’être des monstres comme on n’en avait jamais vus auparavant, ce qui explique en partie le succès du manga.

Certes, ils ont quelque chose qui rappelle un peu le zombie : ce sont des créatures humanoïdes, dépourvues d’intelligence et guidées par la violence. Les Titans ne tuent pas pour se nourrir, leur système digestif étant d’ailleurs rudimentaire. Ils tuent par instinct, peut-être même par plaisir. Mais ils ont quelque chose de plus terrifiant encore que les zombies : immenses, ils ont des traits exagérés, mais aussi des corps nus, dépourvus d’organes génitaux et parfois difformes. La taille de leurs membres n’est pas toujours cohérente : grosse tête, petits bras, grand nez… Ils ont généralement de larges sourires, cruels et bêtes, qu’un autre trait que celui d’Isayama n’aurait pas pu rendre aussi féroces, aussi cauchemardesques.

Saturne dévorant un de ses filsL’exceptionnelle esthétique de ces Titans, Isayama la puise aussi du côté d’un artiste européen : Francisco de Goya. Ce peintre espagnol a vécu l’horreur de la guerre d’indépendance et l’instabilité politique des années 1820 en Espagne. Lui-même se remet d’une douloureuse et difficile maladie. Désormais âgé de plus de soixante-dix ans, il est confronté à l’aigreur de la guerre civile et à sa propre déchéance physique. Et sur les murs de la maison qu’il a achetée près de Madrid, il peint ce qu’on appelle les Peintures Noires, une série de fresques à la peinture à l’huile qui compte notamment Saturne dévorant un de ses fils.

Ce tableau, aujourd’hui transféré sur toile et exposé à Madrid, représente donc Saturne, l’équivalent romain de Cronos, en train de dévorer son fils adolescent. La tête et le bras droit ont déjà été mangés par Saturne, qui s’apprête à avaler ce qu’il reste du bras gauche. Les yeux écarquillés et la bouche grand ouverte, il se détache sur un fond obscur.

C’est cette fresque horrifique, peinte qui plus est dans un contexte de guerre civile, qui a en partie inspiré l’allure des Titans d’Isayama. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’elle parvenait jusqu’aux mangas japonais : on la trouve aussi dans une autre œuvre bien connue, HunterxHunter.

L’Histoire japonaise, présente en pointillés

Goya est loin d’être la seule influence européenne d’Hajime Isayama. L’Attaque des Titans ne se déroule d’ailleurs pas au Japon. Le mangaka a préféré opter pour un univers dont l’architecture rappelle plutôt l’Europe médiévale, en particulier l’Allemagne. Dans une interview sur la chaîne japonaise NHK en 2018, Isayama a notamment cité la ville bavaroise de Nördlingen, qui a conservé son apparence médiévale et est entourée par… un mur.

Les maisons de Shiganshina, le district où a grandi Eren, rappellent clairement l’époque préindustrielle d’Europe centrale. Ce sont des maisons à colombages comme on peut encore en trouver en Alsace ou en Allemagne. Plus à l’intérieur des murs, où les quartiers sont plus riches, l’architecture de L’Attaque des Titans est en pierre et davantage romane. Elle évoque cependant encore l’Europe centrale. Plus tard dans le manga, Eren est caché dans un château qui est lui aussi clairement européen, même s’il fait plus Renaissance que Moyen-Âge.

Non pas, bien sûr, qu’Isayama ait totalement ignoré l’Histoire du Japon. Derrière certains parallèles évidents avec l’Histoire européenne, d’autres, plus ou moins discrets, renvoient directement au passé japonais.

Le cas emblématique est celui du personnage de Dot Pixis, connu pour avoir été à l’origine de vives critiques et d’un backlash à l’encontre d’Hajime Isayama. En 2010, le mangaka a avoué avoir pris pour modèle un personnage historique réel, celui d’Akiyama Yoshifuru. C’était un général japonais de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il a participé à plusieurs guerres du Japon, notamment en Chine et en Corée, où l’armée japonaise s’est rendue coupable de nombreuses exactions. Yoshifuru y a-t-il participé ? En a-t-il été complice ? Peu importe : cette inspiration a massivement déplu à certains lecteurs, et non-lecteurs d’ailleurs, de L’Attaque des Titans. Elle a même valu à Isayama d’être qualifié de fasciste et de recevoir des menaces de mort.

Mais le général Yoshifuru est avant tout un héros japonais, considéré pour être le père de la cavalerie japonaise moderne. Au Japon, il a inspiré un roman et son adaptation en série télévisée. Et comme d’autres pans peut-être peu glorieux de l’Histoire japonaise, il a influencé Isayama.

Ces pans peu glorieux, ce sont notamment des thématiques d’impérialisme, de nationalisme et de militarisme. L’Attaque des Titans est pleine d’une esthétique militaire qu’il n’est pas difficile de renvoyer à l’Histoire du Japon. Le pays est notamment passé par une douloureuse phase d’unification, de guerres civiles puis de totalitarisme avant la Seconde Guerre mondiale.

La société où vit Eren est militaire. Le siège des Titans a servi d’argument au gouvernement totalitaire qui les utilise, eux et leur oppression, pour justifier la militarisation de la société. Derrière les murs, on est principalement fermier ou soldat. L’armée compte trois corps : la garnison, chargée des murs, le bataillon d’exploration, qui part à l’extérieur, et les brigades spéciales, qui sont en fait une police militaire chargée de maintenir le calme, la paix et loi à l’intérieur des murs. La police même est donc confondue avec l’armée, ce qui n’est pas sans rappeler l’une des caractéristiques d’un État totalitaire.

Et l’imaginaire martial est prégnant : l’armée salue avec le poing sur le cœur, ce fameux « sasageyo » qui appelle au sacrifice de son cœur. Le motif du sacrifice pour la patrie, d’ailleurs, traverse tout le manga. C’est une forme de patriotisme presque nationaliste que ce culte du sacrifice. On glorifie les morts jusqu’à la toute fin du manga, dans l’idée que leur sacrifice ne sera pas vain. C’est l’une des grandes questions de l’œuvre, parsemée de tant de décès qu’on l’a comparée avec Game of Thrones : cette mort aura-t-elle été utile ? Ou ce soldat sera-t-il mort pour rien ? Pour la patrie, pour la victoire sur les Titans, ces tout jeunes gens – Eren a quinze ans lorsqu’il rejoint l’armée – ne sont pas seulement prêts à se sacrifier eux-mêmes, à sacrifier leur vie et leur corps : ils sont prêts à sacrifier aussi leur humanité.

Sur ce point, on sent peut-être un écho des kamikazes, ces pilotes japonais envoyés en mission-suicide lors de la Seconde Guerre mondiale. Avec ce parallèle supplémentaire que ceux que l’Histoire a retenus comme des fanatiques n’en étaient pas toujours : souvent, il s’agissait de (très) jeunes soldats envoyés au casse-pipe contre leur gré. Confrontés à la violence et à la mort, à la dure réalité du combat, Eren et ses camarades n’ont plus rien de la fanfaronnade qu’ils pouvaient afficher au début de leur entraînement. Les voilà tremblants, terrifiés, traumatisés et vomissant tripes et boyaux. Regrettant brusquement leur engagement.

C’est là tout le côté critique d’Isayama : loin de glorifier le nationalisme de cette société fasciste, le mangaka montre même le contraire. Car c’est généralement dans ces moments glorieux de sacrifice et de patriotisme exacerbé qu’une mort brutale, violente et inutile vient rappeler la réalité de la guerre. Au début du manga, Isayama n’hésite pas à faire mourir son personnage principal, dans un extraordinaire plot twist. Saisi en pleine action héroïque et lancé sur sa résolution d’exterminer tous les Titans, Eren se fait arracher une jambe et un bras avant de se faire gober par un Titan. Et voilà pour ta peine.

Les parallèles avec l’Histoire européenne

Moins bien connue du lectorat international et peut-être plus discrète dans l’œuvre, l’Histoire japonaise qui a inspiré l’auteur a semble-t-il moins sauté aux yeux que les parallèles plus évidents avec l’Europe.

Parmi ceux-ci, la comparaison filée avec la Seconde Guerre mondiale – encore elle ! – a fait couler beaucoup d’encre. C’est même en grande partie à cause d’elle que d’aucuns ont accusé L’Attaque des Titans d’être un manga d’extrême-droite.

Dans la seconde partie de l’œuvre, qui correspond à la troisième saison de l’anime, Eren et ses compagnons découvrent que leur bastion n’a jamais été tout ce qu’il restait de l’humanité. Contrairement à ce qu’ils croyaient, il reste bien un monde au-dehors. Leur société se trouve en fait sur une île, Paradis. Immédiatement de l’autre côté de la mer se trouve Mahr, une Nation jadis assujettie par la supériorité militaire des Eldiens. Pour conquérir Mahr, ce peuple a pu s’appuyer sur une puissance sans commune mesure : celle des Titans.

Eldia était alors gouvernée par le roi Fritz, dont la femme Ymir possédait le pouvoir des Titans. À sa mort, ce pouvoir fut divisé en neuf et donna lieu aux neuf Titans primordiaux, qui ont continué jusqu’à la génération d’Eren à passer d’Eldien en Eldien, seul peuple capable de recevoir le pouvoir des Titans.

Finalement, Mahr se souleva et parvint à récupérer sept des neufs Titans. Le 145e roi d’Eldia, nommé Karl Fritz comme son illustre ancêtre, renonça alors à se battre et se retira sur l’île de Paradis, où il utilisa son pouvoir pour construire les trois murs, bâtis à partir de Titans colossaux solidifiés. Et pour préserver la paix, il jura de lancer ces Titans à l’assaut si Mahr osait s’en prendre à son île.

Après ces révélations, Isayama a tenté un pari risqué : changer totalement l’environnement de son manga et ouvrir son arc suivant à Mahr même. C’est ce qui a également ouvert la quatrième et dernière saison de l’anime, permettant notamment d’introduire une nouvelle brochette de personnages et d’apporter un peu plus de contexte à ce peuple Eldien.

Lorsque la narration se déplace à Mahr, on y découvre qu’il reste en fait des Eldiens, abandonnés là par leur roi et que les Mahrs ont parqués dans ce qui ressemble fort à des ghettos. Ils y vivent séparés du peuple Mahr, surveillés par l’armée, relégués à un rang de sous-citoyens et identifiés par un brassard de couleur qu’ils portent sur le bras.

Ghettos L'Attaque des TitansIl est naturellement difficile d’ignorer la comparaison qui se dessine : celle, bien sûr, du peuple juif. Ces brassards rappellent évidemment l’étoile portée par les Juifs, les camps d’internement font écho aux ghettos juifs, et les Eldiens ne peuvent aspirer aux postes à responsabilité. On se trouve là face à un cas emblématique de ségrégation ethnique, où tout contrevenant est passible de la peine de mort et où le racisme ambiant assimile les Eldiens à des démons.

Ce n’est même pas là le seul parallèle avec l’Histoire juive. Plus tard dans le manga, le personnage de Sieg Jäger, demi-frère d’Eren qui a grandi à Mahr, a un plan pour lever la malédiction du pouvoir des Titans : stériliser l’ensemble du peuple Eldien. C’est ce qu’on appelle de l’eugénisme, concept qui désigne la sélection génétique au sein d’une population. La stérilisation fait partie des méthodes eugéniques les plus fréquentes et a notamment été pratiquée par le régime nazi, qui a ainsi stérilisé plusieurs centaines de milliers de malades mentaux et a largement expérimenté sur la stérilisation de masse, notamment dans les tristement célèbres camps d’Auschwitz et de Ravensbrück.

Mais faut-il pourtant déclarer sans hésitation, comme certains l’ont fait, que les Eldiens sont clairement les Juifs et que L’Attaque des Titans est une apologie du fascisme ? Loin de là, évidemment. D’abord, parce que s’il est vrai que le parallèle se fait facilement, il n’est pas la seule grille de lecture possible. Les Juifs n’ont malheureusement pas été les seules victimes de ségrégation raciale au cours de l’Histoire – même durant le seul XXe siècle. On peut citer le cas de l’Apartheid, pendant lequel les populations indiennes, métisses et noires ont été massivement reléguées dans les townships, quartiers pauvres construits en périphérie des villes. Ils ont de nombreux points communs avec les ghettos juifs, et par conséquent avec les camps d’internement de Mahr. Mais il faut aussi citer un exemple japonais, qui a très bien pu inspirer directement Isayama : celui de l’internement, toujours dans des camps, des Japonais aux États-Unis.

Après Pearl Harbor, le Président Roosevelt autorisa en 1942 une mesure qui visait à interner les citoyens d’origine japonaise, y compris ceux qui avaient été naturalisés et étaient donc, de fait, Américains. Obligés d’abandonner leur propriété et souvent leur travail pour rejoindre de force ces camps de relogement, ces Japonais ou Américains d’origine nippone ont vécu là plusieurs années dans des conditions exécrables, massés dans des dortoirs ou des étables.

Quant à savoir si L’Attaque des Titans fait l’apologie de ce qu’il décrit… Incontestablement, Hajime Isayama a créé deux gouvernements autoritaires : ni l’île de Paradis ni Mahr n’y échappent. C’est l’une des forces du manga : refuser le manichéisme et la simplicité d’un combat entre gentils et méchants. Au début de l’œuvre, on pense pourtant assister à la lutte entre les héros du bataillon d’exploration contre les Titans. Rien n’est moins vrai.

L’introduction de Mahr permet à Isayama de confronter les points de vue. L’auteur interroge en permanence les rapports moraux du lecteur, qui passe son temps à changer d’avis au fur et à mesure qu’il avance dans le manga. Ce qui paraissait autrefois noir et blanc s’avère vite gris.

Ainsi, les Eldiens sont opprimés par les Mahrs, mais on découvre ensuite qu’ils étaient à la base un peuple guerrier qui a utilisé les Titans pour soumettre Mahr dans la violence. De plus, les deux nations sont bien plus semblables qu’on ne le croirait d’emblée : des deux côtés de la mer, les populations sont conditionnées, l’Histoire est réécrite par le pouvoir, le militarisme est ambiant, les enfants sont envoyés au combat, et des factions rebelles complotent contre le pouvoir.

Sur l’île de Paradis, le gouvernement militaire utilise donc les Titans et la crainte qu’ils inspirent. La mémoire des Eldiens y a été effacée par le pouvoir du roi, qui leur cache notamment qu’il reste des humains en dehors des murs, mais aussi leur passé et leurs origines. Génération après génération, les habitants de Paradis subissent donc un endoctrinement systémique et n’ont pour toute mémoire que celle qu’on a bien voulu leur construire.

La vérité n’est connue que de certains nobles et hauts-placés, qui écrivent donc librement leur propre version de l’Histoire et mènent tranquillement leur fausse propagande en contrôlant rigoureusement l’information. La preuve : lorsque le bataillon d’exploration approche de la vérité, le gouvernement les déclare des traîtres. Il veut les arrêter pour cacher la vérité, ce qui mène à un coup d’État militaire – l’une des factions rebelles dont nous parlions plus haut.

De l’autre côté de la mer, à Mahr, le gouvernement a écrit sa propre Histoire. Les Eldiens y sont des démons dont la violence justifie la mise à l’écart de leurs descendants. Là aussi, les enfants sont conditionnés et endoctrinés. Là aussi, ils s’engagent dans l’armée dès le plus jeune âge. Et comme certaines de leurs contreparties de l’île de Paradis, ils sont aveuglément persuadés de se battre pour la bonne raison, de lutter contre le mal. Persuadés, aussi, de mériter d’avoir été punis.

Il y a quelque chose de terrible dans cette acceptation de la responsabilité. Ainsi, même les Eldiens de Mahr en veulent à ceux de Paradis. Gabi Braun, personnage introduit lorsque l’action passe justement sur le continent, est un écho du jeune garçon qu’a été Eren avant de découvrir la vérité. Elle est aussi l’une des principales incarnations de ce lavage de cerveau : pour elle, ceux de Paradis sont des démons qu’il ne faut pas hésiter à tuer. Se battre rendra un peu d’honneur à sa famille, permettra d’expier un peu des péchés de ses ancêtres, et mènera les siens à obtenir un meilleur statut dans cette société où ils n’auront pourtant jamais le même que les autres.

Là aussi, donc, le gouvernement mène sa propagande nationaliste à grand renfort de sa version officielle de l’Histoire. Et là aussi, des factions rebelles complotent dans l’ombre pour renverser l’État. Le père de Sieg et Eren en fait partie, ce qui donne lieu à une scène déchirante. Gardé par ses grands-parents, Sieg est penché sur un livre d’Histoire tandis que son grand-père tente de lui inculquer la version officielle, celle qui le protègera – car la rébellion est punie de la plus horrible des façons : les coupables sont envoyés sur l’île de Paradis, transformés en Titans et abandonnés à errer et dévorer les humains qui s’y terrent.

Un peu plus tard, Sieg retrouve le même livre d’Histoire : cette fois, c’est son père qui lui fait la leçon. Et alors que l’enfant contemple la même page du même livre, on tente cette fois de lui enseigner une autre version des faits, celle des rebelles monarchistes.

Pour Isayama, c’est là une autre forme d’extrémisme. Jamais il ne porte aux nues ce genre d’idéologie. Au contraire : ce n’est pas parce qu’il les décrit et s’en est servi pour créer son récit qu’il les défend ; il s’en montre même très critique. Mais il veut aussi que ses lecteurs réfléchissent par eux-mêmes et fassent leurs propres choix. Aujourd’hui, marqués par une Histoire compliquée où ils ont été parfois assaillants, parfois opprimés, les Japonais sont plutôt pacifistes. De plus, peu de mangaka assument d’avoir un message politique dans leurs œuvres, et c’est le cas d’Isayama également. Au lecteur, donc, de lire entre les lignes.

De la mythologie grecque au mythe d’Ymir

Néanmoins, tout cela témoigne certainement de la grande culture d’un mangaka dont L’Attaque des Titans était pourtant la première œuvre. Si son manga est déjà devenu une œuvre culte, c’est pour de bonnes raisons : ses personnages, sa narration, mais aussi la richesse de son univers.

Pour le construire, Isayama a donc pioché dans sa propre vie et dans l’Histoire du XXe siècle, mais aussi dans un pan particulier et plus lointain de notre Histoire : celui de la mythologie et de nos mythes. Il leur a donné un sens spécial : celui d’un autre mythe, propre à son univers. Pour cela, il a mêlé et refaçonné à sa manière les croyances et récits de différents horizons, donnant naissance à un mythe original et originel au sein de son propre récit.

Dans L’Attaque des Titans, on distingue trois grandes influences : celle de la mythologie grecque, celle de la mythologie scandinave, plus importante encore, et finalement celle des religions monothéistes.

Ainsi, il est impossible de ne pas penser aux Titans grecs, surtout après avoir mentionné le tableau de Goya qui représente Saturne/Cronos. Ces géants, enfants des divinités Ouranos (le Ciel) et Gaïa (la Terre), sont au nombre de douze – et non neuf comme les Titans d’Isayama. Parmi eux, on compte notamment Cronos, père de Zeus.

Sculpture AtlasD’après la légende, l’un des frères de Cronos, Japet, eut un fils nommé Atlas. Lui aussi Titan, il fut condamné après sa défaite contre Zeus à porter le monde sur les épaules pour l’éternité. Les représentations d’Atlas le montrent donc soulevant la Terre, ployant sous le poids du monde, dans une posture qui rappelle une scène de L’Attaque des Titans : pour réparer un mur détruit par les Titans, Eren, lui-même transformé en Titan, porte sur ses épaules un gigantesque rocher destiné à combler le trou du mur. Isayama s’étant inspiré de la peinture de Goya pour son manga, il n’est pas impossible que les représentations d’Atlas lui aient soufflé cette image.

Cependant, la principale inspiration mythologique d’Isayama ne se trouve pas du côté de la mer Méditerranée, mais bien plus au nord. On trouve aussi des géants dans la mythologie scandinave. L’un d’eux est même le premier être vivant, à l’origine de la création de la Terre, Odin utilisant son corps pour ce faire : ses os deviennent les montagnes, son sang les mers et rivières, etc. Ce géant s’appelle Ymir, exactement comme la femme qui possédait le pouvoir des Titans primordiaux dans L’Attaque des Titans.

La référence n’est pas seulement celle d’un nom : dans la mythologie scandinave, le géant Ymir est créé à partir d’une substance liquide appelée l’eitr. Dans le manga d’Isayama, Ymir gagne ses pouvoirs en entrant dans un arbre, puis en tombant dans un liquide. Leur fin est également similaire : de même que le corps du géant Ymir est divisé pour donner naissance à la Terre et ses différents éléments, celui de son homonyme de L’Attaque des Titans est dévoré par ses enfants pour donner naissance aux neuf Titans primordiaux.

Dans le manga, Ymir ne disparaît pas totalement après sa mort. Son esprit se retrouve dans le Chemin, sorte de monde situé hors de l’espace-temps. Les Eldiens sont tous reliés par quelque chose d’invisible, les chemins, ou « paths » en anglais, qui convergent tous en un point : le Chemin où se trouve donc Ymir. Là, elle est condamnée pour l’éternité à façonner des Titans.

Ce sont ces deux points qui sont plutôt empruntés aux cultes monothéistes. Dans le Chemin, Ymir façonne les Titans avec ce qui ressemble à de la terre molle, rappelant les Golems, êtres d’argile sans capacité de parole ni libre-arbitre, conçus pour défendre leur créateur. Le Chemin, quant à lui, et l’idée que tous les Eldiens sont donc reliés, peut rappeler la connexion à Abraham chez les Juifs ou à Jésus chez les Chrétiens.

L'Attaque des Titans CheminEn revanche, l’apparence de la convergence de tous ces chemins invisibles reliant les Eldiens les uns aux autres rappelle beaucoup l’Yggdrasil scandinave, l’Arbre Monde sur lequel reposent les neuf royaumes de la mythologie nordique. Autant de royaumes que de Titans primordiaux.

Enfin, il y a l’arc final du manga et le plan d’Eren. Il entend mener à bien le Grand Terrassement, qui consiste à libérer les Titans colossaux qui se trouvent dans les murs pour piétiner et anéantir le monde. Ce plan rappelle le Ragnarök, fin du monde prophétique de la mythologie scandinave qui a notamment donné son titre au troisième film Thor du Marvel Cinematic Universe.

Lors du Ragnarök, les géants périssent, de même que la quasi-totalité des hommes et une majorité des Dieux, dont Odin, Thor ou encore Loki. S’ensuit une renaissance menée par les dieux restants. Tout cela rappelle l’apothéose du manga, au cours de laquelle Eren éradique 80% de la population, met fin à l’existence des Titans et périt lui-même. Ses quelques compagnons survivants se voient alors confier le monde d’après et la paix encore à bâtir entre Paradis et Mahr.

Même l’aspect prophétique du Ragnarök trouve un écho dans L’Attaque des Titans, puisqu’il est finalement révélé qu’Eren avait tout vu depuis des années, connaissait donc le futur et savait vers quoi s’acheminait le récit.

Le vrai sens des mots dans L’Attaque des Titans

Quoi qu’on puisse penser de cette fin qui a tant fait débat, il n’en reste pas moins qu’Isayama a maîtrisé son œuvre de bout en bout sur de nombreux points. Sa science du découpage et des scènes d’action, son art de la narration, sa culture et ses recherches ont largement contribué au succès de L’Attaque des Titans.

Et puis il y a les personnages. En rejoignant l’armée, le trio central Eren-Mikasa-Armin noue des liens avec les autres membres de sa Brigade d’entraînement, puis rencontre le fameux bataillon d’exploration. Dans le monde pseudo-européen d’Hajime Isayama, ils n’ont pas les traits asiatiques ni de nom japonais, à l’exception notable de Mikasa. L’auteur a préféré aller chercher ses prénoms ailleurs, notamment du côté de l’Allemagne dont l’histoire et l’architecture l’ont tant inspiré. Ainsi, le prénom de Sieg Jäger est un mot allemand qui signifie tout simplement « victoire » – ce qu’il a probablement incarné pour ses parents.

S’il s’est donné la peine d’aller trouver ces noms ailleurs qu’en Asie, dans un paysage qui ne lui était pas familier, il n’a pu les nommer par hasard. Par ailleurs, Isayama aime jouer avec les mots. Cette fois, l’exemple emblématique, celui qui a fait couler tant d’encre déjà, se trouve tout simplement du côté du titre de l’œuvre.

En japonais, L’Attaque des Titans s’appelle Shingeki no Kyojin. « Kyojin » est un mot qui désigne une personne de très grande taille, tandis que « Shingeki » évoque plutôt l’idée d’une charge que d’une attaque à proprement parler. Littéralement, le titre pourrait donc se traduire par « Les géants qui chargent ». Il est aussi possible de le traduire au singulier, « Kyojin » n’étant pas forcément un pluriel : « Le géant qui charge », donc.

En anglais, le choix a été de traduire ce titre par Attack on Titan, qui a le sens inverse du titre français. Alors que ce dernier suggère une attaque des Titans – sous-entendu, contre l’humanité – le titre anglais, par l’usage du mot « on » en particulier, évoque une attaque sur un Titan, au singulier. D’un côté, ce sont les Titans qui attaquent ; de l’autre, ce sont les hommes qui en attaquent un seul.

Plus tard dans le manga, il est révélé que « Shingeki no Kyojin » est en fait le nom d’un Titan en particulier : le Titan assaillant, celui que possède Eren Jäger. Lors de la traduction internationale de son œuvre, Isayama aurait pu le dire. Il aurait pu expliquer qu’on s’était trompés, que ce n’était pas ce que son titre voulait dire. Sciemment, il ne l’a pas fait.

Sachant cela, sachant qu’on avait affaire à un auteur qui aimait tant jouer sur les mots ou cacher des sens et grilles de lecture dans son manga, sachant aussi qu’il s’était donné la peine de faire les recherches nécessaires hors de sa propre culture pour construire son univers, sachant enfin qu’Isayama avait semé dans son œuvre tant de références à nos propres mythes, il est presque surprenant que personne encore n’ait disséqué dans le détail les noms et prénoms de ses personnages.

De nombreux noms de l’œuvre se classent en trois catégories : ceux qui ont un rapport avec la terre, ceux dont la signification est religieuse et ceux enfin dont la connotation est guerrière. Peut-être ces noms reflètent-ils les trois couches principales de la société de L’Attaque des Titans, où on est massivement soldat ou fermier, mais où la religion, en l’occurrence le Culte du Mur, tient une place singulière.

Peut-être faut-il simplement y voir les traces du nom fonction et de l’histoire du nom de famille. Historiquement, le nom de famille a plusieurs origines possibles : un nom de baptême, un nom de métier, un nom de localisation ou encore un sobriquet lié à un caractère généralement physique, parfois moral.

Parmi les noms en rapport avec la terre, on relève notamment celui d’Eren, Jäger, qui signifie « chasseur » en allemand. Celui de Mikasa, Ackerman, vient de « der Acker », le champ », et « der Mann », l’homme. En allemand toujours, « der Ackermann » est un vieux mot pour dire fermier. Aujourd’hui, on utilise plutôt « der Bauer ». On peut aussi penser à Hoover, le nom de Bertolt, qu’Eren rencontre dans la 104e Brigade d’entraînement. Ce n’est pas une référence aux aspirateurs, mais bien la version anglaise du nom allemand Huber, qui vient de « Hube » ou « Hufe », une ancienne unité agraire.

Les références à la religion sont elles aussi nombreuses, par exemple du côté du personnage de Levi. Dans la version française de l’œuvre, on trouve aussi l’orthographe Livaille, destinée à garder la prononciation à l’anglaise plutôt que la version française du nom, Lévi. On trouve également l’affreuse orthographe Rivaille, qui fait perdre tout son sens au prénom – alors que nous sommes justement en train de nous attarder sur l’importance des mots dans L’Attaque des Titans.

Levi est un prénom juif : c’est l’un des fils de Jacob, à l’origine de la tribu de Lévi, dont on appelle les membres les Lévites. Moïse en fait partie et est l’un des plus illustres Lévites. Il s’agit d’une tribu qui a joué un rôle religieux important, puisqu’elle était dédiée au service du Temple de Jérusalem, mais aussi de la monarchie d’Israël. On lui réservait même certaines fonctions. Le prénom, quant à lui, signifie « attaché » ou « qui joint ».

Autres références religieuses intéressantes : les personnages d’Eren, Christa et Jean Kirstein. Prénom porté par plusieurs personnages de la Bible, Jean vient en fait de l’hébreu et signifie « Yéhovah (Dieu) fait grâce ». Kirstein est un vrai nom de famille allemand ; on trouve aussi l’orthographe Kirschstein, qui évoque la cerise (« die Kirsche ») et la pierre (« der Stein »).
Mais il est bien plus intéressant de relever que le nom viendrait en fait du latin Christianus (Christian), d’où vient le mot « chrétien ». Le prénom Christian peut aussi tenir son étymologie du grec « Khristos » : comme nom propre, c’est le Christ, mais le mot renvoie aussi à l’onction, au sacré et au Messie – c’est même la traduction grecque du mot hébreu qui signifie « Messie ».

Dans L’Attaque des Titans, Jean commence comme un rival d’Eren. Il a des vues sur Mikasa et considère Eren comme un idiot suicidaire. Égoïste, lui aspire à rejoindre les brigades spéciales, dans lesquelles il sera à l’abri. Mais il a aussi un certain respect pour le courage d’Eren, auquel il finit par s’allier lorsqu’il comprend qu’il représente l’espoir de l’humanité. Stimulé par la mort d’un de ses plus proches amis de la Brigade d’entraînement, il devient peu à peu un brillant leader.

Isayama a expliqué dans l’un des guidebooks du manga qu’il a choisi le prénom de Jean pour renvoyer l’image d’un représentant du peuple. En France, il s’agissait du prénom le plus donné aux garçons jusqu’aux années 1950. Il est aussi intéressant de constater la signification doublement religieuse de son patronyme, d’autant plus quand on connaît celle du prénom d’Eren, son rival : en turc, le mot veut dire « Saint ». Mais peut-être faut-il y voir aussi un rapport avec « die Ehre » (« Ehren » au pluriel), qui veut dire « l’honneur » en allemand ?

Historia L'Attaque des TitansAutre personnage de l’œuvre, Christa est d’autant plus importante qu’elle change de nom au cours du récit. Alors que son prénom d’usage vient du latin « Christus », le Christ, elle reprend ensuite son nom de naissance, Historia. En latin et en grec, le mot signifie sans surprise « Histoire ».

Mais en grec, le mot a aussi le sens d’enquête, et même de connaissance acquise par l’enquête. « Histor » désigne celui qui sait, qui connaît. Et les fameuses Histoires d’Hérodote, ou Historiai, ont pour profession de foi d’avoir collecté des interviews, histoires et recherches au cours de ses voyages afin d’empêcher que les traces de ces événements ne soient effacées par le temps, pour préserver les accomplissements remarquables.

Christa/Historia est la reine légitime des murs, l’héritière cachée de la famille royale. C’est cette famille qui a effacé la mémoire des Eldiens de Paradis. La quête de vérité et de savoir est un des motifs fondamentaux de la série, l’aspiration de personnages comme Erwin, qui meurt sans atteindre son but, et d’Hanji Zoe, tous deux prêts à se sacrifier pour cette soif de connaissance comme d’autres pour la liberté.

En passant de Christa à Historia, de la religion à la science, de la croyance à la connaissance, le personnage sort de sa coquille pour devenir reine et surtout rend ainsi la mémoire – et la vérité – à son peuple.

En anglais existe le terme « charactonym », intraduisible car inexistant dans le vocabulaire français. C’est l’équivalent pour les personnages de fiction uniquement de l’aptonyme, un nom qui possède un sens particulier pour la personne qui le porte, souvent en rapport avec l’une de ses caractéristiques. Un cycliste qui s’appelle Velo, un sportif à succès qui s’appelle Champion.
On trouve plusieurs de ces charactonyms dans L’Attaque des Titans, le cas de Christa/Historia en étant un exemple particulièrement représentatif. C’est aussi le cas d’Armin, l’ami d’enfance d’Eren.

Armin est un prénom germanique qui existe réellement. Il a des significations intéressantes dans plusieurs langues, comme le persan où il veut dire « protecteur », mais il vient à l’origine d’Arminius, version latinisée d’Irmin. C’est le nom d’un personnage historique, héros germanique utilisé comme symbole d’unité et de liberté, libérateur des tribus germaniques contre les Saxons et figure du nationalisme allemand.

Depuis l’enfance, Armin rêve d’aller à l’extérieur des murs. Il veut voir la mer et les autres merveilles du monde, que lui décrit un livre qu’il a hérité de ses parents et qu’il doit cacher pour éviter sa destruction, ce genre d’ouvrages étant interdits. Il est d’abord plutôt suiveur : discret, efféminé, physiquement moins bon que ses compagnons, il s’engage dans les bataillons d’exploration parce que c’est là que va Eren. Timide, il a aussi peu confiance en lui. C’est pourtant le personnage qui connaît la plus grande évolution au fil du récit. À la fin de L’Attaque des Titans, on lui a confié le commandement du bataillon d’exploration, il est le héros qui a vaincu la menace d’Eren et il s’est enfin affirmé dans son rôle de génie stratégique. Il est l’un des héros, si ce n’est le héros, de l’œuvre.

Naturellement, son prénom se classe aussi dans la troisième catégorie, celle de la connotation guerrière. Il y rejoint Mikasa, nommée en référence à un cuirassé japonais, ou encore Reiner Braun, dont le prénom vient de Raginheri, nom germanique qui a aussi donné Ragnar en Scandinavie. « Ragin » signifie « conseil », « Heri » désigne l’armée ou le guerrier, et Raginheri était lui aussi un personnage historique, celui-ci un chef Viking au Moyen-Âge. Un nom sans doute approprié pour le détenteur du Titan cuirassé.

Avec L’Attaque des Titans, Hajime Isayama a bouleversé bien des codes. En France, on a d’abord publié son œuvre comme shōnen avant de le reclasser en seinen, type de manga destiné à un public masculin plus âgé que le shōnen. Mais au Japon, de façon surprenante, le lectorat est avant tout… féminin. C’est ce public qui collectionne les tomes et les goodies.

Car Isayama a brouillé les pistes. Il a multiplié les plot twists jusqu’à la toute fin de son manga, dissimulant pourtant des indices depuis le premier chapitre. Pour bien comprendre l’œuvre, il faut aujourd’hui la relire. Ce n’est que maintenant qu’elle est terminée qu’elle se dévoile dans toute l’amplitude de sa complexité, dans toute son ambivalence.

Dans tous ses jeux, aussi. Isayama a manié les mythes et multiplié les grilles de lecture sans jamais dicter sa morale au lecteur. Il ne lui a jamais donné les clefs, et c’est probablement la raison pour laquelle on s’est tant déchiré sur ce qu’il fallait en tirer.

Il s’écoulera vraisemblablement des années avant qu’un autre manga ne s’affirme comme un bouleversement comparable à L’Attaque des Titans. D’ici là, il faudra patienter avec la fin de l’adaptation animée et avec les nouvelles œuvres qu’Isayama a déjà inspirées. Celles qui, sans l’audace de L’Attaque des Titans, ne seraient probablement jamais nées.

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén