Comme je l’expliquais dans le premier article de ce blog, la quête de la connaissance est une thématique fondamentale de L’Attaque des Titans. C’est l’un des buts de la série ; c’est l’aspiration d’Erwin, obnubilé par la cave de Grisha Jäger et le savoir qu’elle renferme, ou d’Hanji.
C’est aussi pour cela que le changement de nom de Christa, qui devient Historia, est tout sauf anodin : elle devient ainsi celle qui apporte la connaissance à son peuple. Mais elle n’est pas le seul personnage à remplir un rôle similaire. Comme elle, Eren apporte à l’humanité une forme de savoir et même de pouvoir.
À ce titre, c’est encore un nouveau parallèle qu’on peut tracer entre L’Attaque des Titans et la mythologie grecque. En l’occurrence, il s’agit du mythe de Prométhée, à laquelle l’histoire d’Eren fait plusieurs échos.
🔥 Prométhée et Eren, ardents défenseurs de l’humanité
Prométhée est le frère d’Atlas, pour lequel un parallèle avec Eren peut également être dressé : cette image d’Eren portant le rocher destiné à boucher le mur de Trost, qui rappelle Atlas portant le monde sur ses épaules. Comme lui, c’est un Titan, mais au sens mythologique du terme : chez les Grecs, les Titans étaient ces divinités primordiales nées avant les dieux de l’Olympe, enfants d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre). L’un d’eux, Cronos, était notamment le père de Zeus, Héra, Hadès ou encore Poséidon.
En grec, le nom de Prométhée signifie « le prévoyant », celui qui comprend avant. Son nom même fait déjà écho à Eren, et tout particulièrement aux révélations finales du manga.
Mais Prométhée est avant tout le voleur du feu. Alors que les Hommes le possédaient depuis l’âge d’or, Zeus les en priva pour se venger de Prométhée. Au cours d’un sacrifice de taureau, Zeus lui avait en effet demandé de décider quelle part reviendrait aux Hommes, et laquelle serait pour les dieux. Défenseur des Hommes qu’il avait créés avec Athéna, Prométhée chercha à les privilégier en dupant Zeus, qui obtint des os recouverts de graisse.
Furieux, Zeus leur retira donc le feu, les privant de la possibilité de se chauffer ou de s’éclairer. Prométhée vola donc une étincelle du feu sacré pour le rendre aux Hommes. Pour le punir de ce vol, Zeus l’enchaîna sur le Caucase et le condamna à se faire dévorer le foie par un aigle, jour après jour pour l’éternité. Chaque nuit, son foie repoussait pour être de nouveau mangé le lendemain.
Prométhée finit cependant par échapper à son terrible châtiment grâce à Hercule, qui le délivra pendant l’un de ses douze travaux.
Le mythe de Prométhée est une triple métaphore. D’abord, il faut évidemment y voir l’apport du savoir aux Hommes. Mais Prométhée est aussi celui qui ose se rebeller contre l’Olympe et les dieux.
Enfin, il est le symbole d’un hybris contre les dieux, un orgueil démesuré qui dans la mythologie est souvent représenté comme la faute morale d’un héros qui finit par être maudit pour l’avoir commise : c’est le cas de Prométhée donc, mais aussi de Minos par exemple.
En trompant Poséidon et en refusant de sacrifier le taureau blanc qu’il réclamait – encore une histoire de sacrifice – Minos provoque la fureur du dieu. C’est à cause de Poséidon que Pasiphaé, l’épouse de Minos, tombe amoureuse de ce taureau et enfante le Minotaure que Minos fit ensuite enfermer dans un labyrinthe.
Lorsqu’il vole le feu, l’acte de Prométhée n’est pas seulement d’apporter celui-ci aux Hommes. Ce n’est d’ailleurs pas pour cela qu’il est puni : pas pour la transmission du savoir, mais pour le vol en lui-même. Car en volant, il a délibérément défié les dieux ; il a voulu se mesurer à eux et a commis ainsi une faute, l’équivalent grec du péché chrétien.
Au début de L’Attaque des Titans, le manga dessine deux camps : celui de l’humanité contre celui des Titans. Mais en découvrant ses pouvoirs de Titan, Eren devient celui qui les ramène du côté des Hommes. Dans ce récit, il est ainsi un peu le Prométhée de l’histoire.
C’est aussi un vol qui fait entrer en sa possession le pouvoir des Titans, alors qu’il n’est qu’un enfant. Le Titan Assaillant est volé à ceux qui le détenaient jusqu’à présent et transféré à Eren, qui découvre ses pouvoirs quelques années plus tard. Il se range alors du côté de l’humanité, qui voit dans ce nouveau pouvoir le moyen de s’affranchir du joug des Titans.
Mais Eren leur apporte bien plus qu’un pouvoir : il leur apporte aussi une forme de connaissance. C’est le pouvoir des Titans qui finit par mener l’humanité dans la cave de Grisha Jäger, où elle découvre l’existence de Mahr. C’est le pouvoir des Titans qui permet d’apprendre les véritables origines des humains réfugiés derrière les murs et des Titans qui les ont terrifiés pendant tant d’années.
Sans ce vol originel, les habitants de Paradis seraient restés derrière leurs murs et n’auraient probablement jamais appris la vérité. Au même titre que Prométhée, Eren leur apporte donc un savoir. Et comme Prométhée aussi, il se pose dès le début du manga en fervent défenseur de l’humanité – du moins jusqu’à la saison 4.
📦 Payer le prix de son péché
Mais toujours comme Prométhée, Eren doit payer le prix de son hybris et doit être puni. Dans le mythe de Prométhée, ce dernier est en fait puni deux fois : lui-même est donc enchaîné sur le Caucase, condamné à voir son foie dévoré chaque jour par un aigle, symbole de Zeus.
Zeus ne s’arrête pas là. Il fait aussi façonner par Héphaïstos et Athéna une femme, Pandore, dont il offre la main au frère de Prométhée, le Titan Épiméthée. Zeus donne à Pandore une jarre qu’il lui interdit d’ouvrir. Cédant à la curiosité, Pandore finit pourtant par désobéir et libère son contenu. Ce sont tous les maux de l’humanité : la vieillesse, la guerre, la misère, l’orgueil, le vice, etc.
Dans le mythe prométhéen, Pandore incarne la curiosité et la soif d’exploration de l’humanité. C’est évidemment aussi le cas d’Eren, qui rêve dès le plus jeune âge d’aller au-delà des murs. Mais il n’est pas le seul : il faut penser au bataillon d’exploration tout entier, à Armin, à tous ces personnages poussés par la soif de connaissance.
Mais Pandore n’est pas l’héroïne de son histoire. Elle est punie pour sa curiosité. Et par le biais de la boîte de Pandore, les Hommes payent donc aussi la faute commise par Prométhée. Lui a eu le culot de défier les dieux, eux d’en profiter et d’ainsi vouloir échapper à leur condition.
Dans L’Attaque des Titans, le mythe prométhéen n’est là encore pas très loin. L’humanité paye cher le prix du pouvoir des Titans : elle doit notamment affronter la colère de Mahr, mais connaît aussi avant cela un coup d’État. En voulant lutter contre les Titans avec son nouveau pouvoir, Eren laisse aussi de nombreuses victimes derrière lui.
Les habitants de Paradis doivent surtout dire adieu à leur innocence. C’est le prix à payer pour le savoir amené par Eren et le vol du pouvoir des Titans.
Dans la mythologie, avant que Zeus ne reprenne le feu aux Hommes, ceux-ci vivaient un âge d’or. Récupérer le feu leur permet bien sûr de s’éclairer ou de se chauffer, mais aussi et surtout de forger : ils peuvent entrer dans un âge de fer. Mais rien ne leur permettra de retourner à l’âge d’or de jadis, comme les humains derrière les murs ne pourront jamais revenir en arrière.
Venue elle aussi tout droit du mythe prométhéen, Pandore illustre une dure leçon : l’humanité ne doit pas poser de questions, n’a pas à explorer, n’a pas à se montrer curieuse. Les Hommes doivent faire ce qu’on leur dit, rester dans la vérité qu’on leur a construite. La curiosité devient un vilain défaut qui peut condamner l’humanité.
Et d’une certaine façon, peut-être valait-il mieux ne jamais découvrir la vérité. Le savoir qu’apportent Eren et Historia à l’humanité finit par les mener à la guerre contre Mahr et à ce qu’elle déclenche dans le dernier acte du manga.
🍎 De Prométhée à Eren, les enfants rebelles
Cette idée de la connaissance qui met fin au bonheur des hommes se retrouve davantage dans le christianisme que dans la mythologie grecque. On peut regarder cette fois du côté du jardin d’Éden, quand Ève mange le fruit défendu.
Ce fruit vient de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Le manger est interdit par Dieu parce que cela apporterait à Adam et Ève une connaissance nouvelle qui les mettrait sur le même plan que des dieux. Ce serait vouloir se mesurer à eux, comme Prométhée le fait lui aussi en dérobant le feu sacré.
C’est ce péché originel qui vaut à Adam et Ève d’être chassés du jardin d’Éden. Si l’on peut difficilement comparer la condition des humains enfermés derrière les murs à l’Éden, il est impossible de ne pas rappeler qu’ils vivent sur une île nommée Paradis.
Et bien que parqués derrière des murs dont ils ne peuvent sortir, perpétuellement menacés par les Titans, il s’avère à mesure que le manga avance que cette situation n’était finalement pas vraiment ce qui pouvait leur arriver de pire.
Du jardin d’Éden à L’Attaque des Titans en passant par le mythe de Prométhée, l’Homme ne cesse jamais de devoir payer le prix de sa quête de connaissance. Et dans aucun de ces trois récits le problème ne vient-il vraiment de la connaissance en elle-même, mais plutôt de cette révolte contre l’ordre établi.
Quant à Eren lui-même, il n’est évidemment pas question de Caucase ni d’aigle mangeur de foie dans L’Attaque des Titans, quoique le rôle et la symbolique des oiseaux ne soient pas absents du manga. En revanche, il paye lui aussi le prix de sa faute et de son hybris, puisque c’est bien d’orgueil qu’il s’agit.
La faute, c’est d’avoir cherché à s’élever au-dessus du niveau qu’on leur a attribué – par les dieux dans le mythe de Prométhée, par les puissants aussi dans L’Attaque des Titans. Ceux-ci ont le même côté tyrannique, injuste et violent que Zeus, clairement dépeint comme un tyran dans le mythe prométhéen.
Prométhée est caractérisé dans la littérature comme un révolté romantique qui se soulève contre l’oppression de Zeus. De son côté, Eren grandit dans une société fasciste gouverné par un État martial. Le coup d’État du bataillon d’exploration, dans le courant de la série, ne fait qu’instituer un nouvel État militaire à la tête de Paradis.
Or, comme Prométhée, Eren est un éternel rebelle. Enfant déjà, il n’a pas peur de s’insurger contre sa condition : enfermé derrière ses murs, l’Homme ne vaut guère plus que du bétail à ses yeux. Tous deux partagent un même refus de se laisser assujettir et d’être inférieur, la rébellion d’Eren contre sa condition faisant donc écho à celle de Prométhée.
Voix de la révolte contre l’autoritarisme, Prométhée finit enchaîné à la roche. La vie d’Eren prend le tournant qu’on connaît, et il ne cessera de payer le prix de sa faute jusqu’à la fin du manga.
Il suffit d’ouvrir Netflix pour s’en rendre compte : le post-apocalyptique, ou post-apo pour les initiés, a toujours la forme. Loin d’entamer son succès, la pandémie l’a probablement nourri. Tout en jonglant entre les remakes de ses gloires passées et les nouveaux volets, Resident Evil a récemment sorti sa nouvelle mini-série Infinite Darkness. Sur grand écran, Le dernier voyage a mis le post-apo au service de la science-fiction française ; Sans un bruit 2 a attiré les foules dans les salles obscures. Non, décidément, le post-apo va bien – merci pour lui.
On pourrait s’étonner. Après tout, nous avons nous-mêmes un peu vécu l’Apocalypse pour de vrai. Avons-nous toujours vraiment besoin de ces fantasmes de destruction jusque dans nos loisirs ? Au début de la pandémie, le succès d’un film nous a clairement montré que oui : soudain, alors qu’il était sorti en 2011, Contagion retrouvait les faveurs des spectateurs et explosait en streaming.
Les parallèles avec ce récit d’un virus venu des chauves-souris d’Asie étaient trop flagrants pour être ignorés. Le Figaro parlait au printemps 2020 d’un film « visionnaire », Libération s’interrogeait dans un billet intitulé « Coronavirus : et si Contagion avait tout prévu ? ». Alors qu’il n’avait pas fait fureur au box-office neuf ans plus tôt, voilà que le film pointait en tête des œuvres les plus regardées sur Netflix.
Aux origines du post-apo
Mais rembobinons un peu. Pour bien comprendre le genre post-apocalyptique, il faut avant tout saisir d’où il vient. Le post-apo est en fait avant tout un sous-genre : c’est de la science-fiction. Il met en scène un monde où la civilisation s’est effondrée après une catastrophe, quelle qu’elle soit.
Ainsi, on croise régulièrement des hivers nucléaires, des invasions extraterrestres, mais aussi des pandémies ou des désastres écologiques. Il ne faut pas le confondre avec les films catastrophes ou apocalyptiques : tout l’intérêt du post-apo se trouve dans ce post. Le post-apo, c’est l’Après : l’Après civilisation, l’Après catastrophe, l’Après effondrement. Ce qu’il reste de ce monde et de ses survivants.
Ce sont les principales caractéristiques qui définissent le genre post-apocalyptique :
La civilisation telle qu’on la connaît a été détruite ;
Le récit s’intéresse aux survivants de cette société.
Dans notre histoire culturelle, le genre post-apocalyptique remonte à loin, très loin. On le trouve dès la mythologie et l’Antiquité, où la crainte d’une fin du monde est déjà bien présente. Le Ragnarök dans la mythologie scandinave, l’Arche de Noé… L’Apocalypse émaille déjà les récits.
Plus récemment, le post-apo pointe de nouveau le bout de son nez dans la littérature du 19ème siècle. On entend beaucoup parler du Dernier Homme de Mary Shelley, également connue pour Frankenstein, ou de After London de Richard Jefferies, qui marque une étape fondamentale dans le développement du genre post-apocalyptique tel qu’on le connaît.
Mais c’est au 20ème siècle qu’il gagne vraiment du terrain, et ce n’est évidemment pas un hasard. Parce que c’est plus précisément dans les années 1950, après Hiroshima et en pleine guerre froide, que le post-apo s’est brusquement propulsé sur le devant de la scène de la science-fiction.
À l’époque, l’aspect scientifique de la science-fiction est plus que jamais présent dans ces récits. Le nucléaire est omniprésent dans les œuvres post-apocalyptiques des années 1950. Judith Merril, Leigh Brackett, John Wyndham, Richard Matheson ou Nevil Shute publient tous des livres où les tensions de la guerre froide ressurgissent plus ou moins implicitement : ici, les Soviétiques sont responsables de la création de plantes carnivores qui menacent l’humanité ; là, les États-Unis tentent de se remettre d’une attaque nucléaire.
Du côté du cinéma, le post-apo se distingue notamment par un refus de montrer les victimes de l’Apocalypse et les corps. Quelques années après l’Holocauste et Hiroshima, le cinéma refuse de sombrer dans les représentations graphiques de l’Apocalypse, notamment quand elle est nucléaire.
Il faudra attendre les années 1980 (!) pour que les effets du nucléaire se montrent à l’écran dans leur aspect le plus cru. Jusque-là, le cinéma préfère montrer ses conséquences futures plusieurs centaines d’années après l’Apocalypse. Ou il choisit d’ignorer les armes, les corps, les brûlures, les flammes, la mort et les radiations au profit d’un message antimilitariste propre à son temps.
Le post-apo, produit de son temps
Son temps, justement : c’est là l’une des clefs du genre post-apocalyptique. En retraçant son histoire et son évolution, on voit bien à quel point le présent a pesé sur le post-apo. À partir des années 1960, à mesure qu’Hiroshima et Nagasaki étaient un peu plus relayés dans le passé, que la crise des missiles de Cuba était elle aussi derrière nous, le post-apo s’est tourné vers d’autres thématiques que le nucléaire.
La surpopulation, la pollution et les catastrophes écologiques se sont mises à émailler les œuvres post-apocalyptiques, tant en littérature qu’au cinéma. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que le nucléaire a totalement disparu du genre post-apocalyptique. Il suffit de penser à la franchise Fallout ou à Mad Max. Le thème a notamment été relancé à la fin des années 1980, après l’accident de Tchernobyl.
Mais dans les années 1960 et 1970, les causes de l’Apocalypse se sont déplacées, trahissant des préoccupations nouvelles. Et c’est, comme on l’a dit, l’une des clefs du succès du post-apo : il est lié au monde contemporain ; il est un écho des peurs du présent et des craintes sur l’avenir.
Aujourd’hui, le post-apo mange à tous les râteliers : les extraterrestres, les zombies, les catastrophes climatiques, écologiques ou nucléaires… Tout est bon pour justifier la fin du monde.
Deux raisons l’expliquent : d’abord, la fin du monde fascine en elle-même. Ensuite, l’Apocalypse en soit n’est pas l’enjeu du post-apo.
On l’a expliqué, la fascination pour la fin du monde remonte à l’Antiquité. Dans toutes les mythologies, l’Apocalypse fait son apparition. Les Mayas, les Assyriens… tous ont envisagé une possible fin du monde plus ou moins proche, même avant la Bible.
L’escathologie est donc à la base même de notre société et fait partie de notre culture depuis que l’Homme est un être civilisé. D’un point de vue psychologique, la fin du monde renvoie aussi à certaines idées particulièrement menaçantes. La société, en tant que telle, s’évertue à donner une certaine signification à nos vies, à notre Histoire. Elle cherche à nous donner un sens.
La fin du monde sort de ce schéma. Elle est incontrôlable, au même titre que la mort, et s’il est bien quelque chose qu’elle n’a pas, c’est un sens. Elle échappe totalement à nos repères et à nos constructions sociales.
Il faut ajouter à cela qu’aujourd’hui, la fin du monde nous fascine probablement parce qu’elle est plus tangible que jamais. Si le nucléaire a envahi la littérature post-apocalyptique des années 1950, puis le cinéma dans la foulée, c’est parce qu’il était soudain devenu plus une vraie menace, une réalité.
Désormais, toutes nos pires craintes sont possibles. Alors que le réchauffement climatique avance à grandes enjambées, une catastrophe écologique n’est plus seulement envisageable dans un monde imaginaire : elle est une possibilité de plus en plus concrète. Le Jour d’Après, Le Transperceneige, Interstellar ou encore La Route sont tous des échos d’une triste réalité : dans un futur de moins en moins lointain, ces possibles sont devenus des probables.
Mais alors, où sont les zombies qui ont envahi les films catastrophes et post-apocalyptiques ? Si nous ne vivons pas encore dans Resident Evil, nous savons désormais, en 2021, que nous ne sommes plus à l’abri d’une pandémie.
Les zombies si chers à la science-fiction sont généralement la conséquence d’une autre catastrophe : en général biologique après un virus, mais parfois aussi nucléaire. Surtout, ils sont, comme les extraterrestres, le produit d’une vraie réflexion du genre post-apocalyptique.
Ces œuvres sont souvent l’occasion de refléter une humanité qui, en cas de catastrophe, n’hésitera pas à se déchirer pour des ressources ou à s’entretuer. Ces monstres sont l’allégorie de nos angoisses apocalyptiques, du déracinement qui irait avec, de l’effondrement de la civilisation.
Pour les fuir, la société doit se replier, quitter son foyer. Ces créatures sont donc le récit d’une fuite, d’une perte de territoire, d’une transformation de l’environnement connu. Mais face à eux, la société doit aussi se mettre à craindre l’Autre, l’alien non pas au sens d’extraterrestre mais d’étranger voire même d’ennemi.
Bref : le monstre apocalyptique n’est pas à prendre au pied de la lettre. C’est la catastrophe qu’il représente qui fait écho à nos craintes d’aujourd’hui. Il est là pour montrer la disparition de toute éthique, la lutte pour la survie, la violence dont est capable l’humanité.
Et en cela, le genre post-apocalyptique, qu’il choisisse de mettre en scène une catastrophe climatique ou un virus qui transforme les gens en zombie, reflète encore et toujours les craintes d’une génération. Ce n’est pas un hasard si le post-apo fonctionne si bien dans les œuvres adressées à la jeunesse : The Hunger Games, Gone ou Divergente l’ont bien prouvé.
Quand le post-apocalyptique se prend à espérer
Au cœur du post-apo se trouve cependant un autre thème : non pas celui de l’effondrement, mais celui de la survie. C’est l’autre caractéristique du genre. Si le post-apo est naturellement très pessimiste quant à ce que nous réserve le futur, il fait aussi preuve d’un optimisme désespéré.
Par définition, le genre post-apocalyptique dépeint donc l’après-Catastrophe, l’après-Apocalypse. Il se penche sur ce qu’il reste de notre civilisation détruite, quand la société telle qu’on la connaît n’existe plus. Il est parfois le récit d’un exode et d’un déracinement, parfois d’une tentative de réorganisation. Selon le synopsis, il oscille entre la reconstruction d’une société et l’appel de la route.
Dans les deux cas, le post-apo se fait le récit d’un monde où existe encore quelque chose. Il aime mettre en scène un sanctuaire (Je suis une légende, Bird Box…) ou une place forte où la vie peut continuer (de Fallout à Love and Monsters, sorti sur Netflix en 2020).
Dans le jeu vidéo, il fait même du joueur l’acteur de cette survie : c’est lui qui a en main les clefs de l’histoire, comme une révolte contre le sentiment d’impuissance qui a nourri notre fascination pour la fin du monde et l’Apocalypse. À lui donc de lutter contre les monstres, de restaurer l’ordre, de reconstruire une communauté.
Face à la destruction de la société, le genre post-apocalyptique veut donc généralement aller bien au-delà de la survie pour la survie. Au bout du compte, il y a un but : il sera un vaccin, une réunion de la famille, l’esquisse d’une nouvelle société organisée, une graine de nouvelle civilisation. Même dans les œuvres les plus pessimistes, il reste souvent un semblant d’humanité, un brouillon de société. On ne raconte pas le néant.
Ainsi, le post-apo se pose avant tout la question de l’évolution de la civilisation humaine, de ses nouvelles normes, de ses nouvelles valeurs, dans un monde qui a perdu tous ses repères. On se tue, on se déchire, on cède à la violence, mais on essaye aussi de s’en sortir et parfois de reconstruire quelque chose.
Après l’Apocalypse, les valeurs traditionnelles, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales, ne sont plus. Et pourtant, les œuvres post-apocalyptiques aiment tourner autour d’une sauvegarde ou d’un rétablissement de ces normes. Quand le héros essaye de retrouver les siens ou de protéger sa famille (A quiet place, World War Z…), c’est la cellule familiale qu’il tente de préserver. Ailleurs, c’est l’ordre moral, politique et/ou militaire qu’il cherche à rétablir (Tom Clancy’s The Division et sa suite, par exemple).
Le post-apo doit donc imaginer ce que pourraient devenir les rapports moraux et sociaux des êtres humains, quelles sociétés pourraient se mettre en place. Il s’intéresse à une éventuelle renaissance de l’humanité, dans un contexte où la nature tend à reprendre ses droits, où l’Homme redevient parfois à peine plus qu’un animal.
En somme : que restera-t-il de nous, quand rien ne sera plus ?
Dès lors, le genre post-apocalyptique doit aussi être considéré comme bien plus qu’un récit d’anticipation pessimiste : il est idéologique et critique, parfois (souvent, même quand il n’ose pas l’avouer) même politique. Critique, parce qu’il pose en permanence un certain regard sur son époque et son présent. Sur les craintes de ses contemporains, d’abord, qui viennent alimenter son récit. Sur le modèle socioéconomique et politique actuel, aussi.
Le post-apo ne s’intéresse pas à la catastrophe en elle-même. Parfois, son origine n’est même pas toujours très claire. Il arrive qu’elle ne soit ni montrée, ni racontée : elle est un état de fait, un point X dans le passé. Ce qui est au cœur du post-apo, c’est cet Après un peu mythique qui viendra après la fin du monde, ce qu’il adviendra une fois la catastrophe passée.
L’Apocalypse est alors une excuse pour explorer les faiblesses de notre société, tout ce qui pourrait nous déchirer et nous détruire. Et le post-apo de raconter la futilité de nos normes et leur incapacité à demeurer en pleine crise. Ne restent plus que les ruines d’un monde qui n’est plus, traces physiques d’un écroulement qui va bien au-delà du matériel.
Ce faisant, le post-apo explore et met en scène nos peurs les plus actuelles, les plus profondes. Mais il y a peut-être quelque chose de fantasmatique et de jouissif, aussi, à porter un regard sur notre Histoire depuis un futur où tout n’est plus que poussière. À regarder le passé, notre présent, depuis les ruines de l’Apocalypse.
Et surtout, les œuvres post-apocalyptiques ne s’arrêtent pas là. Par essence, elles s’attachent à dépeindre aussi la lutte pour la survie, puisqu’elles mettent en scène les survivants de cette Apocalypse. Elles ont même parfois quelque chose d’héroïque, avec un – ou plusieurs – héros qui lutte pour rétablir un peu des normes et valeurs perdues.
À grande échelle, il sera le Sauveur, figure mythique, parfois sacrificielle, qui rétablira un semblant d’ordre dans un monde où l’Homme est devenu un loup pour l’Homme. À petite échelle, il sera au moins un Protecteur, figure paternelle ou maternelle qui laisse entendre que même lorsque la morale n’est plus, la famille demeure – et avec elle un semblant d’humanité et de construction sociale.
Dans les deux cas, il sera une lueur d’espoir dans un monde qui n’est donc plus si noir. C’est là toute la particularité du post-apo : en représentant l’après-Apocalypse, il se plaît à imaginer tous les possibles qui pourraient nous attendre dans le futur. Et surtout, il se plaît à imaginer que quoi qu’il arrive, quelle que soit la catastrophe inéluctable – et qui sera très certainement de notre faute – qui nous attend… d’une façon ou d’une autre, nous survivrons.
Ce 21 juillet, les fans de Kaamelott retrouveront le roi Arthur sur grand écran, après plusieurs reports et une longue attente. Hasard d’un calendrier malmené par la pandémie, ce ne sera pas le seul film inspiré par la légende arthurienne au cinéma cet été : The Green Knight, adaptation d’un poème anglais du XIVe ou XVe siècle, prévoit aussi d’enfin arriver en salles.
La vision d’Alexandre Astier, quoique décalée, a toujours témoigné d’une vraie connaissance des mythes dont il s’inspire. Ainsi, l’absurdité de la quête du Graal dans Kaamelott n’est pas sans rappeler sa transformation et réappropriation au fil des siècles. Le Graal, un bocal à anchois ? En tout cas certainement pas ce qu’il était à ses origines : non pas le calice ayant recueilli le sang du Christ, mais… Un plat à poisson. On reste tout de même un peu dans la thématique !
Avant de parvenir jusqu’à nos salles de cinéma, la légende arthurienne a traversé les siècles et les pays. De la littérature galloise du VIe siècle jusqu’à l’Amérique moderne en passant par les romans en prose du XIIIe siècle, elle a muté jusqu’à finalement passer dans la culture populaire. Mais alors, où tout cela a-t-il commencé et comment cela a-t-il fini par donner… Kaamelott ?
Mais d’où vient le roi Arthur ?
On parle généralement de « la légende arthurienne ». En réalité, il s’agit en fait d’un agglomérat de textes de plusieurs pays, écrits à l’époque où on ne pouvait pas encore parler de littérature nationale à proprement parler – faute de Nation, notamment ! – et qui ne racontaient pas tous la même version de l’histoire.
Si les toutes premières traces d’Arthur remontent au haut Moyen-Âge, la période qui s’étend du Ve au XIe siècle, c’est au siècle suivant, le XIIe, que la littérature arthurienne explose et que le personnage devient un mythe. Avant cela, les textes sont rares et mal datés. Ils mentionnent déjà Arthur, parfois un autre personnage comme Keu.
Mais ce qui frappe dans ces premiers textes, c’est notamment qu’ils parlent d’Arthur comme d’un personnage déjà existant, dont le nom serait familier des lecteurs. Cela nous laisse supposer qu’il y a eu une tradition arthurienne orale bien avant ces quelques manuscrits.
Tous ces premiers textes sont britanniques : sans surprise, Arthur est avant tout un personnage d’Outre-Manche. Mais ils ne sont pas anglais : ils sont gallois. Pour qu’Arthur devienne un peu du personnage qu’on connaît aujourd’hui, il faut attendre Guillaume de Malmesbury et Geoffroy de Monmouth, deux auteurs anglais de la première moitié du XIIe siècle.
Tous deux ont la particularité d’être des chroniqueurs et d’écrire des textes qu’ils revendiquent comme étant historiques. En d’autres termes, Arthur n’est pas à l’époque le roi d’un roman : il est celui de l’histoire de la Grande-Bretagne.
Aujourd’hui, les historiens s’interrogent encore sur l’existence réelle du personnage. Ses origines littéraires galloises ont soulevé l’hypothèse qu’il ait effectivement existé, mais ait été à l’époque un chef de guerre qui s’est battu contre les Saxons. Une autre hypothèse est qu’Arthur ait été en fait inspiré d’un personnage romain.
Quoi qu’il en soit, que le personnage ait des origines historiques ou non, il n’en reste pas moins que le roi Arthur des annales et chroniques du haut Moyen-Âge n’a rien à voir ni avec ce que les romans de chevalerie du XIIe siècle feront du personnage, ni avec celui de Kaamelott et autres œuvres contemporaines.
À partir du XIIe siècle, il perd son aspect pseudo-historique et commence à devenir le roi légendaire qu’on connaît. C’est principalement dû au contexte politique de l’Angleterre. Les Plantagenêt sont alors assis sur le trône ; ils sont étroitement liés à la légende arthurienne et à sa réception.
Ainsi, Henri II devient roi en 1154 et épouse Aliénor d’Aquitaine, précédemment mariée au roi de France Louis VII à qui elle n’a donné que deux filles. Avec le roi d’Angleterre, Aliénor a de nombreux enfants, dont Richard Cœur de Lion et Jean Sans Terre. Elle a aussi un fils prénommé Geoffroy, qui épouse l’héritière du duché de Bretagne et donne naissance à un fils appelé… Arthur.
Richard n’ayant pas d’enfant et Geoffroy étant son frère cadet, c’est à lui qu’aurait dû passer la couronne d’Angleterre plutôt qu’au benjamin de la fratrie, Jean. Mais Geoffroy meurt avant son frère : Arthur devient alors l’héritier du trône.
À l’époque, Arthur est un prénom rare. Le voir ainsi donné à l’héritier du duché de Bretagne montre bien la popularité du mythe arthurien chez les Plantagenêt. Des sources de l’époque nous disent même qu’Arthur aurait dû monter sur le trône sous le nom d’Arthur II, reconnaissant ainsi le règne et l’existence du roi Arthur.
Malheureusement pour lui, il meurt dans des circonstances suspectes à l’âge de 16 ans. Les annales de l’époque attribuent la mort d’Arthur à son oncle Jean, qui s’assure d’ailleurs de garder sa sœur, héritière légitime, emprisonnée jusqu’à sa mort près de quarante ans plus tard. On imagine une ambiance tendue aux dîners de famille de la cour d’Angleterre.
Richard Cœur de Lion et son père eux-mêmes sont associés au mythique roi Arthur : le père s’est servi de cette légende pour unifier la Grande-Bretagne et asseoir son pouvoir. Il se revendique comme le successeur d’Arthur, qu’il veut opposer à la figure française de Charlemagne.
C’est aussi durant son règne que sont prétendument découverts les restes d’Arthur et Guenièvre à l’abbaye de Glastonbury. Une découverte opportune qui confirmait à la fois l’existence passée d’Arthur… et sa mort, afin de mieux faire taire les espoirs bretons qui voulaient qu’Arthur reviendrait un jour, quand son peuple en aurait besoin.
Quant au fils, Richard, il faisait appeler son épée Calibourne – Excalibur. Dans un geste très symbolique, il la céda au roi de Silice lorsqu’ils s’allièrent pendant une croisade.
Mais Arthur n’est pas resté longtemps cet instrument de domination politique. En parallèle, la légende a traversé la Manche et les Français s’en sont emparés. Les chevaliers se mettent aussi à occuper une place de plus en plus importante dans la société, et cela se ressent dans la littérature. C’est la grande période des romans chevaleresques, dont Chrétien de Troyes est la figure de proue.
Arthur n’est plus un héros. Il n’est pas non plus un chevalier. Chez Chrétien, il n’a plus qu’un second plan. Il gère sa cour et tient un rôle d’arbitre pendant que ses chevaliers vivent les quêtes et aventures : c’est la période de gloire d’Yvain, Érec, et surtout d’un nouveau venu, un certain Lancelot.
Le XIIIe siècle sera le grand siècle de la littérature arthurienne, mais c’est aussi celui de l’idéal chevaleresque, dont le roi Arthur n’est pas l’emblème. Il devient un roi faible, d’autant plus quand Lancelot est associé à Guenièvre. C’est sa guerre contre Lancelot qui précipite la chute de l’utopie arthurienne et qui conduit finalement à la mort d’Arthur.
Marginalisé par ses propres chevaliers, le roi Arthur doit attendre la fin du Moyen-Âge pour récupérer un peu de sa prestance passée. De nouveau, c’est en Angleterre que l’affaire se joue, notamment avec Le morte Darthur de Thomas Malory. C’est aussi à cette période qu’est notamment écrit Sire Gawain and the green knight, le poème qui mettra Dev Patel sur nos écrans cet été.
À ce moment-là, la mode n’est plus aux chevaliers, aux aventures et aux croisades. L’Angleterre a été secouée par la guerre de Cent Ans et déchirée par la guerre des Deux-Roses. Le temps est à l’unité et à la paix.
Le roi Arthur redevient un instrument du pouvoir et se voit de nouveau utilisé par la royauté. Elle se doit donc d’en refaire une figure conquérante plutôt qu’un roi, disons-le, un peu nul, isolé dans son château pendant que ses chevaliers vivent mille et une aventures merveilleuses, et dont la faiblesse précipite l’effondrement du monde arthurien.
Lancelot a-t-il eu une liaison avec la reine Guenièvre ?
Lancelot est étroitement associé à la reine Guenièvre, épouse d’Arthur, dès le premier roman dont il est le personnage principal. C’est chez Chrétien de Troyes qu’il fait ses premiers pas, même s’il a très certainement existé une tradition antérieure du personnage : d’abord, Chrétien le mentionne sans jamais éprouver le besoin de le présenter, comme s’il devait être familier au lecteur ; ensuite, son exploitation en Allemagne, notamment par Ulrich von Zatzikhoven, auteur d’un Lanzelet qui hérite d’une toute autre tradition que celle de Chrétien de Troyes, soulève la question d’un livre français disparu mettant en scène un Lancelot primitif.
Peu importe : c’est Le chevalier de la charrette qui nous est parvenu comme étant le premier texte où Lancelot tient un rôle d’importance. Dans ce roman en vers, Lancelot se lance à la recherche de Guenièvre, enlevée par Méléagant. Si Keu et Gauvain s’y précipitent eux aussi, c’est Lancelot qui parviendra à la libérer.
Chrétien en fait un personnage qui balance perpétuellement entre l’amour et la raison. Il est aveuglé par son amour pour la reine, à laquelle il est presque servile. Au bord de la folie à cause de cet amour qu’il lui voue, il est cependant aussi sublimé par cet amour, qui l’aide à surmonter des épreuves dont personne d’autre ne pourrait triompher.
Surtout, Lancelot est déjà explicitement l’amant de Guenièvre. Cependant, le traitement du personnage chez Ulrich von Zatzikhoven nous laisse comprendre que Lancelot ne l’a pas toujours été. Ce n’était pas le cas du Lancelot primitif et ce n’est pas non plus celui du personnage du Lanzelet : il a donc existé une autre tradition littéraire.
Mais Lancelot ne quittera plus cette position. Grâce à Chrétien de Troyes, il devient le symbole de la chevalerie courtoise et de la fin’amor. Dans le Lancelot-Graal, immense cycle en prose du XIIIe siècle dont il est le héros, Lancelot paye cependant le prix de cet amour adultère.
Lorsqu’il arrive à la cour, Lancelot tombe immédiatement amoureux de la reine. C’est même elle qui le fait chevalier, et non Arthur. La tradition veut que le Seigneur ceigne l’épée au nouveau chevalier, mais Arthur oublie de le faire : c’est Guenièvre qui accomplit ce geste hautement symbolique, faisant de Lancelot, de fait, le chevalier et l’homme de la reine – et non du roi.
Le roman développe sa relation avec Guenièvre de sa naissance jusqu’à la fin, depuis leur rencontre jusqu’à la consommation de leur liaison, en passant par leur premier baiser. C’est l’un des motifs les plus importants de l’œuvre, le fil conducteur des aventures de Lancelot, sa principale motivation.
Mais sa relation avec Guenièvre devient bientôt franchement négative. Elle est le péché et l’obstacle qui l’empêchent de triompher dans la quête du Graal, qui lui était pourtant originellement destinée. Il est remplacé par Galaad, son fils, qui le supplante même comme meilleur chevalier du monde.
Si Lancelot passe une bonne partie de la quête du Graal à faire pénitence de son péché, il retombe ensuite de plus belle dans cette liaison. Sa relation avec Guenièvre est alors le détonateur qui précipite le monde arthurien vers la fin.
Certes, l’utopie arthurienne n’est déjà plus. Elle a été rongée par la quête du Graal, à la hauteur de laquelle elle n’a pas été. Les chevaliers d’Arthur sont dispersés et se sont parfois même entretués – Gauvain, notamment, tue dix-huit de ses congénères. Les valeurs de la Table Ronde et de la cour du roi Arthur ont été corrompues ; elles s’opposent désormais à celles des chevaliers du Graal, qui incarnent une nouvelle forme de chevalerie.
Les chevaliers d’Arthur sont désœuvrés et le roi multiplie les tournois qui ne sont que des prétextes pour les occuper. Lui-même est désormais un vieux roi, qui a perdu sa superbe et surtout sa majesté. Le monde arthurien est rongé de l’intérieur.
Mais après la quête du Graal, c’est cet adultère qui va achever l’effondrement de la civilisation arthurienne. Agravain, l’un des frères de Gauvain, dénonce leur liaison. Lancelot s’échappe mais Guenièvre est condamnée au bûcher : il revient la sauver mais doit pour cela tuer plusieurs chevaliers, dont les frères de Gauvain.
C’est la guerre. Gauvain prend la tête de l’un des clans, poussant Arthur à s’enliser dans cet affrontement. Malgré tout cela, Lancelot reste loyal à Arthur : il ne parvient pas à se résoudre à le tuer quand il en a l’occasion et donne même la consigne de l’épargner.
Avec son clan, Lancelot finit par retourner en Gaule, d’où il est originaire et où se trouve son royaume. Mais sous l’influence de Gauvain qui ne parvient pas à pardonner la mort de ses frères, Arthur franchit la mer à son tour.
C’est là qu’il apprend la trahison de Mordret, à qui il avait confié son royaume et qui fait croire à la mort d’Arthur pour s’emparer du trône. Acculé, le roi n’a d’autre choix que de regagner son royaume. Il affronte Mordret et parvient à le tuer, mais est lui-même mortellement blessé.
Le récit ne s’arrête pas là : le cycle du Lancelot-Graal n’est pas l’histoire d’Arthur mais celle de Lancelot. Ce dernier devient alors le sauveur du royaume : il revient en Grande-Bretagne et tue les fils de Mordret avec l’aide de Bohort. Finalement, ayant appris la mort de Guenièvre, il se fait moine et meurt à son tour quelques années plus tard.
Si le monde arthurien était déjà sur le déclin, notamment à cause de la quête du Graal, c’est donc bien cette liaison avec Guenièvre qui précipite la catastrophe finale. Alors, ça vous rappelle Kaamelott ?
Perceval et Bohort étaient-ils vraiment des imbéciles ?
S’ils sont tous deux des personnages emblématiques de Kaamelott, Perceval et Bohort n’ont pas les mêmes origines ni le même développement dans la littérature arthurienne, même si tous deux sont intimement liés au Graal.
Perceval est nommé pour la première fois chez Chrétien de Troyes, qui le mentionne dans son Cligès et lui consacre ensuite un roman en vers : Le Conte du Graal. C’est sa plus longue œuvre, mais elle restera inachevée, probablement à cause de la mort de l’auteur.
C’est tout de même ce roman qui introduit le motif du Graal dans la littérature arthurienne et qui lui lie Perceval. Ce Perceval n’est pas vraiment un personnage glorieux : au contraire, c’est plutôt un imbécile. Il est ignorant, ne connaît d’ailleurs pas son propre nom au début de l’œuvre, et est un sauvageon élevé dans les bois par sa mère.
Perceval est même si sot qu’il prend les premiers chevaliers qu’il rencontre pour des diables. Naïf et enfantin, Perceval connaît cependant une évolution tout au long du livre, qui a une dimension initiatique que n’a aucune autre œuvre de Chrétien de Troyes.
Perceval est aussi un personnage qui n’a rien à voir avec les héros des précédents poèmes de l’auteur : il devient chevalier parce qu’il est issu d’une bonne famille et qu’Arthur considère qu’il est de son honneur de le faire chevalier, pas parce qu’il le mérite ou fait preuve de vertu.
Arthur est déjà un roi affaibli, impuissant et passif, qui fait face à des chevaliers qui font eux-mêmes leur droit. Ce n’est pas le roi qui devrait tirer de l’honneur de faire ainsi un chevalier, mais l’inverse ; l’intérêt de l’individu ne devrait pas primer sur la communauté, d’autant que celle d’Arthur dépérit.
Yvain, Lancelot, Érec et Cligès obéissaient à des valeurs supérieures ; Perceval est un simplet qui n’accède à la chevalerie que par le sang. Il fait cependant l’objet d’une prophétie surprenante : un jour, il sera le meilleur chevalier du monde. Dans ce monde arthurien où la chevalerie a mis de côté des héros épiques au profit d’un imbécile, cette prophétie sonne presque comme un avertissement.
Cependant, Perceval poursuit son initiation. Un jour, il arrive au château du Roi Pêcheur où il est hébergé. C’est là que, pendant le repas, défile devant lui le Graal. Perceval est surpris par cette étrange procession, mais ne pose aucune question à son sujet. Et ainsi, il échoue à accomplir sa destinée. Le lendemain, quand il se réveille, le château est mystérieusement désert.
Plusieurs années s’écoulent avant qu’il ne paraisse enfin sur le point de reprendre le chemin de la quête du Graal, qui lui permettent notamment de s’améliorer sur le plan martial. Malheureusement, le récit s’achève sans lui permettre d’accomplir sa mission.
Au début de sa carrière littéraire, Perceval est donc un personnage singulier. Il s’oppose notamment à la figure de Gauvain, l’autre protagoniste du Conte du Graal, qui représente la chevalerie arthurienne traditionnelle. Perceval incarne, lui, une nouvelle chevalerie, et l’inachèvement du roman laisse de nombreuses questions sur la direction que doit prendre celle-ci.
Ceci étant, le poème de Chrétien de Troyes a eu une influence énorme par la suite, et peut-être d’autant plus qu’il n’a jamais été fini. C’est ce qui a permis à Perceval de devenir un peu moins le sot naïf et influençable qu’il était initialement.
La fin du Conte du Graal étant restée en suspens, plusieurs auteurs s’attachent à écrire ce qu’on appelle les continuations : des sequels par d’autres poètes, si vous voulez. Perceval y finit par réussir sa quête.
Puis arrive Robert de Boron. On lui attribue trois romans : Joseph d’Arimathie, Merlin et Perceval – il y a néanmoins des doutes sur la paternité réelle du troisième. Perceval devient alors un chevalier élu destiné à accomplir la quête du Graal, notamment parce qu’il descend d’un lignage d’exception qui le place à part et l’y prédestine.
Perceval n’est surtout plus l’imbécile qu’il était chez Chrétien et ne le redeviendra plus. Robert de Boron a lui aussi eu une influence fondamentale sur la littérature arthurienne postérieure : il inspirera même des œuvres anglaises, notamment Malory.
La suite de la carrière littéraire de Perceval se heurte au cycle en prose du Lancelot-Graal, écrit au début du XIIIe siècle. Il se compose de trois romans : le Lancelot propre, La queste del Saint Graal et La Mort Artu. C’est l’une des œuvres arthuriennes les plus importantes et les plus lues au Moyen-Âge, comme en témoigne le nombre significatif de manuscrits qui nous sont parvenus (plus de 200) et son héritage littéraire.
Le protagoniste de ce cycle n’est pas Perceval : c’est Lancelot. Perceval y joue cependant un rôle extrêmement important et se voit surtout associé à un autre personnage de Kaamelott : Bohort.
Celui-ci est un ajout tardif à la littérature arthurienne. Cousin de Lancelot, il est le fils cadet du roi Bohort de Gaunes et est élevé par la Dame du Lac aux côtés de son frère Lionel et de leur cousin. Pour qu’il puisse apparaître dans la légende, Bohort avait donc besoin qu’on s’intéresse aux origines de Lancelot : c’est le Lancelot propre qui dote le personnage d’une enfance et permet donc à Bohort d’exister.
Le cycle met aussi en scène pour la première fois le personnage de Galaad, fils de Lancelot. Il forme un trio indissociable avec Bohort et Perceval, car ce sont eux trois qui vont réussir à accomplir la quête du Graal.
Mais Galaad supplante Perceval. Entretemps, le Graal est devenu une quête religieuse, et Perceval ne convient plus à celle-ci. Il lui faut une figure christique et messianique : ce sera le jeune Galaad, exempt de tout péché.
Le cycle du Lancelot-Graal distingue deux types de chevaleries : une chevalerie céleste, symbolisée par Bohort, Galaad et Perceval, et une chevalerie terrestre, dont Gauvain est l’emblème suprême – ce qui le disqualifie totalement de la quête du Graal.
Seuls Perceval, Galaad et Bohort parviennent à la mener à terme. Elle les mène jusqu’à Sarras, où Galaad meurt et Perceval se fait moine avant de mourir à son tour. Seul Bohort revient de la quête, qu’il peut alors raconter à la cour du roi Arthur.
Malgré son rôle dans Kaamelott, Bohort n’est pas un personnage qui a vraiment marqué la culture populaire moderne – pas comme un Gauvain, un Lancelot ou un Arthur. En cela, il se rapproche plutôt de Galaad. C’est sûrement leur étroit lien au Graal qui les en a empêchés, même si Bohort bénéficie d’un plus large développement hors de la quête, ce qui lui a probablement permis d’être moins oublié que Galaad.
Après la quête du Graal, Perceval et Galaad n’avaient plus d’avenir littéraire ni de perspective narrative, ce qui n’était pas le cas de Bohort. C’est à lui donc qu’a échu le rôle d’en revenir et de reprendre une place à la cour. Ainsi, il a une présence importante dans la littérature du Moyen-Âge, notamment grâce au Lancelot-Graal qui le dote d’une longue biographie et lui permet de revenir en vie de la quête du Graal. Il est un chevalier d’exception, pieux, et loyal.
Sa relation avec Lancelot est l’un de ses traits principaux. Bohort reste fidèle à son cousin jusqu’à la mort et le suit dans sa guerre contre le roi Arthur. Il considère Lancelot comme le chef de leur clan et joue un rôle capital lorsque la cour d’Arthur se déchire en deux camps : celui de Gauvain et celui de Lancelot.
Bohort est alors la voix de la sagesse, le conseiller de Lancelot dont il est aussi une sorte de double. Il symbolise tout ce que Lancelot aurait pu être sans son amour adultère pour Guenièvre. Il est le possible spirituel de son cousin, celui qui peut emprunter le chemin de l’héritage mystique dont Guenièvre prive Lancelot.
Avec Galaad, qui vient le compléter, il forme le produit parfait d’une généalogie sacrée dont ils achèvent ensemble le destin. Il est aussi le parfait compromis entre chevalerie céleste et chevalerie arthurienne. Après la mort d’Arthur et de Lancelot, il prend l’habit et peut enfin retrouver la voie spirituelle qu’il avait un temps écartée par loyauté envers son cousin.
Mais que pouvait-il advenir de personnages si étroitement liés à la quête du Graal ? Perceval parvient à s’en sortir tant bien que mal, notamment grâce à son transfert dans la littérature étrangère (et allemande en particulier) et parce qu’il appartenait à une tradition littéraire antérieure.
Mais il peut remplir à lui seul les rôles du trio, et Galaad et Bohort, tout particulièrement Galaad, ont plus ou moins disparu de la littérature.
Moins dépendant du Graal, Bohort est cependant trop lié à Lancelot : il faut attendre la réappropriation de ce dernier, notamment par Malory, pour que Bohort réapparaisse dans la littérature. Contrairement à des personnages comme Gauvain ou même Perceval, il n’a jamais eu droit à des aventures indépendantes dont il était le seul héros.
Le Graal, si ce n’était pas un bocal à anchois… C’était quoi ?
C’est donc Chrétien de Troyes qui apporte le motif du Graal à la littérature arthurienne. C’est à lui qu’on doit la quête du Graal, restée inaboutie dans Le conte du Graal. Inachevée, elle peut alors devenir l’un des grands thèmes de la légende arthurienne, d’abord en étant l’un des sujets de prédilection des romans en prose du XIIIe siècle.
À vrai dire, les origines du Graal sont un peu floues. Au début de son poème, Chrétien affirme avoir reçu de son patron, Philippe d’Alsace, un livre contenant l’histoire du Graal. S’il s’agissait d’un procédé assez fréquent chez les auteurs de l’époque, l’existence d’un roman allemand reprenant des thématiques similaires ne peut qu’interroger.
Ce roman, c’est le Parzival de Wolfram von Eschenbach. Il reprend en partie l’histoire de Chrétien de Troyes, mais les deux premiers livres du Parzival et sa fin ne correspondent à aucun texte de Chrétien. Contrairement à ce dernier, Wolfram von Eschenbach achève l’histoire de Parzival, qui finit couronné comme roi du Graal.
L’Allemand a donc eu d’autres sources. S’il mentionne un certain « Kyot de Provence », la source paraît aujourd’hui historiquement peu crédible. Selon toute vraisemblance, Wolfram von Eschenbach a travaillé à partir de plusieurs sources et traditions, dont Chrétien de Troyes – mais pas seulement.
En somme, on ne sait pas très bien d’où vient le Graal. Il est peu probable que Chrétien de Troyes en ait réellement été l’inventeur, mais on ne saura probablement jamais d’où il tenait vraiment cette tradition. On sait seulement que c’est grâce à lui que le thème est intégré à la légende arthurienne.
Sauf que chez Chrétien de Troyes, le Graal n’a rien à voir avec le mythe chrétien qu’il est devenu. Il s’agissait d’un mythe païen, et c’est bien d’un merveilleux païen plutôt que de christianisme qu’est teinté le Graal de Chrétien.
Chez Chrétien de Troyes, le Graal est… Un plat. C’est ce que signifie le mot à l’origine : il désigne un plat large destiné à servir de la viande ou du poisson. Chrétien ne parle jamais du Saint Graal et introduit l’objet par un article indéfini en parlant d’« un graal ».
Pas encore une relique, ce Graal est alors un plat à service qui se distingue par sa richesse, orné notamment de pierres précieuses. Quand Perceval raconte à son oncle ermite la scène à laquelle il a assisté au château du Roi Pêcheur, la conversation parle d’un plat à poisson, tout en précisant qu’il ne faudrait pas se méprendre sur la véritable nature de l’objet, teintée de merveilleux.
Mais la fonction du Graal, c’est bien la nourriture. Son rôle est bien de nourrir, quoique de façon mystérieuse, le Roi Pêcheur.
Voilà donc ce qu’est d’abord le Graal : un objet merveilleux, mystérieux, mais profane. La Bible ne le mentionne jamais, le mythe est inexistant en latin et n’a aucune signification biblique.
Surtout, Chrétien de Troyes écrit trop tôt pour avoir été influencé par la mutation du christianisme au Moyen-Âge. Ce sont ses successeurs qui vont transformer le Graal sous l’effet d’influences socio-culturelles bien différentes.
Quelques décennies plus tard, le contexte culturel et doctrinal a en effet bien changé. L’imaginaire collectif éprouve alors le besoin de se rattacher aux objets témoins de la vie du Christ : les reliques gagnent en importance à la fin du XIIe et au XIIIe siècle.
Après Chrétien de Troyes, le Graal prend de plus en plus d’importance dans la littérature arthurienne européenne, qui passe du vers à la prose, et subit une véritable christianisation. Ce développement doit être considéré comme le symbole d’une inquiétude épistémologique et d’une incertitude idéologique propres à leur temps.
C’est Robert de Boron qui contribue à donner au Graal la signification qu’on lui connaît aujourd’hui. Son œuvre est fondamentale dans la sacralisation du Graal ; c’est avec elle qu’il acquiert non seulement un caractère sacré, mais aussi des origines, un passé, une histoire. L’aboutissement de ce développement sera le cycle du Lancelot-Graal.
Dans son Joseph d’Arimathie, Robert de Boron fait du Graal le vase où fut recueilli le sang du Christ, crucifié par Joseph d’Arimathie. Si cela sonne familier, c’est normal : c’est cette version de la légende qui a inspiré Astier et Kaamelott.
Le roman retrace l’histoire du Graal avant son arrivée en Occident et plante une dynastie du Graal : emprisonné après la crucifixion du Christ, Joseph d’Arimathie voit apparaître Jésus dans sa cellule.
Le Graal se dote alors d’un symbolisme important, celui de la grâce divine. Joseph d’Arimathie et son lignage sont des élus : lui et ses descendants sont destinés à être les gardiens du Graal. Perceval est justement l’un des membres de sa lignée. Chez Robert de Boron, pas de Lancelot, pas de Bohort, pas de Galaad. C’est Perceval qui est l’aboutissement d’un lignage, l’élu d’une haute destinée, rôle que reprendra Galaad par la suite.
Grâce à la trilogie de Robert de Boron, le Graal connaît donc une véritable mutation religieuse et plante des motifs qui seront repris par La queste del Saint Graal, dont le titre annonce d’emblée la couleur. C’est là un roman eucharistique, où Perceval, Galaad et Bohort sont une Trinité d’élus, des chevaliers célestes que ne peuvent aspirer à devenir les autres.
Perceval se voit aussi supplanter par le messianique Galaad, ce qui correspond à l’évolution de la thématique du Graal. La création de Galaad était doublement nécessaire : à cause de la christianisation du Graal et de son péché d’adultère, Lancelot ne peut pas prétendre mener la quête à bien. Or faire de Perceval le héros de la quête aurait été détrôner Lancelot de sa propre histoire… Le voilà donc relégué au second plan.
Avec la Queste, le Graal est définitivement devenu l’objet saint qui nous a été transféré. C’est le calice qui a recueilli le sang du Christ, une relique, mais aussi le symbole d’un tout nouveau type de chevalerie, opposée aux idéaux corrompus de celle d’Arthur. Enfin, la mort de Galaad, véritable figure christique, est une ascension spirituelle, un sacrifice de l’Élu divin.
Comment est-on passé du Moyen-Âge à Kaamelott ?
Du XVIe au XIXe siècle, la légende arthurienne n’a plus vraiment la cote. De nouveau, c’est le contexte historique qui la remet au goût du jour, et surtout l’affirmation du nationalisme. En Angleterre, la légende est réactivée par crainte des révolutions et aspirations coloniales. Les gentlemen victoriens se veulent un peu les nouveaux chevaliers de leur temps.
Mais c’est notamment aux États-Unis que l’imaginaire chevaleresque se réveille, particulièrement dans les États du Sud. Mark Twain lui-même s’y met en publiant en 1889 Un Yankee du Connecticut à la cour du roi Arthur. Le livre sera adapté plus de vingt fois en film, mais aussi en version radiophonique, en comics et en dessin animé.
Si la légende arthurienne est née au Moyen-Âge en Grande-Bretagne, qu’elle s’est considérablement développée et métamorphosée en France avant de circuler dans le reste de l’Europe, c’est finalement grâce à la culture populaire américaine qu’elle arrive jusqu’à nous. Aux États-Unis perdure l’idéal chevaleresque, désormais plus seulement associé à l’aristocratie mais à de plus en plus de classes sociales.
Aujourd’hui, le roi Arthur est une figure de la culture populaire. Mais ce n’était pas le cas jusqu’à la fin du Moyen-Âge : à l’époque, il est au contraire le produit d’une culture d’élite et l’instrument de ces mêmes élites qui s’en servent notamment à des fins politiques.
Au tournant du siècle, la figure chevaleresque incarne un modèle à suivre pour la société américaine, un idéal d’éducation pour la jeunesse. Les valeurs et principes de la légende arthurienne sont même transposés à d’autres œuvres qui n’y sont pas directement rattachées.
Avec le temps et les différents contextes historiques, Arthur et sa cour ne sont plus mobilisés de la même façon. Dans les années 1950, les chevaliers arthuriens sont anti-communistes ; dans les années 1960, ils sont pacifistes et progressistes. Mais toujours, ils représentent un mythe héroïque, épique et surtout rassurant face à un présent qui ne l’est pas toujours.
Et ça y est, nous y voilà enfin : Arthur, la Table Ronde et ses chevaliers basculent dans la culture populaire. Le mythe chevaleresque, s’il continue d’évoluer sous l’influence de son époque, perdure. Tout le monde s’y met : René Barjavel, Marion Zimmer Bradley, J.R.R Tolkien, Guillaume Apollinaire, les Monty Python… Alexandre Astier.
« Camelot is a state of mind », disait l’affiche de Knightriders, film de George Romero directement influencé par le mythe arthurien : oui, Camelot est bien devenu un état d’esprit.