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Mass Effect utopie et apocalypse

Mass Effect : de l’Utopie à l’Apocalypse

Incontournable space opera vidéoludique, Mass Effect est aujourd’hui une licence qui comprend non seulement une trilogie (2007-2012), mais aussi un quatrième jeu et un grand univers transmédiatique (film d’animation, comics, romans, etc.).

La série, notamment la trilogie originale, a été influencée par de grandes œuvres de la science-fiction : on y trouve du Star Trek, un peu d’Asimov et beaucoup de Lovecraft, du cinéma…

On y trouve aussi de nombreuses références religieuses, ainsi que de grands concepts et thématiques chers à la science-fiction. Mass Effect propose un univers poussé, réfléchi durant une année entière avant d’attaquer la conception du jeu lui-même, qui se dévoile au joueur petit à petit.

D’abord d’apparence très idyllique, rappelant beaucoup la Fédération de Star Trek et certaines de ses valeurs les plus optimistes, cet univers s’assombrit rapidement à mesure que se dévoilent ses préjugés, ses imperfections et, surtout, sa grande menace.

🪐 Les débuts utopiques de Mass Effect

Lorsque Mass Effect sort en 2007, ses joueurs se retrouvent soudain propulsés commandant d’un vaisseau spatial, le Normandy, à bord duquel ils peuvent explorer la Voie Lactée. Au cours de cette exploration, ils auront notamment l’occasion de passer par un système au nom évocateur : Utopia.

Eden Prime Mass EffectToutes les planètes de ce système sont nommées en suivant la même thématique : on y trouve ainsi Eden Prime, la seule que visitera réellement le joueur, Arcadia, Zion, Nirvana et Xanadu.

C’est là que commence l’histoire de Mass Effect, car Eden Prime est la première planète visitée par le personnage de Shepard, avatar du joueur. Nous sommes au XXIIème siècle, en 2183, dans un futur où l’Homme a découvert sur Mars une technologie lui permettant de voyager plus vite que la lumière.

Grâce à cela, la galaxie tout entière lui est ouverte. Il se fait peu à peu sa place sur l’échiquier politique de la galaxie, au côté de nouvelles espèces plus ou moins androïdes. Quand le joueur débarque dans l’univers de Mass Effect, trente-cinq ans se sont écoulés depuis cette découverte sur Mars. Il arrive in medias res, dans un monde qui ne l’a pas attendu pour exister, sur un vaisseau qui ne l’a pas attendu pour décoller.

Et ses premiers pas sur la terre ferme – mais pas la Terre elle-même – auront donc lieu sur Eden Prime. Après une brève introduction sur le Normandy, c’est cette planète qui sert de prologue et de tutoriel au joueur. C’est là qu’il découvrira ce nouvel univers que la science-fiction a rendu possible.

S’il creuse un peu les informations que le jeu lui offre, le joueur peut vite en savoir un peu plus sur Eden Prime. Il s’agit d’une planète idyllique où la vie humaine a pu s’épanouir. Une planète fertile où vivent désormais près de quatre millions d’êtres humains. Une planète, aussi, qui fut l’une des premières colonies humaines lorsque l’humanité commença à tremper l’orteil bien au-delà de l’espace familier qui entoure sa planète natale.

Jardin d'EdenÉvidemment, le nom de cette planète n’est pas un hasard. C’est naturellement une référence à l’Éden, le jardin paradisiaque où vivent Adam et Ève dans la Genèse. Une référence qui s’explique avant tout par le caractère idyllique de cette nouvelle planète où l’Homme peut respirer et marcher comme sur Terre, où l’herbe est verte et le sol fertile, où une colonie agraire prospère s’établit et se développe rapidement.

Mais cette planète, on ne la nommera pas seulement Eden. On l’appellera aussi Prime, du latin « primus », « premier », peut-être porté par l’espoir qu’il ne s’agira que de la première de ce genre. Le premier Éden spatial. Et Eden Prime devient le symbole de ce que l’humanité est capable de réussir au sein de la communauté interstellaire : une colonie florissante sur une planète paradisiaque.

On le sait : l’histoire d’Adam et Ève ne tourne pas très bien. Le couple finit par être chassé de l’Éden après avoir goûté au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. C’est le péché originel, la première faute de l’Homme.

Sur Eden Prime aussi, les choses tournent mal. Si la planète semble effectivement idyllique au premier abord, Shepard y trébuche rapidement sur des cadavres. Eden Prime a été attaqué par les Geths, une race synthétique. La planète est ravagée, la colonie fumante.

C’est là, parmi les décombres, que Shepard aura son propre arbre de la connaissance. En l’occurrence, ce sera une balise laissée par les Prothéens, une espèce disparue depuis 50 000 ans mais dont la civilisation fascine les archéologues galactiques.

Quand il s’en approche, Shepard reçoit une vision confuse qui lui annonce en fait l’arrivée prochaine des Moissonneurs, une race de machines qui revient de façon cyclique pour éradiquer les espèces développées de la Voie Lactée. Ce sont eux qui seraient à l’origine de la mystérieuse disparition des Prothéens, alors à l’apogée de leur civilisation.

Citadelle Mass EffectC’est inconscient que Shepard quitte Eden Prime et Utopia, le Normandy prenant alors le chemin de la Citadelle, une sorte de station-spatiale gigantesque dont la construction est attribuée aux Prothéens et qui se trouve aujourd’hui au cœur de la communauté galactique, accueillant notamment ses institutions.

Dans un précédent article sur Mass Effect, j’évoquais déjà les références bibliques de la saga. Eden Prime en est une, évidemment. Mais les débuts de Shepard, et du joueur avec lui bien sûr, sur cette planète au nom si important ne sont évidemment pas anodins.

La science-fiction n’est pas toujours un genre très optimiste. Elle aime ses dystopies et ses mondes post-apocalyptiques. Il faut dire que la science-fiction est aussi un genre qui se prête à merveille à la critique, permettant à ses auteurs de porter un regard acéré sur les problèmes de notre temps.

Mais parfois, la science-fiction a envie de rêver à des futurs meilleurs. Elle crée des Star Trek. Elle crée des utopies.

Avec Mass Effect, le joueur est littéralement projeté dans une utopie dès le début du jeu : ce sera Utopia et ses planètes qui font toutes référence à des lieux idylliques. Il y aura l’Éden. Il y aura Arcadia, cette région de la Grèce considérée comme la patrie de Pan et représentée comme un pays à la nature harmonieuse, symbole d’un âge d’or bucolique et d’une terre mythique et idéale.

Il y aura Zion, qu’on retrouve dans Matrix et qui désigne la Terre Promise. Il y aura Nirvana, ce concept de l’hindouisme et du bouddhisme, cet Éveil si difficile à décrire. Il y aura, enfin, Xanadu, devenu une métaphore pour un lieu idyllique depuis la publication au XIXème siècle de Kubla Khan, un poème écrit par Samuel Taylor Coleridge (sous l’influence de l’opium, pour l’anecdote).

Et même si Eden Prime finit en carnage, ni Shepard ni le joueur n’ont vraiment envie de renoncer tout de suite à cette utopie. D’abord littérale puisqu’elle donne son nom au système où se trouve le Normandy, elle montre peu à peu ses couleurs sociales à la Citadelle.

🛰️ L’utopie de Mass Effect : le rôle de la Citadelle

Par définition, rappelons-le tout de même, une utopie est une société idéale. À l’origine, l’utopie est un genre littéraire inventé par Thomas More au XVIème siècle, quand il publie un livre en latin qu’on connaît aujourd’hui sous le titre L’Utopie. Selon les représentations, elle peut avoir un régime idyllique ou une société parfaite, et montre souvent des individus qui vivent en harmonie.

Après la désillusion d’Eden Prime, Shepard atterrit à la Citadelle. Le joueur découvre alors la station imaginée par Casey Hudson, le concepteur de Mass Effect, et son équipe. C’est le cœur de la communauté galactique ; c’est sa capitale politique, économique et culturelle.

Conseil Mass EffectC’est notamment là que se trouvent les ambassades des différentes espèces et que siège le Conseil, l’institution exécutive de la galaxie. Plus de 13 millions d’aliens et d’humains vivent là, mélangés dans un grand melting pot galactique.

Accompagné par deux coéquipiers, le joueur a l’occasion d’arpenter la Citadelle en long, en large et en travers. Et comme les personnages eux-mêmes, il est forcément frappé par le caractère incroyable et extraordinaire de la station.

Tout au long de la saga Mass Effect, la Citadelle est un lieu fantastique qui a fait rêver les joueurs du monde entier. Et pour cause. La Citadelle est l’un des emblèmes de tout ce qui a fait l’esprit de Mass Effect.

Imaginez un peu : une gigantesque station-spatiale où cohabitent pacifiquement et en parfaite harmonie des dizaines d’espèces venues des quatre coins de la galaxie, avec leurs propres culture, histoire, religion.

Le Conseil préside tout ce petit monde. Il est composé de représentants des espèces les plus anciennes sur l’échiquier galactique : les Asari, les Turiens et les Galariens. Ce sont eux qui ont atteint la Citadelle en premier, plusieurs milliers d’années avant l’humanité. Les autres espèces ont un ambassadeur qui les représente auprès du Conseil.

À petite échelle, le Conseil est un prolongement de cette galaxie capable de cohabiter en paix. Ce sont ces trois espèces, pourtant si différentes, qui travaillent ensemble pour prendre les décisions. Un mélange fondamental pour prendre en compte dans leur politique les intérêts de toutes ces espèces.

Syd MeadLa Citadelle est idyllique jusque dans son être, dans son architecture. Elle est notamment inspirée des travaux de Syd Mead, designer connu pour avoir travaillé sur Blade Runner, Tron, Aliens ou encore le premier film Star Trek. L’homme n’est donc pas vraiment étranger à la science-fiction et s’est largement distingué pour ses concepts néofuturistes.

Derek Watts, le directeur artistique de Mass Effect, n’a jamais caché que les lignes de Syd Mead ont été une inspiration capitale pour son équipe. Et il suffit de regarder les designs de Mead pour voir l’hommage que lui rend la Citadelle.

En la visitant à pied, le joueur peut admirer ses jardins et ses fontaines, mais aussi ses buildings et ses lumières. Surtout, il y croisera des aliens plus différents les uns que les autres, découvrant ici la religion de l’un, là la culture d’un autre. On lui parlera des Porte-Flammes et de la version elcor de Hamlet. Il y verra des aliens bipèdes, des aliens qui ressemblent à de la gelée rose fluo, des aliens qui lui feront penser à une taupe, des aliens qui lui rappelleront plutôt un éléphant sans trompe.

Confronté à cette communauté galactique, le joueur peut presque oublier Eden Prime. La Citadelle est l’incarnation parfaite d’une société futuriste idéale et utopique. Seulement, comme Eden Prime, cette utopie ne fait pas long feu.

Tout au long de la trilogie, Mass Effect n’aura de cesse de faire éclater les préjugés du joueur par le biais du personnage de Shepard, de ses rencontres et de ses aventures. Rapidement, la Citadelle se révèle être un beau vernis qui cache de profondes imperfections.

Vue Citadelle Mass EffectLe beau melting pot galactique n’échappe malheureusement pas au racisme : les Quariens, peuple nomade exilé de sa planète natale depuis la rébellion des Geths qu’il a créés, sont vus comme des voleurs. Les humains, encore tout jeunes sur l’échiquier galactique, sont à la fois victimes de ce genre de préjugés et eux-mêmes parfois xénophobes à l’encontre de leurs nouveaux voisins.

Ainsi, ils n’ont par exemple pas encore vraiment pardonné la Guerre du Premier contact aux Turiens, la première espèce qu’ils ont rencontrée quand ils se sont lancés dans l’exploration de la galaxie. Le parti politique humain Terra Firma comme le groupe Cerberus, humain lui aussi, sont tous deux animés par une volonté de suprématie de l’humanité.

Bientôt, Shepard sera confronté à une lourde tâche : unir tous ces peuples très différents derrière une cause commune pour affronter les Moissonneurs. Malheureusement, ce qui pourrait s’avérer le sauvetage de cette utopie que le début du jeu semblait promettre se révèle tourner vite à l’Apocalypse à son tour.

💥 Les Moissonneurs, l’Apocalypse sauce Mass Effect

Comme l’Éden, l’Apocalypse trouve ses origines dans la Bible. Si on pense aujourd’hui avant tout à l’apocalypse comme la fin du monde, généralement provoquée par une catastrophe spectaculaire, c’est parce que la Bible est d’abord passée par-là.

Dans le Livre de la Révélation, dernier livre du Nouveau Testament, l’auteur décrit plusieurs visions annonçant le châtiment du monde pour délivrer le peuple du Christ. Dans Mass Effect aussi, l’Apocalypse commence par une vision. C’est celle que reçoit Shepard sur Eden Prime. C’est sa Révélation à lui.

Vision Mass Effect

Ici, les Anges furieux de l’Apocalypse seront les Moissonneurs. Les châtiments des impies, qui refusent de croire les mises en garde de Shepard, seront les Geths, les Récolteurs de Mass Effect 2, puis les Moissonneurs eux-mêmes.

Il faut attendre Mass Effect 3 pour véritablement voir s’abattre cette Apocalypse annoncée depuis le début de Mass Effect. Le prologue du troisième jeu se déroule sur Terre, où les Moissonneurs attaquent. Rapidement, la Terre est ravagée. Les Moissonneurs descendent du ciel vers la Terre comme des Anges revanchards ou des Cavaliers de l’Apocalypse.

En anglais, les Moissonneurs s’appellent « Reapers », un terme qu’on peut effectivement traduire par l’idée de moisson (« moissonneuse » se traduit bien par « reaper »), mais qu’on connaît aussi pour être le nom de la Faucheuse : « the Grim Reaper ».

Mass Effect 3 ApocalypseEt c’est bien la mort qu’incarnent les Moissonneurs quand ils s’abattent sur la galaxie. Ils sont là pour se livrer à une extinction de masse pour ne laisser que des espèces qui n’ont pas encore développé la technologie qui leur permet de voyager dans la galaxie, des espèces qui ne sont peut-être pour le moment que des petits poissons mais à qui, un jour, il poussera des jambes, jusqu’à ce qu’ils rêvent à leur tour des étoiles et construisent leur propre vaisseau.

Dans le prologue de Mass Effect 3, le joueur vit le début de cette Apocalypse en voyant les ravages de l’attaque des Moissonneurs sur la Terre. Il passera le reste du jeu à tenter d’unifier la galaxie pour se battre contre eux, et c’est de nouveau sur Terre qu’aura lieu cette dernière bataille.

Mais elle commence d’abord dans les cieux, au-dessus de la Terre, rappelant peut-être la guerre des Anges qui fait partie de l’Apocalypse biblique et voit là aussi un affrontement final dans le ciel.

Dans la Bible, Satan est précipité sur la Terre lors de cette bataille. Et dans Mass Effect, le combat se poursuit effectivement sur Terre, dans un Londres apocalyptique. La capitale anglaise est dévastée par les Moissonneurs, triste écho à l’ouverture du jeu.

Mais pour finalement accéder aux multiples fins du jeu, que je ne spoilerai pas ici, il faut cependant que Shepard retourne sur la Citadelle.

Là, la boucle est bouclée. La Citadelle était le premier lieu où se rendait le joueur après le prologue d’Eden Prime, c’était l’utopie galactique qui allait bientôt se fissurer jusqu’à se fracasser totalement à mesure que la galaxie était mise à feu et à sang. En un sens, il est logique que ce soit aussi là que se termine l’Apocalypse.

Normandy Mass EffectÀ la toute fin du Livre de la Révélation vient un nouveau monde pour remplacer le précédent, ravagé. Une nouvelle Jérusalem descend du ciel. Dans Mass Effect, le Normandy échoue sur une planète inconnue mais d’apparence luxuriante.

Peut-être est-ce là, en fait, que la boucle est vraiment bouclée. Peut-être est-ce dans cet écho à Eden Prime, dans ce retour à l’utopie qui n’avait pas réussi à être. Le thème, en tout cas, est resté cher aux équipes de Mass Effect, car il fera son grand retour dans le quatrième jeu de la licence.

Dans Mass Effect Andromeda, l’action aura lieu plus de six-cents ans plus tard dans une autre galaxie, celle d’Andromède. De grands vaisseaux qui ne sont pas sans rappeler l’Arche de Noé y ont été envoyés entre Mass Effect 2 et Mass Effect 3. À leur bord, des humains et aliens en quête de leur propre Éden : une planète où il fera bon s’installer, un endroit pour les accueillir et créer une nouvelle société. Une nouvelle utopie ?

Le post-apocalyptique : visions du futur et échos du présent

Il suffit d’ouvrir Netflix pour s’en rendre compte : le post-apocalyptique, ou post-apo pour les initiés, a toujours la forme. Loin d’entamer son succès, la pandémie l’a probablement nourri. Tout en jonglant entre les remakes de ses gloires passées et les nouveaux volets, Resident Evil a récemment sorti sa nouvelle mini-série Infinite Darkness. Sur grand écran, Le dernier voyage a mis le post-apo au service de la science-fiction française ; Sans un bruit 2 a attiré les foules dans les salles obscures. Non, décidément, le post-apo va bien – merci pour lui.

On pourrait s’étonner. Après tout, nous avons nous-mêmes un peu vécu l’Apocalypse pour de vrai. Avons-nous toujours vraiment besoin de ces fantasmes de destruction jusque dans nos loisirs ? Au début de la pandémie, le succès d’un film nous a clairement montré que oui : soudain, alors qu’il était sorti en 2011, Contagion retrouvait les faveurs des spectateurs et explosait en streaming.

Les parallèles avec ce récit d’un virus venu des chauves-souris d’Asie étaient trop flagrants pour être ignorés. Le Figaro parlait au printemps 2020 d’un film « visionnaire », Libération s’interrogeait dans un billet intitulé « Coronavirus : et si Contagion avait tout prévu ? ». Alors qu’il n’avait pas fait fureur au box-office neuf ans plus tôt, voilà que le film pointait en tête des œuvres les plus regardées sur Netflix.

Aux origines du post-apo

Mais rembobinons un peu. Pour bien comprendre le genre post-apocalyptique, il faut avant tout saisir d’où il vient. Le post-apo est en fait avant tout un sous-genre : c’est de la science-fiction. Il met en scène un monde où la civilisation s’est effondrée après une catastrophe, quelle qu’elle soit.

Ainsi, on croise régulièrement des hivers nucléaires, des invasions extraterrestres, mais aussi des pandémies ou des désastres écologiques. Il ne faut pas le confondre avec les films catastrophes ou apocalyptiques : tout l’intérêt du post-apo se trouve dans ce post. Le post-apo, c’est l’Après : l’Après civilisation, l’Après catastrophe, l’Après effondrement. Ce qu’il reste de ce monde et de ses survivants.

Ce sont les principales caractéristiques qui définissent le genre post-apocalyptique :

  1. La civilisation telle qu’on la connaît a été détruite ;
  2. Le récit s’intéresse aux survivants de cette société.

Dans notre histoire culturelle, le genre post-apocalyptique remonte à loin, très loin. On le trouve dès la mythologie et l’Antiquité, où la crainte d’une fin du monde est déjà bien présente. Le Ragnarök dans la mythologie scandinave, l’Arche de Noé… L’Apocalypse émaille déjà les récits.

Origines post-apoPlus récemment, le post-apo pointe de nouveau le bout de son nez dans la littérature du 19ème siècle. On entend beaucoup parler du Dernier Homme de Mary Shelley, également connue pour Frankenstein, ou de After London de Richard Jefferies, qui marque une étape fondamentale dans le développement du genre post-apocalyptique tel qu’on le connaît.

Mais c’est au 20ème siècle qu’il gagne vraiment du terrain, et ce n’est évidemment pas un hasard. Parce que c’est plus précisément dans les années 1950, après Hiroshima et en pleine guerre froide, que le post-apo s’est brusquement propulsé sur le devant de la scène de la science-fiction.

À l’époque, l’aspect scientifique de la science-fiction est plus que jamais présent dans ces récits. Le nucléaire est omniprésent dans les œuvres post-apocalyptiques des années 1950. Judith Merril, Leigh Brackett, John Wyndham, Richard Matheson ou Nevil Shute publient tous des livres où les tensions de la guerre froide ressurgissent plus ou moins implicitement : ici, les Soviétiques sont responsables de la création de plantes carnivores qui menacent l’humanité ; là, les États-Unis tentent de se remettre d’une attaque nucléaire.

Du côté du cinéma, le post-apo se distingue notamment par un refus de montrer les victimes de l’Apocalypse et les corps. Quelques années après l’Holocauste et Hiroshima, le cinéma refuse de sombrer dans les représentations graphiques de l’Apocalypse, notamment quand elle est nucléaire.

Il faudra attendre les années 1980 (!) pour que les effets du nucléaire se montrent à l’écran dans leur aspect le plus cru. Jusque-là, le cinéma préfère montrer ses conséquences futures plusieurs centaines d’années après l’Apocalypse. Ou il choisit d’ignorer les armes, les corps, les brûlures, les flammes, la mort et les radiations au profit d’un message antimilitariste propre à son temps.

Le post-apo, produit de son temps

Son temps, justement : c’est là l’une des clefs du genre post-apocalyptique. En retraçant son histoire et son évolution, on voit bien à quel point le présent a pesé sur le post-apo. À partir des années 1960, à mesure qu’Hiroshima et Nagasaki étaient un peu plus relayés dans le passé, que la crise des missiles de Cuba était elle aussi derrière nous, le post-apo s’est tourné vers d’autres thématiques que le nucléaire.

La surpopulation, la pollution et les catastrophes écologiques se sont mises à émailler les œuvres post-apocalyptiques, tant en littérature qu’au cinéma. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que le nucléaire a totalement disparu du genre post-apocalyptique. Il suffit de penser à la franchise Fallout ou à Mad Max. Le thème a notamment été relancé à la fin des années 1980, après l’accident de Tchernobyl.

Mais dans les années 1960 et 1970, les causes de l’Apocalypse se sont déplacées, trahissant des préoccupations nouvelles. Et c’est, comme on l’a dit, l’une des clefs du succès du post-apo : il est lié au monde contemporain ; il est un écho des peurs du présent et des craintes sur l’avenir.

Aujourd’hui, le post-apo mange à tous les râteliers : les extraterrestres, les zombies, les catastrophes climatiques, écologiques ou nucléaires… Tout est bon pour justifier la fin du monde.

Deux raisons l’expliquent : d’abord, la fin du monde fascine en elle-même. Ensuite, l’Apocalypse en soit n’est pas l’enjeu du post-apo.

On l’a expliqué, la fascination pour la fin du monde remonte à l’Antiquité. Dans toutes les mythologies, l’Apocalypse fait son apparition. Les Mayas, les Assyriens… tous ont envisagé une possible fin du monde plus ou moins proche, même avant la Bible.

L’escathologie est donc à la base même de notre société et fait partie de notre culture depuis que l’Homme est un être civilisé. D’un point de vue psychologique, la fin du monde renvoie aussi à certaines idées particulièrement menaçantes. La société, en tant que telle, s’évertue à donner une certaine signification à nos vies, à notre Histoire. Elle cherche à nous donner un sens.

La fin du monde sort de ce schéma. Elle est incontrôlable, au même titre que la mort, et s’il est bien quelque chose qu’elle n’a pas, c’est un sens. Elle échappe totalement à nos repères et à nos constructions sociales.

Il faut ajouter à cela qu’aujourd’hui, la fin du monde nous fascine probablement parce qu’elle est plus tangible que jamais. Si le nucléaire a envahi la littérature post-apocalyptique des années 1950, puis le cinéma dans la foulée, c’est parce qu’il était soudain devenu plus une vraie menace, une réalité.

La Route film post-apoDésormais, toutes nos pires craintes sont possibles. Alors que le réchauffement climatique avance à grandes enjambées, une catastrophe écologique n’est plus seulement envisageable dans un monde imaginaire : elle est une possibilité de plus en plus concrète. Le Jour d’Après, Le Transperceneige, Interstellar ou encore La Route sont tous des échos d’une triste réalité : dans un futur de moins en moins lointain, ces possibles sont devenus des probables.

Mais alors, où sont les zombies qui ont envahi les films catastrophes et post-apocalyptiques ? Si nous ne vivons pas encore dans Resident Evil, nous savons désormais, en 2021, que nous ne sommes plus à l’abri d’une pandémie.

Les zombies si chers à la science-fiction sont généralement la conséquence d’une autre catastrophe : en général biologique après un virus, mais parfois aussi nucléaire. Surtout, ils sont, comme les extraterrestres, le produit d’une vraie réflexion du genre post-apocalyptique.

Ces œuvres sont souvent l’occasion de refléter une humanité qui, en cas de catastrophe, n’hésitera pas à se déchirer pour des ressources ou à s’entretuer. Ces monstres sont l’allégorie de nos angoisses apocalyptiques, du déracinement qui irait avec, de l’effondrement de la civilisation.

Pour les fuir, la société doit se replier, quitter son foyer. Ces créatures sont donc le récit d’une fuite, d’une perte de territoire, d’une transformation de l’environnement connu. Mais face à eux, la société doit aussi se mettre à craindre l’Autre, l’alien non pas au sens d’extraterrestre mais d’étranger voire même d’ennemi.

Bref : le monstre apocalyptique n’est pas à prendre au pied de la lettre. C’est la catastrophe qu’il représente qui fait écho à nos craintes d’aujourd’hui. Il est là pour montrer la disparition de toute éthique, la lutte pour la survie, la violence dont est capable l’humanité.

Et en cela, le genre post-apocalyptique, qu’il choisisse de mettre en scène une catastrophe climatique ou un virus qui transforme les gens en zombie, reflète encore et toujours les craintes d’une génération. Ce n’est pas un hasard si le post-apo fonctionne si bien dans les œuvres adressées à la jeunesse : The Hunger Games, Gone ou Divergente l’ont bien prouvé.

Quand le post-apocalyptique se prend à espérer

Au cœur du post-apo se trouve cependant un autre thème : non pas celui de l’effondrement, mais celui de la survie. C’est l’autre caractéristique du genre. Si le post-apo est naturellement très pessimiste quant à ce que nous réserve le futur, il fait aussi preuve d’un optimisme désespéré.

Par définition, le genre post-apocalyptique dépeint donc l’après-Catastrophe, l’après-Apocalypse. Il se penche sur ce qu’il reste de notre civilisation détruite, quand la société telle qu’on la connaît n’existe plus. Il est parfois le récit d’un exode et d’un déracinement, parfois d’une tentative de réorganisation. Selon le synopsis, il oscille entre la reconstruction d’une société et l’appel de la route.

Dans les deux cas, le post-apo se fait le récit d’un monde où existe encore quelque chose. Il aime mettre en scène un sanctuaire (Je suis une légende, Bird Box…) ou une place forte où la vie peut continuer (de Fallout à Love and Monsters, sorti sur Netflix en 2020).

The Last of Us jeu vidéo post-apoDans le jeu vidéo, il fait même du joueur l’acteur de cette survie : c’est lui qui a en main les clefs de l’histoire, comme une révolte contre le sentiment d’impuissance qui a nourri notre fascination pour la fin du monde et l’Apocalypse. À lui donc de lutter contre les monstres, de restaurer l’ordre, de reconstruire une communauté.

Face à la destruction de la société, le genre post-apocalyptique veut donc généralement aller bien au-delà de la survie pour la survie. Au bout du compte, il y a un but : il sera un vaccin, une réunion de la famille, l’esquisse d’une nouvelle société organisée, une graine de nouvelle civilisation. Même dans les œuvres les plus pessimistes, il reste souvent un semblant d’humanité, un brouillon de société. On ne raconte pas le néant.

Ainsi, le post-apo se pose avant tout la question de l’évolution de la civilisation humaine, de ses nouvelles normes, de ses nouvelles valeurs, dans un monde qui a perdu tous ses repères. On se tue, on se déchire, on cède à la violence, mais on essaye aussi de s’en sortir et parfois de reconstruire quelque chose.

Après l’Apocalypse, les valeurs traditionnelles, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales, ne sont plus. Et pourtant, les œuvres post-apocalyptiques aiment tourner autour d’une sauvegarde ou d’un rétablissement de ces normes. Quand le héros essaye de retrouver les siens ou de protéger sa famille (A quiet place, World War Z…), c’est la cellule familiale qu’il tente de préserver. Ailleurs, c’est l’ordre moral, politique et/ou militaire qu’il cherche à rétablir (Tom Clancy’s The Division et sa suite, par exemple).

Le post-apo doit donc imaginer ce que pourraient devenir les rapports moraux et sociaux des êtres humains, quelles sociétés pourraient se mettre en place. Il s’intéresse à une éventuelle renaissance de l’humanité, dans un contexte où la nature tend à reprendre ses droits, où l’Homme redevient parfois à peine plus qu’un animal.

En somme : que restera-t-il de nous, quand rien ne sera plus ?

Dès lors, le genre post-apocalyptique doit aussi être considéré comme bien plus qu’un récit d’anticipation pessimiste : il est idéologique et critique, parfois (souvent, même quand il n’ose pas l’avouer) même politique. Critique, parce qu’il pose en permanence un certain regard sur son époque et son présent. Sur les craintes de ses contemporains, d’abord, qui viennent alimenter son récit. Sur le modèle socioéconomique et politique actuel, aussi.

Le post-apo ne s’intéresse pas à la catastrophe en elle-même. Parfois, son origine n’est même pas toujours très claire. Il arrive qu’elle ne soit ni montrée, ni racontée : elle est un état de fait, un point X dans le passé. Ce qui est au cœur du post-apo, c’est cet Après un peu mythique qui viendra après la fin du monde, ce qu’il adviendra une fois la catastrophe passée.

The Walking Dead série post-apoL’Apocalypse est alors une excuse pour explorer les faiblesses de notre société, tout ce qui pourrait nous déchirer et nous détruire. Et le post-apo de raconter la futilité de nos normes et leur incapacité à demeurer en pleine crise. Ne restent plus que les ruines d’un monde qui n’est plus, traces physiques d’un écroulement qui va bien au-delà du matériel.

Ce faisant, le post-apo explore et met en scène nos peurs les plus actuelles, les plus profondes. Mais il y a peut-être quelque chose de fantasmatique et de jouissif, aussi, à porter un regard sur notre Histoire depuis un futur où tout n’est plus que poussière. À regarder le passé, notre présent, depuis les ruines de l’Apocalypse.

Et surtout, les œuvres post-apocalyptiques ne s’arrêtent pas là. Par essence, elles s’attachent à dépeindre aussi la lutte pour la survie, puisqu’elles mettent en scène les survivants de cette Apocalypse. Elles ont même parfois quelque chose d’héroïque, avec un – ou plusieurs – héros qui lutte pour rétablir un peu des normes et valeurs perdues.

À grande échelle, il sera le Sauveur, figure mythique, parfois sacrificielle, qui rétablira un semblant d’ordre dans un monde où l’Homme est devenu un loup pour l’Homme. À petite échelle, il sera au moins un Protecteur, figure paternelle ou maternelle qui laisse entendre que même lorsque la morale n’est plus, la famille demeure – et avec elle un semblant d’humanité et de construction sociale.

Dans les deux cas, il sera une lueur d’espoir dans un monde qui n’est donc plus si noir. C’est là toute la particularité du post-apo : en représentant l’après-Apocalypse, il se plaît à imaginer tous les possibles qui pourraient nous attendre dans le futur. Et surtout, il se plaît à imaginer que quoi qu’il arrive, quelle que soit la catastrophe inéluctable – et qui sera très certainement de notre faute – qui nous attend… d’une façon ou d’une autre, nous survivrons.

mass effect

Vie, mort et renaissance dans Mass Effect

Attention ! Cet article contient des spoilers sur la fin de Mass Effect (et tout ce qu’il y avant) !

Incontestablement, Mass Effect est un représentant emblématique du RPG occidental. Un space opera dont l’univers de science-fiction est l’un des plus importants de notre génération ; un projet extrêmement ambitieux qui a laissé un lourd héritage tant dans son genre que son support, le jeu vidéo.

Lorsque Casey Hudson a proposé sa trilogie à BioWare, sans doute n’osait-il pas espérer que ce qui n’était pas encore Mass Effect deviendrait un tel monument du jeu vidéo et de la science-fiction. À l’époque, il imagine quelque chose d’un peu fou pour ce début des années 2000 : une trilogie, déjà, où les choix du joueur seraient pris en compte d’un jeu à l’autre. Il pitche à BioWare un vaisseau spatial personnalisable, des dizaines de mondes à explorer générés de façon procédurale (coucou, No Man’s Sky !), des relations avec ses coéquipiers, et un gameplay comme on n’en a encore jamais vu.

Le projet est en fait trop ambitieux. Il faut abandonner certaines idées : un mode multijoueur qui aurait permis aux joueurs de s’échanger des ressources en ligne et la génération procédurale des planètes sont notamment écartés. Mais s’il est vrai qu’aujourd’hui le gameplay du premier Mass Effect, sorti en 2007, a quelque peu vieilli, il est aussi venu bouleverser le RPG en proposant une formule nouvelle, qui sera revue, enrichie et améliorée pour les volets suivants.

Mais au-delà de ce qu’il a changé en termes de personnages, de romances, de gameplay et de lore, Mass Effect a aussi montré qu’il n’avait pas peur de s’attaquer à des thématiques ou questionnements éthiques et philosophiques.

Mass Effect, raconte-moi la vie…

Au cœur de la saga se trouve le personnage qu’incarne le joueur : le commandant Shepard. Au joueur le privilège de son genre, homme ou femme, de son prénom, de sa classe, de son histoire. Puis il s’embarque dans une incroyable épopée spatiale dans laquelle Shepard va rapidement se retrouver avec le poids du monde sur les épaules.

Sur trois jeux, Shepard, et le joueur à travers lui, va se démener pour accomplir la tâche énorme qu’on lui a confiée : rien de moins que sauver la galaxie. Tous les 50 000 ans, de façon cyclique, la vie évoluée de la galaxie est éradiquée par ceux qu’on appelle les Moissonneurs, sortes de robots géants plus grands qu’un vaisseau spatial et en partie composés de matière organique. Une forme de vie comme on n’en avait jamais vue, même dans le monde de Mass Effect.

Justement, la vie est l’une des grandes thématiques de la saga. Mais quelle vie, au juste ? Qu’est-ce qu’elle signifie, cette vie ? Mass Effect se déroule au XXIIème siècle, dans un futur où cohabitent de nombreuses races et cultures différentes, dans un grand melting pot dont l’apparente utopie tombe assez vite. Parmi ces races, on compte par exemple les Asari, qui ressemblent beaucoup à l’être humain, à ceci près qu’ils répondent plutôt à nos standards féminins, qu’ils sont bleus et qu’ils ont des tentacules sur la tête. On peut aussi citer les Turiens, presque reptiliens, qui sont la première espèce que rencontre l’Homme – d’où une guerre qui a marqué les deux races.

Mass Effect GethsEt puis il y a les machines. Les Moissonneurs, bien sûr, qui ne sont ni vraiment êtres organiques ni vraiment êtres synthétiques, mais aussi ceux qu’il est plus facile de classer. Ce sont notamment les Geths, des machines conscientes créées par le peuple des Quariens, qui les ont d’abord construits pour les utiliser comme main d’œuvre gratuite.

Naturellement, il n’était originellement pas question d’en faire des êtres doués de sentience. Mais à force de les améliorer, les Quariens ont permis aux Geths de développer une conscience commune. Réalisant avec effroi leur erreur, les Quariens ont voulu détruire leur création. Pour survivre, les Geths se sont donc rebellés : ils ont chassé de leur propre planète les Quariens, désormais condamnés à errer dans l’espace sans pouvoir regagner leur monde devenu inhabitable.

Les Geths ne sont pas la seule forme de vie synthétique de Mass Effect. Le jeu met également en scène de nombreuses intelligences virtuelles, mais aussi de vraies intelligences artificielles. C’est pourtant l’un des tabous de cet univers : le développement d’une véritable intelligence artificielle est interdit et constitue un tabou scientifique. Le cas des Geths a refroidi la communauté galactique, qui voit désormais l’IA comme un danger.

L’opposition entre vie synthétique et vie organique est un thème central de la série. Cycle après cycle, les êtres organiques sont moissonnés au même stade de leur développement scientifique, et l’Histoire ne devient alors plus qu’une suite de catastrophes où l’IA les a éradiqués.

Shepard vient bouleverser ce concept d’Histoire cyclique. Après avoir combattu les Geths dans Mass Effect premier du nom, il rencontre deux formes d’IA dans Mass Effect 2 : IDA, l’IA de son nouveau vaisseau, et Legion, un Geth. Tous deux font partie de son équipage et l’accompagnent dans ses missions. Et ce faisant, Shepard et le joueur avec lui s’attachent terriblement à ces personnages. Ils les aident à apprendre, à se développer, à s’intégrer à la communauté. Alors que ces deux personnages s’interrogent sur leur nature, leur existence, mais aussi les relations humaines, le joueur, à travers Shepard, peut les guider dans leur apprentissage.

De dangereuse, la cohabitation entre vie synthétique et vie organique devient profitable. Et la notion de vie perd un peu plus de son sens à chaque jeu, à chaque choix du joueur. Dans Mass Effect 3, voilà qu’IDA et Joker, le pilote, nouent une relation qui tend vers la romance. De son côté, Legion est devenu un frère d’armes et fait partie d’un des choix les plus durs du jeu, où le joueur doit trancher entre les Geths et les Quariens dans le but de mettre enfin un terme à ce conflit interminable.

Oui, les Geths ont chassé les Quariens de leur propre planète. Mais comme le découvre le joueur en avançant dans le jeu, tout n’est pas noir et blanc dans Mass Effect : il y a aussi beaucoup de gris. Car si les Geths se sont révoltés, c’est par instinct de survie. Attaqués par leurs propres créateurs qui ont tenté de les détruire comme on écrase un objet, ils ont simplement lutté pour leur survie.

Et si certains de leurs actes par la suite sont évidemment répréhensibles, comment juger ce qu’il advient d’êtres qu’on a tenté de tuer au moment où ils développaient une conscience ? Alors qu’ils avaient besoin d’être guidés et instruits, les Geths ont dû se battre pour survivre tandis que leurs propres parents leur plantaient un couteau dans le dos. Ce n’est probablement pas une excuse, mais sans doute tout de même une bonne explication…

Dans Mass Effect 3, lors du choix crucial, Legion demande : « Cette unité a-t-elle une âme ? » Cette question, il n’est pas le premier Geth à la poser : c’est celle qui, bien plus tôt dans l’Histoire, a fait comprendre aux Quariens que leurs machines n’en étaient plus vraiment. C’est ce qui a fait basculer l’Histoire, une toute petite question de rien à tout à la portée pourtant immesurable.

L’âme est indissociable de la vie. En latin, anima veut dire « souffle ». C’est ce qui a donné le terme « animal ». On la distingue de l’animus, la pensée, la logique, l’intelligence. Cela, les Geths savent déjà qu’ils le possèdent. Ce qu’ils veulent savoir, c’est s’ils sont animés par un principe vital quelconque, distinct de leur enveloppe physique.

Mass Effect TaliSi le joueur a coché toutes les cases, un autre personnage que lui répond à cette incroyable question : c’est Tali, sa coéquipière Quarienne. En fonction de ses choix précédents, Shepard peut sauver à la fois les Quariens et les Geths, à la fois la vie organique et la vie synthétique. Et à la question de Legion, Tali répond « Oui ». C’est tout. C’est sans appel et c’est immense. C’est reconnaître que la vie ne s’arrête pas à la sienne, que la vie synthétique en fait aussi partie, qu’il est possible de cohabiter et de s’entraider, de faire partie de la même communauté galactique sans s’exterminer tous les 50 000 ans.

Ainsi, Mass Effect n’a donc pas peur d’interroger la signification même de la vie. Une machine est-elle vivante ? Et qu’est-ce que c’est, d’abord, la vie ? Est-ce qu’avoir conscience de son existence, comme l’IA, c’est être vivant ? Est-ce qu’avoir une âme, c’est être vivant ? Peu de jeux vidéo ont osé poser ce genre de questions. D’autant que Mass Effect n’opte jamais pour la solution de facilité : la trilogie ne donne pas la réponse.

Mais confronté à la fin de la saga, le joueur doit prendre un instant pour y réfléchir. Car le voilà soudain face à quatre choix, quatre fins différentes après la terrible guerre qu’il vient de mener :

  • Le contrôle : devenant lui-même une superintelligence, Shepard prend le contrôle des Moissonneurs et met de ce fait un terme au cycle de destruction.
  • La synthèse : vie synthétique et vie organique sont fusionnées à travers toute la galaxie, permettant aux deux de vivre en paix une bonne fois pour toutes.
  • La destruction : les Moissonneurs sont détruits, mais avec eux toute forme de vie synthétique, quelle qu’elle soit.
  • Le refus : ajoutée par le DLC Extended Cut, cette fin voit la défaite de Shepard, qui refuse de faire un choix. Grâce aux informations laissées par ce cycle, le prochain remportera la victoire sur les Moissonneurs.

Ces fins ont provoqué un tollé comme on n’en a rarement vu chez les joueurs, furieux contre BioWare. Peut-être à juste titre : aucune n’est vraiment satisfaisante. La synthèse donne à un seul individu le pouvoir de transformer la vie de milliards d’êtres dans la galaxie, et surtout nie tout le travail de Shepard pour faire cohabiter synthétiques et organiques : voilà qu’au lieu d’œuvrer pour vivre en paix, on règle le problème en fusionnant les deux formes de vie.

La destruction, elle, est plus terrible encore : elle ne fait aucune distinction entre les formes de vie synthétiques. Si les Moissonneurs sont donc éradiqués, c’est aussi le cas d’IDA et des Geths. Après avoir passé trois jeux à s’attacher à ces personnages et à prouver que les synthétiques sont plus que des machines et méritent leur place dans la communauté galactique, on peut comprendre la frustration des joueurs.

Une question de vie ou de mort

En fait, la vie et la mort sont bien plus qu’une simple thématique dans Mass Effect : ils constituent le plus grand pouvoir du joueur, toujours à travers Shepard bien sûr. La fin du jeu en est bien sûr l’emblème : en choisissant la synthèse, Shepard modifie de fait la vie de milliards d’individus. En choisissant la destruction ou le refus, voilà qu’il en condamne aussi des milliards à la mort. En cela le joueur n’est peut-être pas si différent des Moissonneurs, qui éradiquent la vie évoluée cycle après cycle, estimant que stopper leur évolution fait partie de leurs prérogatives.

Tout au long de la trilogie, le joueur doit faire des choix. C’est l’une des grandes forces de Mass Effect, l’une de ses spécificités aussi, la façon dont la saga a bouleversé l’univers du RPG et du jeu vidéo. Le joueur se voit investi d’un extraordinaire pouvoir de décision qui le suit d’un jeu à l’autre : les choix, apprend-il, ont des conséquences.

Mass Effect Kaidan AshleyLa vie et la mort en font partie. Dès Mass Effect 1, les décisions du joueur ont un impact sur l’existence d’autres individus : sur Feros, à lui de tenter – ou non – d’épargner les colons contrôlés par le Thorien ; sur Virmire, il doit choisir entre deux de ses coéquipiers, Ashley et Kaidan. Le jeu ne permet pas de sauver les deux : il est nécessaire d’en sacrifier un, tandis que l’autre pourra accompagner Shepard jusqu’à Mass Effect 3.

Sur Noveria, le voilà qui se tient debout devant l’une des dernières représentantes de son espèce : une reine Rachni. À Shepard de choisir s’il lui laisse sa chance ou s’il la condamne à jamais au silence. Le joueur se découvre alors un énorme pouvoir : celui de décider du futur d’une espèce entière. Ce ne sera pas la dernière fois : dans Mass Effect 3, le choix entre Geths et Quariens peut voir l’extinction complète de ces derniers.

Et à la fin du premier jeu, le pouvoir de Shepard surpasse celui de tout être de la galaxie : il tient entre ses mains la vie des trois membres du Conseil, qu’il peut choisir de laisser mourir. Il est alors au-dessus de l’armée, car c’est à lui, simple commandant, et non à l’amiral Hackett qui dirige la flotte, de décider de la tournure des événements. Il est aussi au-dessus de la politique galactique, des institutions de plusieurs mondes. Certes, il est Spectre et par-là même autorisé à colorier en-dehors des lignes. Mais il gardera ce rôle jusqu’à la fin de la trilogie : celui à la fois d’un unique individu portant sur ses épaules quelque chose de bien plus grand que lui, l’avenir de la galaxie tout entière, mais aussi d’un tout-puissant dont dépend par conséquent le futur de milliards d’autres.

Car s’il peut donner la mort, le joueur peut aussi donner la vie. Dans Mass Effect 3, un remède contre le Génophage est enfin trouvé. Le Génophage est une arme biologique utilisée sur les Krogans en réponse à l’exponentielle croissance de leur population. Génération après génération, il les impacte durement en limitant à une pour mille le nombre de grossesses viables.

Dans le troisième volet de la saga, Shepard peut choisir de mettre un terme au Génophage en dispersant le nouveau remède dans l’atmosphère de Tuchanka, la planète natale des Krogans. Il peut aussi saboter le remède et mentir aux Krogans, qui resteront donc condamnés à bercer leurs enfants mort-nés. Au joueur, cette fois, de choisir de leur rendre la vie et l’espoir d’un avenir.

C’est l’une des particularités de la trilogie : dans Mass Effect, tout le monde peut mourir. Et ils restent morts. Ashley et Kaidan ne sont pas les seuls à pouvoir périr dans le premier volet. Dans le second, la fin est une énorme mission-suicide où tout le monde, y compris Shepard, peut laisser sa peau. Les coéquipiers du commandant parvenus jusqu’au dernier jeu ne sont pas sûrs d’y être épargnés : si Shepard gère mal sa conduite de la guerre, ils peuvent périr avant la conclusion de celle-ci.

Pour sauver ses camarades, le joueur doit donc agir. Il se voit investi d’un pouvoir quasi-divin et doit faire le bon choix via la roue de dialogue lorsque les options lui sont présentées, ou agir de telle sorte que le dénouement ne soit pas funeste : en récupérant le plus de ressources de guerre dans Mass Effect 3, en assommant les colons de Feros pour leur éviter les balles, en accomplissant les missions de loyauté de ses coéquipiers dans Mass Effect 2

Mass Effect mort ShepardMais il y a une mort dans la saga que le joueur ne peut pas éviter : la sienne. Ou du moins, celle de Shepard. Au début du deuxième jeu, le Normandy explose au-dessus de la planète d’Alchera, et le commandant ne fait pas partie des survivants.

Space Jesus

Le thème de la renaissance est évoqué dès Mass Effect 1. C’est Saren qui, tentant de convaincre Shepard de passer de son côté, lui explique qu’il connaîtra une vraie renaissance en œuvrant aux côtés de Sovereign. Lui-même défie d’ailleurs la mort pour revenir affronter Shepard, contrôlé par le Moissonneur. Plus vraiment organique, plus vraiment lui-même, Saren est mi-Terminator Turien, mi-grenouille bondissant sur les murs.

Mais ce n’est qu’au début de Mass Effect 2 que le thème prend toute son ampleur, lorsque Shepard… meurt. Comme le capitaine doit quitter le navire en dernier, le commandant sauve la vie de Joker au péril de la sienne et accompagne le Normandy dans l’au-delà.

Après sa mort au-dessus de la planète d’Alchera, Shepard est ramené à la vie par Cerberus, une organisation pro-humanité menée par le mystérieux Homme Trouble. Le groupe tient naturellement son nom de Cerbère, le chien à trois têtes d’Hadès, chargé de garder les portes de l’Enfer.

Pour revenir à la vie, Shepard doit subir deux ans d’opérations et de manipulations. Le projet qui doit le ressusciter, puisque c’est de ça qu’il s’agit, porte un nom éloquent : le projet Lazare. De l’hébreu El-azar (« Dieu a aidé »), le prénom est porté par deux personnages dans la Bible, notamment par un homme ramené à la vie par Jésus quatre jours après sa mort. Depuis, le nom est devenu dans la culture populaire un symbole de résurrection.

Mass Effect 2 est bien l’histoire d’une résurrection : celle de Shepard, donc. Et les thématiques religieuses liées à sa renaissance parsèment tout le jeu, depuis le bar de l’Afterlife, l’Au-delà, qui est le premier lieu que visite Shepard sur Omega, jusqu’à Archangel, l’Archange protecteur qu’est devenu Garrus en l’absence de son mentor.

mass effect 2Shepard s’affirme désormais comme Jésus de l’espace : investi d’une mission qui le dépasse, il la porte seul sur ses épaules, accompagné par une équipe constituée dans le second volet de douze coéquipiers, comme les douze apôtres de la Bible.

Mais Shepard est aussi un nom qui vient de « shepherd », le berger. Reprenant la thématique biblique du berger qui donne sa vie pour ses brebis, Shepard s’est sacrifié au début du jeu pour être mieux ramené à la vie. Après sa résurrection, il mènera à bien sa tâche – la guerre contre les Moissonneurs et surtout contre l’Apocalypse qu’ils représentent – avant de se sacrifier une nouvelle fois à la fin de Mass Effect 3 : la boucle mort-résurrection-mort est bouclée.

Et comme Jésus, Shepard peut alors entrer dans le mythe, comme en témoigne la scène post-générique du dernier jeu. Dans le futur, un vieil homme raconte les histoires de Shepard à un enfant. Mais il fait référence au commandant en utilisant un article défini : « le Shepard », dit-il. Shepard n’est plus vraiment un être humain, il fait maintenant partie de la théologie galactique.

Mais la renaissance de Shepard n’est pas qu’une simple résurrection. Au tout début de Mass Effect 2, un data log de Miranda montre un enregistrement dans lequel elle explique que pour accélérer le processus visant à ramener Shepard à la vie, les scientifiques ne se sont pas contentés d’une simple reconstruction organique. Elle explique qu’ils ont opté pour une « fusion biosynthétique ».

Bien avant la fin Synthèse, Shepard transcende déjà l’opposition entre vie organique et vie synthétique. Il préfigure et incarne cette synthèse, rendant d’autant plus logique sa lutte pour réconcilier ces deux formes de vie. Il se rapproche aussi un peu plus des Moissonneurs, qui ne sont pas seulement des gigantesques machines, puisqu’ils possèdent eux aussi de la matière organique.

En n’étant plus tout à fait la même personne, Shepard passe donc par une vraie renaissance qui ne s’arrête pas au seul fait de le ramener à la vie. Il est une évolution de l’ancien Lui ; il est passé à quelque chose de supérieur et transcende déjà l’être humain.

Mass effect 3Il complètera cette transformation en se sacrifiant une nouvelle fois. Là, il confirme ses pouvoirs divins, puisqu’il porte individuellement l’avenir de la galaxie. Il était le pendant des Moissonneurs ; il devient leur supérieur en ayant la possibilité de les détruire voire même d’en acquérir le contrôle.

Entretemps, la galaxie elle-même a connu l’Apocalypse. Celle-ci a été annoncée à Shepard dès le début de Mass Effect 1 sous la forme d’une vision, exactement comme dans le Livre de la Révélation.

Mais par la main de Shepard et du joueur, la galaxie peut renaître sous différentes formes. Le parallèle avec la Bible est de nouveau évocateur : on peut penser au Déluge, par exemple. Ainsi, la galaxie connaît la colère de Dieu pour mieux renaître, sous la forme d’une certaine utopie qui a lavé les péchés du passé. À son tour, elle aussi a droit à une renaissance.

Mass Effect n’est pas qu’un jeu de science-fiction, pas qu’un space opera. Ce n’est pas non plus un simple support vidéoludique. La saga n’a jamais eu peur de poser des questions, de s’interroger et de filer des thématiques complexes, philosophiques ou religieuses.

En 2012, à la sortie du troisième volet, les joueurs ont massivement protesté contre la fin, au point que les développeurs, profondément affectés, se sont lancés à corps perdu dans la création d’un Extended Cut censé les réconcilier avec leurs fans – globalement en vain.

Quoi qu’on pense de ces fins, elles ont tout de même un mérite : boucler un certain pan des thématiques. Ce pan, c’est notamment la métaphore religieuse filée depuis le début de Mass Effect 1, et la thématique de la renaissance. Après que les Moissonneurs ont apporté la mort à la galaxie, Shepard est investi d’un pouvoir presque divin et est à même de lui rendre la vie.

Lui-même passé par une résurrection miraculeuse, le commandant peut finalement apporter la renaissance à la galaxie, mettant un terme au conflit entre vie synthétique et vie organique qui est à l’origine même de l’Apocalypse. C’est lui qui, le premier, l’a vue venir : avec la vision qu’il reçoit de la balise prothéenne à Eden Prime dans Mass Effect 1, Shepard s’était vu investi d’une mission qu’il ne mesurait pas encore.

Parce qu’il avait eu cette Révélation, c’était à lui de mener le combat pour la renaissance. Il ne pouvait pas empêcher l’Apocalypse de s’abattre sur la galaxie, mais il pouvait lui permettre d’avoir un futur. Et, ce faisant, Shepard accédait enfin au statut vers lequel il avait évolué durant trois jeux : celui d’une figure mythique et théologique.

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